kristobalite
Eglise San-Pietro-di-Sorres à Borutta
Eglise romane San-Pietro-di-Sorres ; commune de Borutta, province de Sassari, Sardaigne, Italie
En gravissant la colline sur laquelle s'élève l'église, on en aperçoit graduellement la masse imposante, dominée par la façade principale, avec à droite le bâtiment moderne du monastère bénédictin. Avant d'examiner la façade, il convient d'en relever les éléments inauthentiques, pour tenir compte uniquement des éléments originels. Comme à la Très-Sainte-Trinité de Saccargia, la restauration (1895) fut menée dans le dessein avoué de retrouver l'aspect roman supposé de l'édifice. Cela signifie qu'à Saint-Pierre de Sorres également on est intervenu de façon aussi radicale sur les moulures et sur les incrustations, refaites entièrement en remplaçant ce qui demeurait des matériaux originels, en grande partie disparus. De la comparaison entre des photographies avant restauration et la façade actuelle, on conclut à la restitution fidèle des ornements du premier registre; au second, à l'interprétation des arcades sur la base des brefs segments subsistant des trois premières voussures de gauche, ainsi qu'à la copie des colonnes et des chapiteaux d'après l'unique support demeuré en place à gauche. Entièrement restaurée anciennement déjà, la fenêtre double ne garde de l'ouverture originelle que le dessin islamique des cintres, retaillés en fer à cheval dans un tympan avec incrustation de conception moderne. Au troisième registre, les voussures sont toutes dues à la restauration, comme aussi le cercle où s'inscrit une croix (copié sur celui de l'abside) dont restait l'emplacement mais aucune autre trace permettant de vérifier la légitimité de l'opération. La même documentation photographique, en partie reproduite par Delogu, permet de se rendre compte que les interventions ont cependant respecté l'agencement général de la façade sans en corriger d'aucune manière les anomalies. Au-delà de ses charmes faciles, dus à une première impression de régularité cristalline, la façade dissimule en effet dans ses structures et ses proportions des incohérences tout à fait étrangères à la norme toscane du XIIe siècle. Qu'on observe seulement le manque d'alignement entre les pilastres du second et du troisième registre et ceux du premier, désinvolture qui marque la plus totale absence d'intérêt pour les harmonieuses divisions toscanes et pour la correspondance entre l'espace intérieur et les dispositions des surfaces. En second lieu, qu'il suffise de considérer que l'élan apparent du pignon résulte de la poussée réciproque et mécanique vers le haut que les arcs exercent entre eux plutôt que d'une élévation réelle ; en réalité l'aspect complexe tend à annuler la hauteur du pignon, en renfermant la façade dans les schémas rectangulaires qui en Sardaigne se trouveront pleinement affirmés dans le courant de Pistoie, transmis de Sorres à Tergu et à Bulzi, respectivement à Sainte-Marie et à Saint-Pierre des Images (campagnes de construction de 1200-1225), avec la médiation importante du chantier de Saccargia (agrandissement: 1180-1200). Au premier registre la plinthe très basse donne naissance aux pilastres d'angle et est surmontée du talus, interrompu par des socles en forme de dé qui portent les bases aux moulures classiques des lésènes en forte saillie séparant les panneaux. De part et d'autre du panneau central, entièrement occupé par le portail, sont disposées deux arcs qui sont reçus aux extrémités et sur les premières lésènes par des impostes ramassées à moulures plates. Celles des pilastres centraux présentent par contre de raides feuilles d'eau et des caulicoles, sous un tailloir a tablette. Les arcs se recoupent l'un l'autre à leur retombée au point que l'écoinçon débute par un mince pédoncule qui va s'élargissant pour abriter de savantes trames d'incrustations géométriques bicolores fleurs à six pétales et (au centre) losanges inscrits dans des carrés. Les trois arcs médians ont des voussures décorées de feuilles d'acanthe et de caulicoles (pour celle qui borde l'arc de décharge du portail) et de fleurs de lotus accompagnées d'une suite d'oves et de frettes. Les tympans de droite et de gauche contiennent une rosace pisane qui en son centre est percée d'un oculus; les deux adjacents au panneau du portail présentent un losange blanc, intérieurement bordé de noir, avec des côtés garnis d'échelons par l'insertion de triangles noirs, selon un dessin déjà largement appliqué dans la décoration en marbre de la cathédrale de Pise et que l'on voit pour la première fois en Sardaigne au chevet de Sant'Antioco de Bisarcio (achèvement : 1150-1160). Le portail présente des piédroits monolithiques en trachyte, sur des bases identiques à celles des lésènes et des chapiteaux à échelons, mai seulement sur la face interne, car l'autre est lisse, à l'aplomb du linteau noir. Le jeu de contrastes chromatiques marqués s'accentue encore sur l'arc de décharge bicolore rehaussé par deux blocs, et sur la croix en grès incrustée dans le champ noir du tympan.
Comme dans les façades de Pistoie de la deuxième moitié du XIIe siècle (Sant'Andréa, Saint-Barthélemy in Pantano, Saint-Jean Fuorcivitas) le premier registre s'achève par une corniche à doucine renversée; on ne saurait cependant trouver en Toscane de parallèle à la fausse galerie disposée en un second registre parfaitement rectangulaire, c'est-à-dire sans la pente sous les rampants qui délimitent ici un demi-fronton vraiment exigu. Le second registre présente deux panneaux de chaque côté d'une zone médiane divisée en trois qui correspond à la largeur de la nef centrale. La corniche donne naissance à de courts pilastres d'angle et aux deux larges lésènes qui délimitent la partie médiane. S'y juxtapose ici un talus, interrompu lui aussi par les dés qui portent les bases des supports marquant les divisions. Des chapiteaux des colonnettes partent des arcs aux voussures richement décorées, où se retrouvent tous les motifs du répertoire classique; les écoinçons sont dotés d'incrustations comme ceux du premier registre, tandis que dans les tympans s'inscrivent de magnifiques roues pisanes et des losanges à échelons. Dans le panneau central, sur l'axe de la croix du portail et de l'oculus ouvert dans le troisième registre, est percée une fenêtre double dont les cintres retombent sur le sommier, couvrant plus de trois quarts de cercle. De la seconde corniche s'élèvent les pilastres d'angle du pignon, occupé dans le bas par un unique panneau à trois arceaux et terminé par un fronton rehaussé. Les voussures et les écoinçons présentent des ornements analogues à ceux déjà décrits; dans les tympans sont incrustés trois losanges sur une croix de trachyte noir. Comme les pilastres d'angle, la surface du fond est rayée de bandes bicolores; le fronton lui aussi alterne des assises de grès avec d'autres plus étroites en trachyte. Pour examiner la face Nord, il faut franchir la grille de la clôture moderne; de près on apprécie les joints et les encastrements impeccables de l'appareil raffiné des début su XIIe siècle, entièrement blanc; en se plaçant à une certaine distance, on se rend mieux compte de l'absence de pilastre d'angle au flanc de la nef latérale, nu et scandé de trois fenêtres à l'ébrasement lisse. Les arceaux sous le faîte mouluré remontent par contre à l'intervention de 1170-1190 et sont faits d'une suite de voussures semi-circulaires moulurée reçues par des modillons diversement décorés et bordent des tympans monolithiques où est incrusté un assortiment de motifs géométriques ; les écoinçons entre les arceaux forment un contraste car ils sont réalisés en trachyte sombre.Le mur haut de la nef centrale est encadré de pilastres d'angle; la corniche terminale aligne des incrustations triangulaires en dents de scie et prend appui sur des modillons très rapprochés. Les fenêtres à ébrasement lisse ont des cintres nettement brisés où s'insère une feuille d'eau à pointe renversée, motif lucquois présent en Sardaigne à Saint-Nicolas de Silanos et repris de Sorres à Saint-Pierre des Images à Bulzi. Si les flancs se ressentent du manque d'harmonie entre la recherche décorative de Pistoie et l'austérité lucquoise des parties plus anciennes, le chevet apparaît stylistiquement plus unifié même par rapport à la façade, certainement parce que déjà dans le demi-cylindre de l'abside élancée apparaissent des assises bicolores qui d'une certaine façon préparent au parement en deux couleurs du pignon. Les structures du début du siècle s'élèvent sans plinthe sensible; aussi bien l'abside que les murs terminaux des nefs latérales sont lisses et continus, à l'exception de l'ouverture des fenêtres à ébrasements lisses et à cintre monolithique. Le long des rampants à faible pente font retour la corniche et l'arcature des flancs, avec des caractéristiques analogues; remarquons toutefois les continuelles variantes dans les ornements et le classicisme intégral selon lequel sont interprétées les rangées d'oves, de denticules et de fusarolles qui se déploient sous Fégout du toit du cul-de-four. La fausse galerie du pignon reçoit son élan d'un large pan de mur au parement strié de blanc et de noir qui ne présente pas de pilastres d'angle. Lui fait suite la corniche de base en dents de scie, portée par des modillons comme sur les flancs ; puis les cinq panneaux de la fausse galerie sur un champ aux assises bicolores. Les éléments de séparation sont des colonnes sur lesquelles retombent des arceaux parallèles aux rampants; sous la voussure à feuilles d'eau de l'arceau central est incrustée une croix blanche dans un rond noir. ...le flanc méridional, nous y noterons - par rapport à l'arcature Nord - la plus grande variété des motifs géométriques incrustés dans les tympans (peltes, fleurs à six pétales, combinaisons de cercles, de losanges, de carrés) et des ornements sculptés sur les modillons : feuilles d'eau, tores, volutes ioniques, oves, fleurs de lotus. Pour le reste, le flanc Sud est conçu de façon semblable à l'autre, à l'exception du portail avec piédroits, linteau et arc de décharge à l'aplomb du parement; seul le tympan bordé d'un arc est en retrait sensible. Les piédroits sombres, dépourvus de bases, portent des blocs clairs en guise de chapiteaux pour servir d'appui au linteau en trachyte; l'arc de décharge au cintre surhaussé est composé de claveaux bicolores.
En entrant dans l'église, on ne peut qu'être rempli d'admiration devant le magnifique spectacle d'un espace nettement défini dans le sens horizontal par les zébrures des supports, et prolongé de façon illimitée à la verticale par l'obscurité des sombres voûtes en trachyte. La cohésion entre des façons aussi diverses de réagir à la lumière est assurée par les arcs transversaux bicolores qui, partant des impostes des pilastres adossés aux piliers, séparent de leur courbe les voûtes d'arêtes de chaque travée, fournissant un cadre de cohérence architecturale et visuelle aussi claire qu'animée. Si l'on dépasse les préjugés d'une fausse conception du mur roman comme étant exclusivement dépouillé et austère - celle-là même qui a causé la suppression de l'enduit interne à Saccargia, zébré de blanc et de noir et peut-être fidèle à l'aspect primitif-, on devra sans aucun doute reconnaître en Saint-Pierre de Sorres l'un des monuments les plus suggestifs de l'architecture médiévale en Sardaigne. Les arcs qui s'ouvrent dans les murs de séparation des nefs prennent appui sur le revers de la façade et sur le mur terminal des collatéraux par l'intermédiaire de robustes pilastres sans impostes; les piliers sont de section cruciforme car à chaque face sont adossés des pilastres qui à la même hauteur donnent naissance à deux arcs successifs et à un troisième, transversal, séparant les travées des nefs latérales. Sur le mur gouttereau, ce dernier est reçu par un pilastre au chapiteau très ramassé. A un niveau beaucoup plus élevé, le quatrième pilastre se termine (comme les autres) par une imposte décorée de feuilles d'eau et de caulicoles sur laquelle retombe l'arc transversal qui sépare les voûtes d'arêtes contiguës dans la nef centrale. Tandis que les murs sont de couleur claire, chacune des voûtes est réalisée en petits blocs de trachyte noir ; la singulière technique de construction transforme progressivement la voûte d'arêtes en une coupole, en sorte que de telles voûtes ont été de façon pertinente appelées cupuliformes. L'abside elle-même, à l'exception de zébrures intermittentes, est toute en grès doré, comme l'arc d'entrée qui marque un léger retrait à angle vif. Le cul-de-four est par contre zébré dans une moitié, et dans celle du haut complètement noir, continuant la perspective de la nef médiane. Au XVIe siècle le sanctuaire fut doté d'un retable peint, dont il ne reste que la Vierge à l'Enfant, sculpture sur bois de l'école espagnole; du fait de la dispersion du polyptyque, se trouve remis au jour l'autel peut-être originel, avec une table rectangulaire portée par six colon-nettes. Un autre élément subsistant du mobilier roman du sanctuaire présente un intérêt spécial : le chancel composé de deux plaques carrées où est inscrit un cercle à bordure et disque central en relief (pl. 133). La plaque, avec incrustations à l'origine, se situe chronologiquement au voisinage de pièces analogues à Pistoie ; on a proposé de la placer à une date intermédiaire entre les prototypes de Guillaume pour la cathédrale de Pise et les réalisations de Guido Bigarelli de Corne pour le baptistère de cette ville. Indubitablement la source en est pisane, comme il est vrai que le chancel de Sorres paraît faible à côté de l'extraordinaire invention des prédécesseurs de Guillaume et de son école, et cependant moins raide et académique que les sculptures de Guido. Il faut aussi remarquer que les ornements se révèlent tout à fait analogues à ceux dont les sculpteurs ont si largement pourvu le décor extérieur de Saint-Pierre lui-même; on pourrait donc en toute assurance accepter, pour cette plaque et pour une autre dont il ne reste que des fragments, une datation assez peu éloignée des années 1170-1190, c'est-à-dire contemporaine du «complément» de la cathédrale de Sorres.
(extrait de : Sardaigne romane ; Renata Serra, Ed. du Zodiaque, Coll. La Nuit des Temps, 1979, pp. 335-345)
Descriptif de l'édifice en italien (avec coordonnées GPS) : "Carta e Guida alle Chiese Romaniche della Sardegna" ; Sando Mezzolani, Collana NATURA e ARCHEOLOGIA, Alpha Editoriale, 2. éd. 2007
Eglise San-Pietro-di-Sorres à Borutta
Eglise romane San-Pietro-di-Sorres ; commune de Borutta, province de Sassari, Sardaigne, Italie
En gravissant la colline sur laquelle s'élève l'église, on en aperçoit graduellement la masse imposante, dominée par la façade principale, avec à droite le bâtiment moderne du monastère bénédictin. Avant d'examiner la façade, il convient d'en relever les éléments inauthentiques, pour tenir compte uniquement des éléments originels. Comme à la Très-Sainte-Trinité de Saccargia, la restauration (1895) fut menée dans le dessein avoué de retrouver l'aspect roman supposé de l'édifice. Cela signifie qu'à Saint-Pierre de Sorres également on est intervenu de façon aussi radicale sur les moulures et sur les incrustations, refaites entièrement en remplaçant ce qui demeurait des matériaux originels, en grande partie disparus. De la comparaison entre des photographies avant restauration et la façade actuelle, on conclut à la restitution fidèle des ornements du premier registre; au second, à l'interprétation des arcades sur la base des brefs segments subsistant des trois premières voussures de gauche, ainsi qu'à la copie des colonnes et des chapiteaux d'après l'unique support demeuré en place à gauche. Entièrement restaurée anciennement déjà, la fenêtre double ne garde de l'ouverture originelle que le dessin islamique des cintres, retaillés en fer à cheval dans un tympan avec incrustation de conception moderne. Au troisième registre, les voussures sont toutes dues à la restauration, comme aussi le cercle où s'inscrit une croix (copié sur celui de l'abside) dont restait l'emplacement mais aucune autre trace permettant de vérifier la légitimité de l'opération. La même documentation photographique, en partie reproduite par Delogu, permet de se rendre compte que les interventions ont cependant respecté l'agencement général de la façade sans en corriger d'aucune manière les anomalies. Au-delà de ses charmes faciles, dus à une première impression de régularité cristalline, la façade dissimule en effet dans ses structures et ses proportions des incohérences tout à fait étrangères à la norme toscane du XIIe siècle. Qu'on observe seulement le manque d'alignement entre les pilastres du second et du troisième registre et ceux du premier, désinvolture qui marque la plus totale absence d'intérêt pour les harmonieuses divisions toscanes et pour la correspondance entre l'espace intérieur et les dispositions des surfaces. En second lieu, qu'il suffise de considérer que l'élan apparent du pignon résulte de la poussée réciproque et mécanique vers le haut que les arcs exercent entre eux plutôt que d'une élévation réelle ; en réalité l'aspect complexe tend à annuler la hauteur du pignon, en renfermant la façade dans les schémas rectangulaires qui en Sardaigne se trouveront pleinement affirmés dans le courant de Pistoie, transmis de Sorres à Tergu et à Bulzi, respectivement à Sainte-Marie et à Saint-Pierre des Images (campagnes de construction de 1200-1225), avec la médiation importante du chantier de Saccargia (agrandissement: 1180-1200). Au premier registre la plinthe très basse donne naissance aux pilastres d'angle et est surmontée du talus, interrompu par des socles en forme de dé qui portent les bases aux moulures classiques des lésènes en forte saillie séparant les panneaux. De part et d'autre du panneau central, entièrement occupé par le portail, sont disposées deux arcs qui sont reçus aux extrémités et sur les premières lésènes par des impostes ramassées à moulures plates. Celles des pilastres centraux présentent par contre de raides feuilles d'eau et des caulicoles, sous un tailloir a tablette. Les arcs se recoupent l'un l'autre à leur retombée au point que l'écoinçon débute par un mince pédoncule qui va s'élargissant pour abriter de savantes trames d'incrustations géométriques bicolores fleurs à six pétales et (au centre) losanges inscrits dans des carrés. Les trois arcs médians ont des voussures décorées de feuilles d'acanthe et de caulicoles (pour celle qui borde l'arc de décharge du portail) et de fleurs de lotus accompagnées d'une suite d'oves et de frettes. Les tympans de droite et de gauche contiennent une rosace pisane qui en son centre est percée d'un oculus; les deux adjacents au panneau du portail présentent un losange blanc, intérieurement bordé de noir, avec des côtés garnis d'échelons par l'insertion de triangles noirs, selon un dessin déjà largement appliqué dans la décoration en marbre de la cathédrale de Pise et que l'on voit pour la première fois en Sardaigne au chevet de Sant'Antioco de Bisarcio (achèvement : 1150-1160). Le portail présente des piédroits monolithiques en trachyte, sur des bases identiques à celles des lésènes et des chapiteaux à échelons, mai seulement sur la face interne, car l'autre est lisse, à l'aplomb du linteau noir. Le jeu de contrastes chromatiques marqués s'accentue encore sur l'arc de décharge bicolore rehaussé par deux blocs, et sur la croix en grès incrustée dans le champ noir du tympan.
Comme dans les façades de Pistoie de la deuxième moitié du XIIe siècle (Sant'Andréa, Saint-Barthélemy in Pantano, Saint-Jean Fuorcivitas) le premier registre s'achève par une corniche à doucine renversée; on ne saurait cependant trouver en Toscane de parallèle à la fausse galerie disposée en un second registre parfaitement rectangulaire, c'est-à-dire sans la pente sous les rampants qui délimitent ici un demi-fronton vraiment exigu. Le second registre présente deux panneaux de chaque côté d'une zone médiane divisée en trois qui correspond à la largeur de la nef centrale. La corniche donne naissance à de courts pilastres d'angle et aux deux larges lésènes qui délimitent la partie médiane. S'y juxtapose ici un talus, interrompu lui aussi par les dés qui portent les bases des supports marquant les divisions. Des chapiteaux des colonnettes partent des arcs aux voussures richement décorées, où se retrouvent tous les motifs du répertoire classique; les écoinçons sont dotés d'incrustations comme ceux du premier registre, tandis que dans les tympans s'inscrivent de magnifiques roues pisanes et des losanges à échelons. Dans le panneau central, sur l'axe de la croix du portail et de l'oculus ouvert dans le troisième registre, est percée une fenêtre double dont les cintres retombent sur le sommier, couvrant plus de trois quarts de cercle. De la seconde corniche s'élèvent les pilastres d'angle du pignon, occupé dans le bas par un unique panneau à trois arceaux et terminé par un fronton rehaussé. Les voussures et les écoinçons présentent des ornements analogues à ceux déjà décrits; dans les tympans sont incrustés trois losanges sur une croix de trachyte noir. Comme les pilastres d'angle, la surface du fond est rayée de bandes bicolores; le fronton lui aussi alterne des assises de grès avec d'autres plus étroites en trachyte. Pour examiner la face Nord, il faut franchir la grille de la clôture moderne; de près on apprécie les joints et les encastrements impeccables de l'appareil raffiné des début su XIIe siècle, entièrement blanc; en se plaçant à une certaine distance, on se rend mieux compte de l'absence de pilastre d'angle au flanc de la nef latérale, nu et scandé de trois fenêtres à l'ébrasement lisse. Les arceaux sous le faîte mouluré remontent par contre à l'intervention de 1170-1190 et sont faits d'une suite de voussures semi-circulaires moulurée reçues par des modillons diversement décorés et bordent des tympans monolithiques où est incrusté un assortiment de motifs géométriques ; les écoinçons entre les arceaux forment un contraste car ils sont réalisés en trachyte sombre.Le mur haut de la nef centrale est encadré de pilastres d'angle; la corniche terminale aligne des incrustations triangulaires en dents de scie et prend appui sur des modillons très rapprochés. Les fenêtres à ébrasement lisse ont des cintres nettement brisés où s'insère une feuille d'eau à pointe renversée, motif lucquois présent en Sardaigne à Saint-Nicolas de Silanos et repris de Sorres à Saint-Pierre des Images à Bulzi. Si les flancs se ressentent du manque d'harmonie entre la recherche décorative de Pistoie et l'austérité lucquoise des parties plus anciennes, le chevet apparaît stylistiquement plus unifié même par rapport à la façade, certainement parce que déjà dans le demi-cylindre de l'abside élancée apparaissent des assises bicolores qui d'une certaine façon préparent au parement en deux couleurs du pignon. Les structures du début du siècle s'élèvent sans plinthe sensible; aussi bien l'abside que les murs terminaux des nefs latérales sont lisses et continus, à l'exception de l'ouverture des fenêtres à ébrasements lisses et à cintre monolithique. Le long des rampants à faible pente font retour la corniche et l'arcature des flancs, avec des caractéristiques analogues; remarquons toutefois les continuelles variantes dans les ornements et le classicisme intégral selon lequel sont interprétées les rangées d'oves, de denticules et de fusarolles qui se déploient sous Fégout du toit du cul-de-four. La fausse galerie du pignon reçoit son élan d'un large pan de mur au parement strié de blanc et de noir qui ne présente pas de pilastres d'angle. Lui fait suite la corniche de base en dents de scie, portée par des modillons comme sur les flancs ; puis les cinq panneaux de la fausse galerie sur un champ aux assises bicolores. Les éléments de séparation sont des colonnes sur lesquelles retombent des arceaux parallèles aux rampants; sous la voussure à feuilles d'eau de l'arceau central est incrustée une croix blanche dans un rond noir. ...le flanc méridional, nous y noterons - par rapport à l'arcature Nord - la plus grande variété des motifs géométriques incrustés dans les tympans (peltes, fleurs à six pétales, combinaisons de cercles, de losanges, de carrés) et des ornements sculptés sur les modillons : feuilles d'eau, tores, volutes ioniques, oves, fleurs de lotus. Pour le reste, le flanc Sud est conçu de façon semblable à l'autre, à l'exception du portail avec piédroits, linteau et arc de décharge à l'aplomb du parement; seul le tympan bordé d'un arc est en retrait sensible. Les piédroits sombres, dépourvus de bases, portent des blocs clairs en guise de chapiteaux pour servir d'appui au linteau en trachyte; l'arc de décharge au cintre surhaussé est composé de claveaux bicolores.
En entrant dans l'église, on ne peut qu'être rempli d'admiration devant le magnifique spectacle d'un espace nettement défini dans le sens horizontal par les zébrures des supports, et prolongé de façon illimitée à la verticale par l'obscurité des sombres voûtes en trachyte. La cohésion entre des façons aussi diverses de réagir à la lumière est assurée par les arcs transversaux bicolores qui, partant des impostes des pilastres adossés aux piliers, séparent de leur courbe les voûtes d'arêtes de chaque travée, fournissant un cadre de cohérence architecturale et visuelle aussi claire qu'animée. Si l'on dépasse les préjugés d'une fausse conception du mur roman comme étant exclusivement dépouillé et austère - celle-là même qui a causé la suppression de l'enduit interne à Saccargia, zébré de blanc et de noir et peut-être fidèle à l'aspect primitif-, on devra sans aucun doute reconnaître en Saint-Pierre de Sorres l'un des monuments les plus suggestifs de l'architecture médiévale en Sardaigne. Les arcs qui s'ouvrent dans les murs de séparation des nefs prennent appui sur le revers de la façade et sur le mur terminal des collatéraux par l'intermédiaire de robustes pilastres sans impostes; les piliers sont de section cruciforme car à chaque face sont adossés des pilastres qui à la même hauteur donnent naissance à deux arcs successifs et à un troisième, transversal, séparant les travées des nefs latérales. Sur le mur gouttereau, ce dernier est reçu par un pilastre au chapiteau très ramassé. A un niveau beaucoup plus élevé, le quatrième pilastre se termine (comme les autres) par une imposte décorée de feuilles d'eau et de caulicoles sur laquelle retombe l'arc transversal qui sépare les voûtes d'arêtes contiguës dans la nef centrale. Tandis que les murs sont de couleur claire, chacune des voûtes est réalisée en petits blocs de trachyte noir ; la singulière technique de construction transforme progressivement la voûte d'arêtes en une coupole, en sorte que de telles voûtes ont été de façon pertinente appelées cupuliformes. L'abside elle-même, à l'exception de zébrures intermittentes, est toute en grès doré, comme l'arc d'entrée qui marque un léger retrait à angle vif. Le cul-de-four est par contre zébré dans une moitié, et dans celle du haut complètement noir, continuant la perspective de la nef médiane. Au XVIe siècle le sanctuaire fut doté d'un retable peint, dont il ne reste que la Vierge à l'Enfant, sculpture sur bois de l'école espagnole; du fait de la dispersion du polyptyque, se trouve remis au jour l'autel peut-être originel, avec une table rectangulaire portée par six colon-nettes. Un autre élément subsistant du mobilier roman du sanctuaire présente un intérêt spécial : le chancel composé de deux plaques carrées où est inscrit un cercle à bordure et disque central en relief (pl. 133). La plaque, avec incrustations à l'origine, se situe chronologiquement au voisinage de pièces analogues à Pistoie ; on a proposé de la placer à une date intermédiaire entre les prototypes de Guillaume pour la cathédrale de Pise et les réalisations de Guido Bigarelli de Corne pour le baptistère de cette ville. Indubitablement la source en est pisane, comme il est vrai que le chancel de Sorres paraît faible à côté de l'extraordinaire invention des prédécesseurs de Guillaume et de son école, et cependant moins raide et académique que les sculptures de Guido. Il faut aussi remarquer que les ornements se révèlent tout à fait analogues à ceux dont les sculpteurs ont si largement pourvu le décor extérieur de Saint-Pierre lui-même; on pourrait donc en toute assurance accepter, pour cette plaque et pour une autre dont il ne reste que des fragments, une datation assez peu éloignée des années 1170-1190, c'est-à-dire contemporaine du «complément» de la cathédrale de Sorres.
(extrait de : Sardaigne romane ; Renata Serra, Ed. du Zodiaque, Coll. La Nuit des Temps, 1979, pp. 335-345)
Descriptif de l'édifice en italien (avec coordonnées GPS) : "Carta e Guida alle Chiese Romaniche della Sardegna" ; Sando Mezzolani, Collana NATURA e ARCHEOLOGIA, Alpha Editoriale, 2. éd. 2007