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souvenirs

 

 

Le vent de nord-est se lève,

De tous les vents mon préféré

Parce qu’il promet aux marins

Haleine ardente et traversée heureuse.

Pars donc et porte mon salut

À la belle Garonne

Et aux jardins de Bordeaux, là-bas

Où le sentier sur la rive abrupte

S’allonge, où le ruisseau profondément

Choit dans le fleuve, mais au-dessus

Regarde au loin un noble couple

De chênes et de trembles d’argent.

 

Je m’en souviens encore, et je revois

Ces larges cimes que penche

Sur le moulin la forêt d’ormes,

Mais dans la cour, c’est un figuier qui croît.

Là vont aux jours de fête

Les femmes brunes

Sur le sol doux comme une soie,

Au temps de mars,

Quand la nuit et le jour sont de même longueur,

Quand sur les lents sentiers

Avec son faix léger de rêves

Brillants, glisse le bercement des brises.

 

Ah ! qu’on me tende,

Gorgée de sa sombre lumière,

La coupe odorante

Qui me donnera le repos ! Oh, la douceur

D’un assoupissement parmi les ombres !

 

Il n’est pas bon

De n’avoir dans l’âme nulle périssable Pensée, et cependant

Un entretien, c’est chose bonne, et de dire

Ce que pense le cœur, d’entendre longuement parler

Des journées de l’amour

Et des grands faits qui s’accomplissent.

Mais où sont-ils ceux que j’aimai ?

Bellarmin Avec son compagnon ?

Maint homme A peur de remonter jusqu’à la source ;

Oui, c’est la mer Le lieu premier de la richesse.

Eux, Pareils à des peintres, assemblent

Les beautés de la terre, et ne dédaignent

Point la Guerre ailée, ni

Pour des ans, de vivre solitaires

Sous le mât sans feuillage, aux lieux où ne trouent point la nuit

De leurs éclats les fêtes de la ville,

Les musiques et les danses du pays.

Mais vers les Indes à cette heure

Ils sont partis, ayant quitté

Là-bas, livrée aux vents, la pointe extrême

Des montagnes de raisin d’où la

Dordogne descend, où débouchent le fleuve et la royale

Garonne, larges comme la mer, leurs eaux unies.

La mer enlève et rend la mémoire, l’amour

De ses yeux jamais las fixe et contemple,

Mais les poètes seuls fondent ce qui demeure.

 

 

(Souvenirs, Hölderlin)

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Uploaded on September 4, 2008
Taken on July 4, 2008