kristobalite
Basilique Saint-Andoche de Saulieu
Basilique (partiellement) romane Saint-Andoche ; commune de Saulieu, Côte d'Or 21, Bourgogne, France
Tronquée, mutilée, l'église Saint-Andoche tire des plaies mêmes qu'elle affiche l'un de ses effets les plus puissants. L'insignifiance de la façade sculptée, qu'accostent deux robustes tours carrées, et, à l'intérieur, la disparition du chœur roman concentrent l'attention sur la nef longue de six travées, qui vont s'élargissant imperceptiblement d'Ouest en Est ... Quant à la travée orientale de la nef, elle débouche sur un chœur sensiblement plus large, long de deux travées et fermé par un chevet polygonal... [La] nef de la collégiale de Saulieu appartient au groupe monumental inspiré par la grande église de Cluny III. Le fait est qu'elle en reproduit les principes structuraux essentiels, soit le voûtement du vaisseau central en berceau brisé que contre-butent les arêtes collatérales, et l'élévation à triple étage : grandes arcades en cintre brisé, placage de faux triforium, fenêtres hautes ... D'une travée à l'autre se répète la même ordonnance. Les grandes arcades, brisées, sont à double rouleau, portent sur des piles cruciformes; dans les dosserets de ces supports sont engagées quatre demi-colonnes, qui dessinent des sections quadrilobées. Plaqué sur la paroi de la nef, et répudiant les transmissions par relais de l'élévation clunisienne classique, le système dosseret-colonne monte d'un trait jusqu'aux hautes voûtes, où il reçoit les arcs-doubleaux par l'intermédiaire de chapiteaux sculptés de seuls feuillages. Deux cordons moulurés en doucine (cette souple modénature à contre-courbe, héritée de l'antiquité classique, eut la faveur des maîtres romans du XIIe siècle) délimitent l'étage du faux triforium; enveloppant dosserets et demi-colonnes, ils rompent de leur stricte cadence la monotonie d'une élévation un peu sèche. Dans chaque travée, la galerie se compose d'une quadruple arcature aveugle en plein cintre. Les arêtes des arcs s'amortissent en une mouluration concave, que reçoivent des pilastres aux angles abattus, et, aux extrémités, des colonnettes. Point de chapiteaux : de simples bagues d'impostes moulurées, qui annoncent curieusement certains profils de gothique tardif. On note que ce placage fait retour au revers du mur de façade, où l'arcade centrale s'épanouit joliment, pour loger un autel dédié, selon un usage fréquent, à l'archange saint Michel. Au troisième étage enfin, une seule fenêtre en plein cintre par travée, sans le moindre ornement, et, soulignant la retombée du berceau, une corniche qui constitue le tailloir des chapiteaux supérieurs.
Les chapiteaux
Il n'est pas moins évident que la grandiose nudité structurale de l'église Saint-Andoche accuse par contraste la magnificence des chapiteaux sculptés. Pour mieux illustrer cet unique et prestigieux ornement concédé à son génie propre, l'architecte s'est comme effacé. Affranchis de l'escorte des guirlandes, des rubans, des perles et des fleurs, les chapiteaux se découpent dès lors avec une force, un relief, une franchise exceptionnels. Sur la cinquantaine que comporte la nef, la majeure partie interprète avec une aisance et une variété extrêmes les répertoires végétaux d'acanthe et de plantes grasses, voire de feuilles de charme délicatement nervées. L'un d'eux invente de terminer les volutes d'acanthe par des masques humains grotesques qui se projettent en plein vide comme des figures de cauchemar ; ailleurs, une chouette plante ses griffes parmi les découpes du feuillage. Les thèmes purement animaux sont rares : un chapiteau présente ces deux aigles aux ailes largement éployées que traitait déjà un chapiteau du chœur d'Anzy-le-Duc (vers 1050), mais le progrès du style en accomplit magnifiquement à Saulieu le parti décoratif; sur un autre, bizarrement associé à la Fuite en Egypte, c'est le fameux combat de coqs; un troisième montre deux sangliers affrontés, debout sur leurs pattes de derrière et tout hérissés de fureur; deux hommes les tiennent par la queue et s'apprêtent à les frapper. Sur un quatrième, deux « vouivres », ces monstres maléfiques du bestiaire fabuleux, s'embrassent. Un centaure sagittaire est sculpté au haut du collatéral Nord; et ce sont ailleurs une louve, des colombes, des chèvres affrontées qu'accompagnent un cochon et un ours, toute cette singulière ménagerie gardée par un pâtre jouant de l'olifant ! Les sujets sont traités avec une verve truculente qui touche parfois à la bouffonnerie, une fantaisie désordonnée qui déconcerte la raison et ne permet guère de rechercher sous ces figurations le moindre symbole mystique ou moral. Les cinq chapiteaux « bibliques » qui sont l'orgueil de la collégiale de Saulieu obéissent-ils eux-mêmes à un programme préconçu et à une préoccupation d'enseignement doctrinal ? Le décousu de l'iconographie semble bien en premier le contredire. A la scène étrange du prophète Balaam arrêté par un ange tandis qu'il chemine sur son âne répond, sur le pilier symétrique, la Résurrection du Christ. A la travée suivante s'exprime peut-être une arrière-pensée antithétique : à gauche, le démon tente le Christ ; à droite, il pend le traître Judas. Mais la Fuite en Egypte, figurée sur la pile suivante, ne trouve plus en face d'elle que le combat des sangliers ! Force est bien de conclure, et la remarque ne vaut pas seulement pour Saulieu, que le choix des scènes parmi l'immense répertoire de l'Ancien et du Nouveau Testament, leur disposition dans l'église, ne paraissent inspirés et dictés que par leur intensité plastique, et le souci d'un placement qui, sous la lumière frisante et caressante, en sache exalter les reliefs fouillés. L'étonnante sensualité romane éclate à plein, qui comble d'abord la joie des yeux et ne propose qu'ensuite sa discrète leçon.
(extrait de : Bourgogne romane ; Raymond Oursel, Ed. Zodiaque, Coll. La nuit des Temps, 1974, pp. 189-201)
Basilique Saint-Andoche de Saulieu
Basilique (partiellement) romane Saint-Andoche ; commune de Saulieu, Côte d'Or 21, Bourgogne, France
Tronquée, mutilée, l'église Saint-Andoche tire des plaies mêmes qu'elle affiche l'un de ses effets les plus puissants. L'insignifiance de la façade sculptée, qu'accostent deux robustes tours carrées, et, à l'intérieur, la disparition du chœur roman concentrent l'attention sur la nef longue de six travées, qui vont s'élargissant imperceptiblement d'Ouest en Est ... Quant à la travée orientale de la nef, elle débouche sur un chœur sensiblement plus large, long de deux travées et fermé par un chevet polygonal... [La] nef de la collégiale de Saulieu appartient au groupe monumental inspiré par la grande église de Cluny III. Le fait est qu'elle en reproduit les principes structuraux essentiels, soit le voûtement du vaisseau central en berceau brisé que contre-butent les arêtes collatérales, et l'élévation à triple étage : grandes arcades en cintre brisé, placage de faux triforium, fenêtres hautes ... D'une travée à l'autre se répète la même ordonnance. Les grandes arcades, brisées, sont à double rouleau, portent sur des piles cruciformes; dans les dosserets de ces supports sont engagées quatre demi-colonnes, qui dessinent des sections quadrilobées. Plaqué sur la paroi de la nef, et répudiant les transmissions par relais de l'élévation clunisienne classique, le système dosseret-colonne monte d'un trait jusqu'aux hautes voûtes, où il reçoit les arcs-doubleaux par l'intermédiaire de chapiteaux sculptés de seuls feuillages. Deux cordons moulurés en doucine (cette souple modénature à contre-courbe, héritée de l'antiquité classique, eut la faveur des maîtres romans du XIIe siècle) délimitent l'étage du faux triforium; enveloppant dosserets et demi-colonnes, ils rompent de leur stricte cadence la monotonie d'une élévation un peu sèche. Dans chaque travée, la galerie se compose d'une quadruple arcature aveugle en plein cintre. Les arêtes des arcs s'amortissent en une mouluration concave, que reçoivent des pilastres aux angles abattus, et, aux extrémités, des colonnettes. Point de chapiteaux : de simples bagues d'impostes moulurées, qui annoncent curieusement certains profils de gothique tardif. On note que ce placage fait retour au revers du mur de façade, où l'arcade centrale s'épanouit joliment, pour loger un autel dédié, selon un usage fréquent, à l'archange saint Michel. Au troisième étage enfin, une seule fenêtre en plein cintre par travée, sans le moindre ornement, et, soulignant la retombée du berceau, une corniche qui constitue le tailloir des chapiteaux supérieurs.
Les chapiteaux
Il n'est pas moins évident que la grandiose nudité structurale de l'église Saint-Andoche accuse par contraste la magnificence des chapiteaux sculptés. Pour mieux illustrer cet unique et prestigieux ornement concédé à son génie propre, l'architecte s'est comme effacé. Affranchis de l'escorte des guirlandes, des rubans, des perles et des fleurs, les chapiteaux se découpent dès lors avec une force, un relief, une franchise exceptionnels. Sur la cinquantaine que comporte la nef, la majeure partie interprète avec une aisance et une variété extrêmes les répertoires végétaux d'acanthe et de plantes grasses, voire de feuilles de charme délicatement nervées. L'un d'eux invente de terminer les volutes d'acanthe par des masques humains grotesques qui se projettent en plein vide comme des figures de cauchemar ; ailleurs, une chouette plante ses griffes parmi les découpes du feuillage. Les thèmes purement animaux sont rares : un chapiteau présente ces deux aigles aux ailes largement éployées que traitait déjà un chapiteau du chœur d'Anzy-le-Duc (vers 1050), mais le progrès du style en accomplit magnifiquement à Saulieu le parti décoratif; sur un autre, bizarrement associé à la Fuite en Egypte, c'est le fameux combat de coqs; un troisième montre deux sangliers affrontés, debout sur leurs pattes de derrière et tout hérissés de fureur; deux hommes les tiennent par la queue et s'apprêtent à les frapper. Sur un quatrième, deux « vouivres », ces monstres maléfiques du bestiaire fabuleux, s'embrassent. Un centaure sagittaire est sculpté au haut du collatéral Nord; et ce sont ailleurs une louve, des colombes, des chèvres affrontées qu'accompagnent un cochon et un ours, toute cette singulière ménagerie gardée par un pâtre jouant de l'olifant ! Les sujets sont traités avec une verve truculente qui touche parfois à la bouffonnerie, une fantaisie désordonnée qui déconcerte la raison et ne permet guère de rechercher sous ces figurations le moindre symbole mystique ou moral. Les cinq chapiteaux « bibliques » qui sont l'orgueil de la collégiale de Saulieu obéissent-ils eux-mêmes à un programme préconçu et à une préoccupation d'enseignement doctrinal ? Le décousu de l'iconographie semble bien en premier le contredire. A la scène étrange du prophète Balaam arrêté par un ange tandis qu'il chemine sur son âne répond, sur le pilier symétrique, la Résurrection du Christ. A la travée suivante s'exprime peut-être une arrière-pensée antithétique : à gauche, le démon tente le Christ ; à droite, il pend le traître Judas. Mais la Fuite en Egypte, figurée sur la pile suivante, ne trouve plus en face d'elle que le combat des sangliers ! Force est bien de conclure, et la remarque ne vaut pas seulement pour Saulieu, que le choix des scènes parmi l'immense répertoire de l'Ancien et du Nouveau Testament, leur disposition dans l'église, ne paraissent inspirés et dictés que par leur intensité plastique, et le souci d'un placement qui, sous la lumière frisante et caressante, en sache exalter les reliefs fouillés. L'étonnante sensualité romane éclate à plein, qui comble d'abord la joie des yeux et ne propose qu'ensuite sa discrète leçon.
(extrait de : Bourgogne romane ; Raymond Oursel, Ed. Zodiaque, Coll. La nuit des Temps, 1974, pp. 189-201)