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#Messolongi "Mouta" Celle qui parlait avec son âme, l'ataraxie des âmes nobles #proudpeopleofGreece

#Messologgi Les gens l’appellent la « Mouta » depuis toujours. Je n’ai appris son prénom que quelques minutes avant cette petite scéance improvisée, Fridériki, Frédérique en français. J’ai souvent croisé cette femme depuis mes jeunes années, sans savoir qu’elle était sourde et muette et j’ai toujours été frappé par son visage solaire. Une figure féminine souple et souriante, charismatique et en même temps fuyante. Ce que la voix de dit pas, le regard le signifie, des yeux couleurs de pierres précieuses, des ocelles smaragdins et bruns-clairs. Lorsque « Mouta » était une enfant, elle venait jouer sous les citronniers et les oliviers de la cabane de mes grands parents, elle jouait à la marelle avec ma mère Haroula qui était plus jeune qu’elle. Bercées par le chant des cigales les deux gamines oubliaient leurs modeste condition en inventant un monde voyage en silence. Au crépuscule, la petite princesse gitane s’en allait satisfaite en poussant des petits cris et des rires qui ressemblaient à des chants d’oiseau et ma grand- mère glissait dans son baluchon quelques oranges, du pain, de l’origan séché et de l’huile d’olive. Les années ont passé, ma mère a quitté la Grèce l’Angleterre et la France, pour une vie meilleure sous d’autres cieux. Elle s’est mariée avec Andréas, a fait des enfants, et une vie nouvelle à Paris. Chaque été, elle revenait au pays en espérant secrètement retrouver des traces de son passé, parfois en vain. Certains la reconnaissaient, d’autres pas, d’aucuns faisaient semblant de ne pas la voir. Il y a quelque chose de cruel dans le retour au pays, un sentiment inexplicable de manque, un décalage entre le souvenir et la réalité. L’absence justifie le vin des amnésiques. Lorsqu’il y a cinq ans ma mère se retrouve dans une boulangerie de sa ville natale à Missolonghi, ma mère est une femme qui essaie de retrouver des traces et des visages de son enfance. Comme à son habitude, Haroula commande le pain au sésame que sa mère coupait en grosse tranche à table quand elle rentrait des champs, mais elle ne comprend pas pourquoi une vieille gitane l’observe de façon étrange et instante derrière la vitrine de la boutique. Les deux femmes se retrouvent face à face sur le trottoir, elles se jaugent sans parler. Ma mère méfiante mais courtoise lui demande ce qu’elle veut mais « Mouta » qui a désormais 75 ans passés ne répond pas. Elle lui caresse le visage comme lorsqu’elles étaient gamines. Elle lui dit du regard, en essayant de faire sortir des sons aigus désarticulés, qu’elle se souvient d’elle et qu’elle ne l’a jamais oubliée. Ma mère fond en larmes dans la rue et la serre dans ses bras avec gratitude et respect. Une scène inouïe où le temps s’arrête car un être vous répare sans le savoir.

 

La vie est ainsi faite. Surprenante quelques fois, injuste bien souvent, et terriblement belle quand le hasard reprend ses droits. L’émigrée revenue au pays, recherchaient seulement quelques balises de reconnaissance dans le tumulte du temps qui passe et qui transforme les souvenirs mais aussi le cœur des humains, l’émigrée en quête du miel des premières années de l’enfance, de la douceur d’une brise d’été à l’ombre d’un vieux saule. Et un jour un être qui paraît étranger à votre vie, vous prend par la main. Une femme de la rue, celle que la vie n’a pas épargnée, celle qui n’a jamais pu faire entendre sa voix face à la cruauté, au jugement et au dédain vous console dans votre solitude. Frédérique la belle gitane sourde et muette abusée, humiliée, rabaissée, vient malgré ses propres drames vous donner tout l’amour du monde dans une simple accolade. Frédérique la Mouta, vous dit plus de mots et de sentiments que n’importe quel livre ou personne sur cette terre. Une grand mère qui a eu quatre enfants qu’elle a du élever seule, 15 petits enfants et autant d’arrière petits enfants aussi racés que beaux que leur aïeule. J’ai voulu rencontrer la Mouta et la remercier d’une simple photographie. Elle souriait flamboyante et joueuse quand j’ai franchi le seuil de sa petite maison, mais lorsque je l’ai vue dans le cadre de mon viseur j’ai pris un peu de sa mélancolie. Merci madame.

N.A

 

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Uploaded on August 16, 2017
Taken on August 16, 2017