Jeu des masques
#nophotoshop #blackdragonviewer #unedited #noreshade
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La timide lueur d’une chandelle éclaire un bureau désordonné. Elle vacille dans le courant d’air en dessinant des ombres mouvantes sur la surface craquelée d’un masque de porcelaine. Le faciès arbore un rictus dérangeant et ne possède pour le moment qu’un seul sourcil, accentuant ainsi l’étrangeté de sa physionomie. Non loin de lui, dans un pot de terre cuite, trois pinceaux sèchent. Un chat approche son museau de ces derniers, renifle, se frotte, manquant de renverser les précieux ustensiles.
« Eol ! »
La voix d’un homme surgit dans la pénombre, sommant le greffier de descendre de son perchoir. Sa silhouette se détache peu à peu : grand, de corpulence moyenne, le poil brun, une redingote jetée sur les épaules. La flamme se reflète sur de petites lunettes quand il se penche vers l’animal. La main de Cole galope sur le bois jusqu’à se noyer dans l’épaisse fourrure. Le ronron ne tarde pas briser la quiétude de l’atelier.
« Tu t’ennuies ? »
La dextre toujours enfoncée dans le ventre grassouillet, il défait les nœuds d’un ruban derrière son crâne : tombe le masque de cuir et de métal qu’il arborait, dissimulant le bas de son visage. L’effigie est difforme, incontestablement austère, presque effrayante. Mais l’animal aux miaulements incessants ne semble pas sensible à cette transformation. Il reconnait son maître à son odeur, sa chaleur, sa signature sensorielle dépassant les artifices du costume.
« Ah ! Tu as faim. Mais ne vient pas saloper mon travail par contre… Descends. » Le ton est doux et l’animal semble s’en contrecarrer. « Descends Eol. » Cette fois la voix monte d’un cran en puissance mais l’impertinent matou préfère se pourlécher les coussinets. « Eol ! Descends… » Cette dernière sommation est sourde, grave, elle gronde comme le tonnerre et convainc enfin le comparse de décaniller.
Cole s’enfonce dans son atelier, retire sa redingote pour l’accrocher à une patère coincée entre deux autres masques : l’un enfantin et jovial, l’autre d’une neutralité déconcertante. Il s’empare d’une boite métallique contenant des croquettes et le son de celles-ci contre les parois sonnent l’heure du diner. Eol rapplique, se roule avec amour et envie dans les jambes de son maître jusqu’à ce que sa pitance soit servie.
Le bureau est désormais libre pour que l’artiste s’adonne à son œuvre. Il compose un nouveau visage sur la porcelaine. Les pinceaux dansent et les pigments volent. Une symphonie de couleurs s’éparpille sur la surface et dans les airs, virevoltant à la faveur des tourbillons de la flamme. Il hésite, se penche puis recule, marmonne et râle un peu. Cole sait que ce masque lui manque en société : il est le sourire convenu, forcé mais obligatoire, quand les mondanités se font pesantes et qu’il doit se confondre avec la posture de ses congénères. A mesure qu’il se compose cette nouvelle peau, il décompose les expressions sur son propre visage : grimaces et froncements se succèdent pour l’aider à décrypter ce qu’il doit retranscrire.
Enfin, après une grosse heure de travail, l’œuvre touche à son terme. Cole retire ses lunettes, soupire de soulagement et essaie son tout nouveau masque. Il sait qu’il lui faudra encore quelques jours, peut être plusieurs semaines, pour s’y sentir enfin à l’aise. Une dernière petite retouche lui semble nécessaire cependant. Il ajoute une fossette dans la joue, signature de son travail et identité que partagent tous les personnages dont il se pare.
Il ne faudrait pas que le beau monde se doute qu’il se farde alors il les aiguille vers un détail, détourne leur attention, magicien de l’apparence, maestro dans son art.
Cole accroche enfin cette ultime pièce de sa collection sur le mur. Il recule de deux pas et contemple religieusement son œuvre. Eol vient s’asseoir à coté de lui, enroulant sa queue autour de ses pattes. Les yeux du félin parcourent la trentaine de déguisement sans s’y attarder : rien de tout cela n’a de sens pour celui qui sait.
« Mais qui sait quoi ? » me demanderez-vous. Qui sait regarder par-delà les apparences et lire entre les lignes d’un visage préconstruit. Car Cole se grime chaque jour pour paraitre entre ses pairs, adaptant sa démarche, son attitude, son faciès chaque interlocuteur, jonglant de ses talents d’imitateur. Il ne ment qu’à ceux qui lui mentent, dansant ainsi dans un bal fantomatique fait de faux semblants et de manières contrites où rien n’est sincère ni véritable. Il en va ainsi du jeu des masques.
Dans l’intimité de son atelier seulement il redevient lui-même car il ne saurait mentir à la créature la plus honnête qu’il connaisse : son chat.
Jeu des masques
#nophotoshop #blackdragonviewer #unedited #noreshade
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La timide lueur d’une chandelle éclaire un bureau désordonné. Elle vacille dans le courant d’air en dessinant des ombres mouvantes sur la surface craquelée d’un masque de porcelaine. Le faciès arbore un rictus dérangeant et ne possède pour le moment qu’un seul sourcil, accentuant ainsi l’étrangeté de sa physionomie. Non loin de lui, dans un pot de terre cuite, trois pinceaux sèchent. Un chat approche son museau de ces derniers, renifle, se frotte, manquant de renverser les précieux ustensiles.
« Eol ! »
La voix d’un homme surgit dans la pénombre, sommant le greffier de descendre de son perchoir. Sa silhouette se détache peu à peu : grand, de corpulence moyenne, le poil brun, une redingote jetée sur les épaules. La flamme se reflète sur de petites lunettes quand il se penche vers l’animal. La main de Cole galope sur le bois jusqu’à se noyer dans l’épaisse fourrure. Le ronron ne tarde pas briser la quiétude de l’atelier.
« Tu t’ennuies ? »
La dextre toujours enfoncée dans le ventre grassouillet, il défait les nœuds d’un ruban derrière son crâne : tombe le masque de cuir et de métal qu’il arborait, dissimulant le bas de son visage. L’effigie est difforme, incontestablement austère, presque effrayante. Mais l’animal aux miaulements incessants ne semble pas sensible à cette transformation. Il reconnait son maître à son odeur, sa chaleur, sa signature sensorielle dépassant les artifices du costume.
« Ah ! Tu as faim. Mais ne vient pas saloper mon travail par contre… Descends. » Le ton est doux et l’animal semble s’en contrecarrer. « Descends Eol. » Cette fois la voix monte d’un cran en puissance mais l’impertinent matou préfère se pourlécher les coussinets. « Eol ! Descends… » Cette dernière sommation est sourde, grave, elle gronde comme le tonnerre et convainc enfin le comparse de décaniller.
Cole s’enfonce dans son atelier, retire sa redingote pour l’accrocher à une patère coincée entre deux autres masques : l’un enfantin et jovial, l’autre d’une neutralité déconcertante. Il s’empare d’une boite métallique contenant des croquettes et le son de celles-ci contre les parois sonnent l’heure du diner. Eol rapplique, se roule avec amour et envie dans les jambes de son maître jusqu’à ce que sa pitance soit servie.
Le bureau est désormais libre pour que l’artiste s’adonne à son œuvre. Il compose un nouveau visage sur la porcelaine. Les pinceaux dansent et les pigments volent. Une symphonie de couleurs s’éparpille sur la surface et dans les airs, virevoltant à la faveur des tourbillons de la flamme. Il hésite, se penche puis recule, marmonne et râle un peu. Cole sait que ce masque lui manque en société : il est le sourire convenu, forcé mais obligatoire, quand les mondanités se font pesantes et qu’il doit se confondre avec la posture de ses congénères. A mesure qu’il se compose cette nouvelle peau, il décompose les expressions sur son propre visage : grimaces et froncements se succèdent pour l’aider à décrypter ce qu’il doit retranscrire.
Enfin, après une grosse heure de travail, l’œuvre touche à son terme. Cole retire ses lunettes, soupire de soulagement et essaie son tout nouveau masque. Il sait qu’il lui faudra encore quelques jours, peut être plusieurs semaines, pour s’y sentir enfin à l’aise. Une dernière petite retouche lui semble nécessaire cependant. Il ajoute une fossette dans la joue, signature de son travail et identité que partagent tous les personnages dont il se pare.
Il ne faudrait pas que le beau monde se doute qu’il se farde alors il les aiguille vers un détail, détourne leur attention, magicien de l’apparence, maestro dans son art.
Cole accroche enfin cette ultime pièce de sa collection sur le mur. Il recule de deux pas et contemple religieusement son œuvre. Eol vient s’asseoir à coté de lui, enroulant sa queue autour de ses pattes. Les yeux du félin parcourent la trentaine de déguisement sans s’y attarder : rien de tout cela n’a de sens pour celui qui sait.
« Mais qui sait quoi ? » me demanderez-vous. Qui sait regarder par-delà les apparences et lire entre les lignes d’un visage préconstruit. Car Cole se grime chaque jour pour paraitre entre ses pairs, adaptant sa démarche, son attitude, son faciès chaque interlocuteur, jonglant de ses talents d’imitateur. Il ne ment qu’à ceux qui lui mentent, dansant ainsi dans un bal fantomatique fait de faux semblants et de manières contrites où rien n’est sincère ni véritable. Il en va ainsi du jeu des masques.
Dans l’intimité de son atelier seulement il redevient lui-même car il ne saurait mentir à la créature la plus honnête qu’il connaisse : son chat.