Culture is borderless....
"Where art is ageless, culture is borderless, values are timeless..."
Jours tranquilles à Safdarjung
Penser n'empêche pas de danser
Juin 2012
Non, très chers futurs fillots et fillottes, n'allez pas croire que votre grand-père menait ici, loin de Clichy, une vie à la Henry Miller. De folies, de débauches, point. Ici, l'alcool est un poison et l'herbe tout aussi rase que rare. Pour le reste, peu réceptif aux charmes des sirènes qu'appréciait Allen Ginsberg, un peu forcé et non sans garder, je peux vous l'avouer, une vague nostalgie de la chose, je penche plutôt du côté de Gelek Rinpoche et de Tenzin Gyatso, du côté des précieux abstinents.....
Et ma présente nudité n'a rien à voir non plus avec un quelconque détachement sadhu; mais seulement avec les quarante trois degrés (sous abri s'entend, la température ressentie avoisinant les cinquante) qu'il fait dehors et la colossale quantité d'énergie qu'il faut à Mr Daikin, mon climatiseur préféré, pour faire tomber de quelques degrés la température de la pièce d'où j'écris. Et pendant qu'à Rio s'échauffent les esprits, me voilà réfugié climatique dans ma chambre, victime d'un réchauffement qui, pour n'en être pas moins global, reste plus perceptible ici qu'à Bruxelles (où la chaudière me dit-on fait des siennes, fatiguée d'avoir à travailler, aussi, en plein été). Alors sans autre recours, comme disait Bobby, j'ôte ma toque et troque mon tricot tout crotté, contre attaque au côté et, nu comme un vert soucieux de ne pas en rajouter à une facture pétrolière déjà salée, je me laisse aller, passant dans cette nudité, seul, des jours tranquilles dans mon appartement, à Safdarjung ....
En semaine la question ne se pose pas. Il faut sortir. A huit heures dix, le chauffeur est là, impatient, déjà. Le temps de donner à chacune des plantes du balcon ses deux litres d'eau quotidiens et c'est parti pour un tour d'une demi-heure dans le four. Tu ouvres la fenêtre et en plus, gratis, t'as l'air pulsé, la chaleur tournante...et les particules fines....Le soir, un autre tour, l'air pulsé en sens inverse mais toujours le même four. Tu arrives chez toi affaissé, crevé, capable de rien, pas même d'un pas de danse, pas même d'une pensée.
Mais mettre le nez dehors le week-end, ça se discute ...il faut d'abord y réfléchir longuement... peser le pour, le contre...et par le temps qu'il fait, croyez moi, même sans vouloir faire le zen, on apprend vite le détachement bouddhiste et la philosophie corse. Non, pour mettre son nez dehors en fin de semaine, il faut perdre l'espoir, être vraiment au fond du trou, ne plus avoir de choix, d'échappatoire, manquer de tout, par exemple manquer de mangues et de coca light....
Ou, comme ce matin, avoir oublié de mettre ses lunettes avant de se tailler la barbe et se retrouver, pestant contre Mr Braun et Mr Phillips, face au miroir, avec comme un air, un poil, d'asymétrie, patibulaire mais presque..... Alors là, oui que oui, on s'oblige à un pantalon, on s'inflige une chemise, on coupe les ventilos et on tourne la clé dans la porte...en prenant soin toutefois de ne pas trop laisser trainer sa main sur la poignée métallique chauffée à blanc...
Et on fait le grand saut, jusqu'à la rue. D'une voix encore ferme, on hèle vite un "auto" (un auto-rickshaw) vert et jaune (Bonjour, Mr Bajaj!) et, pour trente roupies (quarante pour le conducteur qui chante soufi, élevant une main au ciel, dans un geste de pure emphase poétique certes, mais en lâchant tout de même le guidon... aimer la poésie, cela se paie et c'est vivre dangereusement ...), on se fait conduire à Green Park Market....au salon de coiffure. Parce qu'on sait que deux heures plus tard, on en ressortira coiffé, calmé, rétabli, symétrique et heureux avec, en prime....des pieds de princesse!
Ah, le salon de coiffure! Non, je ne vous pas parle pas des salons de coiffure de rue, de ces sièges posés au hasard d'un trottoir, face à un mur où trône un misérable miroir, qu'il faudra bien un jour, mais que je n'ai pas encore osé prendre en photo. Ni non plus de ces luxueux salons de beauté qui jalonnent l'autre avenue, côté B2, et qui vantent des produits cosmétiques étrangers aux prix exorbitants. Ni d'un de ces salons branchés de Khan Market. Non, il en faut pour tous les poils. Je vous parle d'un salon simplement "high middle class", seulement bourgeois, un salon pour moi quoi.
L'enseigne est discrète comme il se doit; le nom, Affinity, presque trompeur. Montés les deux étages, c'est le salon pour homme, dans un pur style des années septante, lustres de plastique orange et papier peint gris-maronnasse à gros motifs géométriques. On sent que le gars qui a monté ce réseau a dû passer plusieurs années aux States avant de revenir en Inde lancer sa marque franchisée ....mais que ce n'était pas hier matin non plus.
Pour le reste, pas d'attente. Comme ces dames des maisons de jadis, les garçons coiffeurs attendent le client lascivement abandonnés dans des fauteuils de Skaï noir, tout en pianotant sur leurs blackberries. On vous prend immédiatement en main et on vous mène au fauteuil, comme on devait vous mener en chambre à l'époque, avec un mélange d'obséquieux intéressé et de sourire narquois. Avec ma barbe de traviole, pas vraiment besoin d'interprète pour dire ce qui m'amène. Mais je lutte encore un peu question cheveux, essayant de sauver ce qu'il est encore possible face à des ciseaux indiens qui ont une forte tendance naturelle au très court, aux escaliers, que dis-je? aux gradins, et à la nuque rase. Le résultat? Mention assez bien plutôt pas mal, ce qui me prédestine à un pourboire conséquent et me vaut un échange de numéros de téléphone avec Rajhindra (qui par chance ne fait relâche que le Jeudi).
Dès que la barbe est faite, arrive le masseur. De cuir chevelu d'abord. Après une minute, deux tout au plus, de ce traitement agité, tu as les yeux qui pleurent et une vague envie que cela s'arrête. Mais comme c'est déjà l'heure du café, au lait et très sucré, tu peux sécher tes larmes et reprendre tes esprits, juste avant que commence le lavage ou plutôt l'astiquage du visage et, pardon d'entrer dans ces détails, la chasse aux comédons. Après le trempage, le savonnage, le rinçage, l'essorage à 1600 tours, une bonne serviette chaude sur la figure et c'est le massage du cou, des épaules et du dos, et des bras et des mains. Plutôt physique comme sensation. Un zeste, un reste d'ayurvédique, peut être, mais qui aurait oublié d'être tendre...
Arrive ensuite sans que tu t'y attendes vraiment, un jacuzzi électrique, un vrai jacuzzi en plastique pour pieds...qui a du en voir d'autres. C'est chaud, moche, pas très romantique comme engin, mais ça fait des bulles et des chatouilles, alors mieux vaut en rire. Je passe sur une toute une série d'opérations très techniques qui viennent ensuite, pratiquées à l'aide de ciseaux et de limes qui ont du faire la guerre (mais laquelle?). Et après un dernier lavage/massage des pieds et deux ou trois conseils d'hygiène plantaire, c'est la touche finale, le polissage des ongles. J'ai les pieds qui brillent, des pieds de princesse mais, Dieu merci, pas de vernis.
Voilà, le temps de héler un autre auto, de faire une course sans s'éterniser et de faire trois kilomètres et ma chemise est à nouveau trempée. Et en plus, c'est l'heure de la sieste. Plus question de sortir, ce serait trop risquer..
Non, je raconte des histoires. Je suis ressorti sur le tard pour aller faire la causette avec Mr Kapur, qui me verrait bien louer l'appartement avec terrasse qu'il a au B2/27 et qui tout en me parlant se demande combien je pourrais bien y mettre et le prix des meubles qu'il faudrait acheter. Au demeurant, un homme charmant, qui voudrait bien me voir me joindre à son groupe de retraités et insiste pour que je le rejoigne au parc, le matin à la fraiche, pour une marche de santé. Départ à cinq heures trente? Think of it! C'est çà...no problem, koï batnei... comptez sur moi... je vais y penser.
Mais maintenant que j'ai des pieds de princesse, qui sait? Je vais y penser. Et pour qui a des pieds, comme dit Dominique Gabriel Noury, le poète de Clichy, penser n'empêche pas de danser.....Tout cela pour vous dire, mes futurs fillots et fillottes que j'aime tant déjà, que malgré les quarante et le reste, loin de la place Clichy, sans Miller ni débauches, en attendant l'été Cévenol, pour moi ce mois de Juin 2012, c'est nudité, pieds de princesse et jours tranquilles à Safdarjung.
Culture is borderless....
"Where art is ageless, culture is borderless, values are timeless..."
Jours tranquilles à Safdarjung
Penser n'empêche pas de danser
Juin 2012
Non, très chers futurs fillots et fillottes, n'allez pas croire que votre grand-père menait ici, loin de Clichy, une vie à la Henry Miller. De folies, de débauches, point. Ici, l'alcool est un poison et l'herbe tout aussi rase que rare. Pour le reste, peu réceptif aux charmes des sirènes qu'appréciait Allen Ginsberg, un peu forcé et non sans garder, je peux vous l'avouer, une vague nostalgie de la chose, je penche plutôt du côté de Gelek Rinpoche et de Tenzin Gyatso, du côté des précieux abstinents.....
Et ma présente nudité n'a rien à voir non plus avec un quelconque détachement sadhu; mais seulement avec les quarante trois degrés (sous abri s'entend, la température ressentie avoisinant les cinquante) qu'il fait dehors et la colossale quantité d'énergie qu'il faut à Mr Daikin, mon climatiseur préféré, pour faire tomber de quelques degrés la température de la pièce d'où j'écris. Et pendant qu'à Rio s'échauffent les esprits, me voilà réfugié climatique dans ma chambre, victime d'un réchauffement qui, pour n'en être pas moins global, reste plus perceptible ici qu'à Bruxelles (où la chaudière me dit-on fait des siennes, fatiguée d'avoir à travailler, aussi, en plein été). Alors sans autre recours, comme disait Bobby, j'ôte ma toque et troque mon tricot tout crotté, contre attaque au côté et, nu comme un vert soucieux de ne pas en rajouter à une facture pétrolière déjà salée, je me laisse aller, passant dans cette nudité, seul, des jours tranquilles dans mon appartement, à Safdarjung ....
En semaine la question ne se pose pas. Il faut sortir. A huit heures dix, le chauffeur est là, impatient, déjà. Le temps de donner à chacune des plantes du balcon ses deux litres d'eau quotidiens et c'est parti pour un tour d'une demi-heure dans le four. Tu ouvres la fenêtre et en plus, gratis, t'as l'air pulsé, la chaleur tournante...et les particules fines....Le soir, un autre tour, l'air pulsé en sens inverse mais toujours le même four. Tu arrives chez toi affaissé, crevé, capable de rien, pas même d'un pas de danse, pas même d'une pensée.
Mais mettre le nez dehors le week-end, ça se discute ...il faut d'abord y réfléchir longuement... peser le pour, le contre...et par le temps qu'il fait, croyez moi, même sans vouloir faire le zen, on apprend vite le détachement bouddhiste et la philosophie corse. Non, pour mettre son nez dehors en fin de semaine, il faut perdre l'espoir, être vraiment au fond du trou, ne plus avoir de choix, d'échappatoire, manquer de tout, par exemple manquer de mangues et de coca light....
Ou, comme ce matin, avoir oublié de mettre ses lunettes avant de se tailler la barbe et se retrouver, pestant contre Mr Braun et Mr Phillips, face au miroir, avec comme un air, un poil, d'asymétrie, patibulaire mais presque..... Alors là, oui que oui, on s'oblige à un pantalon, on s'inflige une chemise, on coupe les ventilos et on tourne la clé dans la porte...en prenant soin toutefois de ne pas trop laisser trainer sa main sur la poignée métallique chauffée à blanc...
Et on fait le grand saut, jusqu'à la rue. D'une voix encore ferme, on hèle vite un "auto" (un auto-rickshaw) vert et jaune (Bonjour, Mr Bajaj!) et, pour trente roupies (quarante pour le conducteur qui chante soufi, élevant une main au ciel, dans un geste de pure emphase poétique certes, mais en lâchant tout de même le guidon... aimer la poésie, cela se paie et c'est vivre dangereusement ...), on se fait conduire à Green Park Market....au salon de coiffure. Parce qu'on sait que deux heures plus tard, on en ressortira coiffé, calmé, rétabli, symétrique et heureux avec, en prime....des pieds de princesse!
Ah, le salon de coiffure! Non, je ne vous pas parle pas des salons de coiffure de rue, de ces sièges posés au hasard d'un trottoir, face à un mur où trône un misérable miroir, qu'il faudra bien un jour, mais que je n'ai pas encore osé prendre en photo. Ni non plus de ces luxueux salons de beauté qui jalonnent l'autre avenue, côté B2, et qui vantent des produits cosmétiques étrangers aux prix exorbitants. Ni d'un de ces salons branchés de Khan Market. Non, il en faut pour tous les poils. Je vous parle d'un salon simplement "high middle class", seulement bourgeois, un salon pour moi quoi.
L'enseigne est discrète comme il se doit; le nom, Affinity, presque trompeur. Montés les deux étages, c'est le salon pour homme, dans un pur style des années septante, lustres de plastique orange et papier peint gris-maronnasse à gros motifs géométriques. On sent que le gars qui a monté ce réseau a dû passer plusieurs années aux States avant de revenir en Inde lancer sa marque franchisée ....mais que ce n'était pas hier matin non plus.
Pour le reste, pas d'attente. Comme ces dames des maisons de jadis, les garçons coiffeurs attendent le client lascivement abandonnés dans des fauteuils de Skaï noir, tout en pianotant sur leurs blackberries. On vous prend immédiatement en main et on vous mène au fauteuil, comme on devait vous mener en chambre à l'époque, avec un mélange d'obséquieux intéressé et de sourire narquois. Avec ma barbe de traviole, pas vraiment besoin d'interprète pour dire ce qui m'amène. Mais je lutte encore un peu question cheveux, essayant de sauver ce qu'il est encore possible face à des ciseaux indiens qui ont une forte tendance naturelle au très court, aux escaliers, que dis-je? aux gradins, et à la nuque rase. Le résultat? Mention assez bien plutôt pas mal, ce qui me prédestine à un pourboire conséquent et me vaut un échange de numéros de téléphone avec Rajhindra (qui par chance ne fait relâche que le Jeudi).
Dès que la barbe est faite, arrive le masseur. De cuir chevelu d'abord. Après une minute, deux tout au plus, de ce traitement agité, tu as les yeux qui pleurent et une vague envie que cela s'arrête. Mais comme c'est déjà l'heure du café, au lait et très sucré, tu peux sécher tes larmes et reprendre tes esprits, juste avant que commence le lavage ou plutôt l'astiquage du visage et, pardon d'entrer dans ces détails, la chasse aux comédons. Après le trempage, le savonnage, le rinçage, l'essorage à 1600 tours, une bonne serviette chaude sur la figure et c'est le massage du cou, des épaules et du dos, et des bras et des mains. Plutôt physique comme sensation. Un zeste, un reste d'ayurvédique, peut être, mais qui aurait oublié d'être tendre...
Arrive ensuite sans que tu t'y attendes vraiment, un jacuzzi électrique, un vrai jacuzzi en plastique pour pieds...qui a du en voir d'autres. C'est chaud, moche, pas très romantique comme engin, mais ça fait des bulles et des chatouilles, alors mieux vaut en rire. Je passe sur une toute une série d'opérations très techniques qui viennent ensuite, pratiquées à l'aide de ciseaux et de limes qui ont du faire la guerre (mais laquelle?). Et après un dernier lavage/massage des pieds et deux ou trois conseils d'hygiène plantaire, c'est la touche finale, le polissage des ongles. J'ai les pieds qui brillent, des pieds de princesse mais, Dieu merci, pas de vernis.
Voilà, le temps de héler un autre auto, de faire une course sans s'éterniser et de faire trois kilomètres et ma chemise est à nouveau trempée. Et en plus, c'est l'heure de la sieste. Plus question de sortir, ce serait trop risquer..
Non, je raconte des histoires. Je suis ressorti sur le tard pour aller faire la causette avec Mr Kapur, qui me verrait bien louer l'appartement avec terrasse qu'il a au B2/27 et qui tout en me parlant se demande combien je pourrais bien y mettre et le prix des meubles qu'il faudrait acheter. Au demeurant, un homme charmant, qui voudrait bien me voir me joindre à son groupe de retraités et insiste pour que je le rejoigne au parc, le matin à la fraiche, pour une marche de santé. Départ à cinq heures trente? Think of it! C'est çà...no problem, koï batnei... comptez sur moi... je vais y penser.
Mais maintenant que j'ai des pieds de princesse, qui sait? Je vais y penser. Et pour qui a des pieds, comme dit Dominique Gabriel Noury, le poète de Clichy, penser n'empêche pas de danser.....Tout cela pour vous dire, mes futurs fillots et fillottes que j'aime tant déjà, que malgré les quarante et le reste, loin de la place Clichy, sans Miller ni débauches, en attendant l'été Cévenol, pour moi ce mois de Juin 2012, c'est nudité, pieds de princesse et jours tranquilles à Safdarjung.