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et maintenant traversée par un épieu sanglant dans des hurlements de Cyclope, tel est l’antre phonologique, générateur du langage, choc épineux d’un enfant surpris au gîte utérin par un père-monstre trop tôt rentré dans un ventre devenu entre-temps incestueux. Il faut en sortir, crever le monstre et l’issue, asymétriser la caverne en orientant les tensions, faire siffler l’épieu aveuglant comme les flèches stymphaliennes, et enfin aérer.

 

Voilà pour les structures mytho-bruyantes, du lac comme de la gorge. Les signes sont autant loquaces : l’arc tendu simule un Sigma majuscule, les cymbales, et les flèches tombées au sol composent en tas une sorte de Phi démultiplié, et désormais le lac est demeure du pur solaire, charpentée comme un Lambda. Ce qui s’articulait dans l’arc, c’est le bruit du sifflement (se, phe, le), mais aussi le nom du lac maudit (Stymphale), à présent régénéré. Le son héracléo-acoustique quitte la bouche et file dans l’espace de salut, décrivant une écharpe irisienne, une courbe-message, la voûte d’un nouveau ciel.

 

Toute la musique du monde dresse et tend les oppositions, les équilibres, les maintiens, les efforts, les axes de construction, les fantasmes, les vacarmes du dedans tumultueux, la joie de tendre et la mort promise. S’adosser efficacement à une réalité extérieure qui articule et stabilise ses structures, puis entrer en soi-même par vertige et tumescence périlleuse, enfin lâcher prise et descendre, descendre, monter, monter, sortir, sortir, dans le sang et le feu, à l’air, au grand air, au soleil de Stymphale, angoissé et purifiés, révolutionnés et vivants. Le vent dans les chênes et les pins lyriques, au loin dans le parc l’écho d’un piano, des cris joyeux d’enfants sous l’immense tilleul protecteur et intouchable, la rivière qui descend sur un mode hölerlinien vers la vallée, des oiseaux devenus boschiens, en mal d’amour, pénétrant la maison dans ses recoins et ses loges multiples, et d’énormes montagnes de granit qui siègent tout près. D’en haut on peut voir le bleu intense de la mer.

 

Cette souche érigée à flanc de montagne, prise au lierre tortueux et suggestive d’un arc tendu par un archer mythique, fournit des formes, des intériorités dynamiques, des chutes fantasmatiques, convoquant des traditions technologiques et spirituelles, le zen, les présocratiques, les agonies homériques, les penseurs modernes du monde machinal (Verne et Marx). La grande loi de cet art naturel c’est l’intériorité de la réversibilité, le dedans creux et profond de la symétrie, l’ouvert introspectif d’un inconscient déchiré et béant, un espace concave qui abrite et ordonne des sons sourds et peu formalisés. Cet espace du dedans est aussi bien celui du ciel, traversé par des fauteuils relativistes comme celui de Lone Sloane (le trône de pierre chez Philippe Druillet), que celui de la terre, arpentée par Axel, ou que celui de l’atelier du mal moderne, la mine noire et douloureuse de l’élaboration des marchandises. Des bruits et des spectres hantent ces topologies intimes et seul le rythme peut plier, courber, tendre ces surfaces concavées,

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Uploaded on March 13, 2012
Taken on March 8, 2012