Hypnos au Cimetière du Père Lachaise
Dans son livre intitulé L’homme devant la mort, Philippe Ariès écrit : « Le repos est à la fois l’image la plus ancienne, la plus populaire et la plus constante de l’au-delà. Elle n’a pas encore disparu aujourd’hui, malgré la concurrence d’autres types de représentation » [1]
[1]
P. Ariès, L’homme devant la mort, Paris, Seuil, 1977, p. 32.. Dans la mythologie antique, Hypnos et Thanatos sont frères jumeaux. Or le rapprochement du sommeil et de la mort n’est pas le seul fait des Grecs. Des sociologues et des historiens [2]
[2]
Voir P. Boyancé, Le sommeil et l’immortalité, extrait des… se sont penchés sur cette gémellité et en ont trouvé des traces chez les Romains, dans les textes médiévaux [3]
[3]
P. Ariès cite les adieux d’Olivier et de Roland (L’homme devant…, mais aussi, loin de l’Occident, chez de nombreux peuples dits « primitifs » [4]
[4]
E. Morin cite par exemple le proverbe boshiman : « la mort est…. À la Renaissance, certains penseurs – théologiens, médecins, poètes et écrivains – reprennent cette association traditionnelle du sommeil et de la mort, et lui donnent souvent une portée qu’elle était loin d’avoir dans les textes antiques.
2Après avoir analysé les raisons d’une telle association entre le sommeil et la mort, nous nous pencherons sur l’évolution de ce thème à la Renaissance, et, dans un dernier temps, nous relèverons les traces d’un tel rapprochement sous la plume d’un des plus grands poètes du xvie siècle, Pierre de Ronsard [5]
[5]
Voir également C. Pigné, Le Sommeil, la Fantaisie : l’âme,….
I – La mort est un « sommeil »
3Les raisons d’un tel rapprochement peuvent être nombreuses. La plus évidente est l’analogie entre le corps d’un homme endormi et celui d’un cadavre : même position allongée, même baisse de la température corporelle, mêmes yeux fermés, apparente décontraction, « inconscience ». Mais cette ressemblance ne résiste pas aux simples données de l’expérience. Le corps d’un homme mort ne ressemble à celui du dormeur que quelques heures ; il est ensuite inéluctablement entraîné dans le processus de décomposition [6]
[6]
Voir E. Morin, L’homme et la mort, op. cit., p. 139.. De plus, le dormeur « sort » de son sommeil ; le cadavre ne peut « sortir » de la mort.
4Il faut donc chercher ailleurs les causes d’une telle analogie, loin de la simple observation visuelle. Cette association a comme but principal d’euphémiser la mort, de supprimer ce qui fait d’elle l’altérité absolue, de la rapprocher d’un état connu, rassurant, que traverse l’homme chaque jour : le sommeil. Le discours de Socrate à la veille de sa mort est, à cet égard, révélateur : la mort n’est peut-être qu’une nuit sans rêves [7]
[7]
Voir Platon, Apologie de Socrate, 40c.. À la Renaissance, Montaigne reprend le raisonnement socratique au livre III des Essais : « Si c’est un anéantissement de notre être, c’est encore amendement d’entrer en une longue et paisible nuit. Nous ne sentons rien de plus doux en la vie, qu’un repos et sommeil tranquille et profond sans songes » [8]
[8]
Michel de Montaigne, Les Essais, éd. réalisée par D. Bjaï, B.…. Comment craindre la mort dans ces conditions ? La conséquence immédiate d’un tel raisonnement est également faite pour rassurer : si la mort est un sommeil, l’agonie n’est qu’une autre forme de l’endormissement. Point de douleur là où la conscience glisse progressivement ailleurs, dans la douceur [9]
[9]
R. B. Onians montre que, dans l’imaginaire grec archaïque…. À la suite d’un grave accident, Montaigne décrit ainsi ce qui ressemble fort à une agonie : « Il me semblait que ma vie ne me tenait plus qu’au bout des lèvres : je fermais les yeux pour aider (ce me semblait) à la pousser hors, et prenais plaisir à m’alanguir et à me laisser aller. C’était une imagination qui ne faisait que nager superficiellement en mon âme, aussi tendre et aussi faible que tout le reste : mais à la vérité non seulement exempte de déplaisir, ainsi mêlée à cette douceur, que sentent ceux qui se laissent glisser au sommeil. Je crois que c’est ce même état, où se trouvent ceux qu’on voit défaillants de faiblesse, en l’agonie de la mort : et tiens que nous les plaignons sans cause, estimant qu’ils soient agités de grièves douleurs, ou avoir l’âme pressée de cogitations pénibles » [10]
[10]
Montaigne, Les Essais, op. cit., livre II, chapitre VI, « De…. G. Matthieu-Castellani commente ainsi ce passage : « Plaisir de mourir, mourir de plaisir : ce plaisir est d’une qualité tout autre que le plaisir viril ; il est tout d’abandon, de laisser-aller, d’alanguissement, de glissement ; c’est un plaisir féminin, marqué par la liquidité, l’effusion (…) un plaisir à la surface du corps, à la surface de l’âme, senti “au bout des lèvres”, aux “bors de l’ame”, un plaisir oral comme celui de l’infans, arrosé du lait maternel » [11]
[11]
G. Mathieu-Castellani, « Veiller en dormant, dormir en….
5La mort serait donc rapprochée du sommeil pour une autre raison : celle de sa ressemblance avec l’état prénatal. P. Ariès cite la réaction des sept dormants d’Ephèse, contenue dans La légende dorée de J. de Voragine, s’écriant à leur réveil, après un très long sommeil : « Or, de même que l’enfant dans le ventre de sa mère vit sans ressentir de besoins, de même nous aussi, nous avons été vivant, reposant, dormant et n’éprouvant pas de sensations ! » [12]
[12]
P. Ariès, L’homme devant la mort, op. cit., p. 31-32.. Pour E. Morin, cette ressemblance entre le sommeil, la mort et la vie fœtale est essentielle : « L’idée d’éternel sommeil n’aurait été qu’une idée à la surface de l’expérience, aussitôt démentie par elle, si elle ne s’était alourdie, épanouie et poursuivie dans la tiède communication de toutes les profondes analogies de la mort. C’est le sommeil originaire que retrouve le mort. Il y a triple analogie entre le sommeil nocturne des vivants, le sommeil de la mort et le sommeil fœtal. Ils se tiennent tous trois au niveau des “sources élémentaires” aux “tréfonds de toute vie”. Notre petite vie est baignée d’un grand sommeil. Le sommeil notre berceau, le sommeil notre tombeau, le sommeil notre patrie, d’où nous sortons le matin, où nous rentrons le soir, et notre vie, le court voyage, la durée entre l’émergement, l’unité première et l’engloutissement en elle » [13]
[13]
E. Morin, L’homme et la mort, op. cit., p. 139-140.. Maternel, doux et accueillant, le sommeil profond gomme tout ce que la mort peut avoir d’effrayant : la coupure définitive avec les êtres chers, les douleurs de l’agonie, l’Inconnu absolu.
6Reste une dernière raison qui intéresse moins le sommeil profond que le sommeil propice aux rêves. Selon de nombreuses croyances philosophiques, poétiques et médicales, l’âme du dormeur se détacherait du corps, temporairement bien sûr, dans le temps du sommeil. Ronsard, par exemple, utilise l’expression « L’ame du corps a demi detachée » [14]
[14]
Lm XVI, La Franciade, livre I, p. 81, v. 1045, variante de…. Ce voyage psychique permettrait au rêveur d’entrer en contact avec le monde divin, céleste, et de connaître des vérités suprasensibles, interdites à l’homme éveillé dont le corps reste trop pesant [15]
[15]
Pour Ronsard, voir Lm X, L’Excellence de l’esprit de l’homme,…. Une telle conception du sommeil est alors très proche de celle de la mort, qui suppose, selon de nombreuses croyances, un détachement de l’âme et du corps, cette fois définitif [16]
[16]
« Le sommeil donne à l’homme une connaissance et une…. Cette distanciation du rapport âme-corps – ponctuelle dans le cas du sommeil, définitive dans le cas de la mort – expliquerait par exemple le rapport de fraternité entre ces deux notions, divinisées dans la mythologie grecque. Dans son Anthropologie du rêve, S. Jama écrit ainsi : « Schématiquement, on dira que le voyage de l’âme est provisoire dans le cas du sommeil : il produit les actions et visions du rêve. Ce départ de la partie spirituelle de l’homme est définitif et irréversible au moment de la mort : il entraîne l’altération corporelle. Sommeil et mort participent bien d’un mécanisme identique. Si l’âme se présente comme inaltérable, le corps ne subit de dégradation que dans le cas du décès » [17]
[17]
S. Jama, Anthropologie du rêve, Paris, P.U.F., 1997, p. 98..
7On peut se demander, dans ces conditions, pourquoi le lien de fraternité a été remplacé par un lien de gémellité ? Or la gémellité humaine vient ici éclairer la gémellité divine. Hypnos et Thanatos, frères jumeaux, ont des destins similaires, mais l’un le vit dans le monde des vivants, l’autre le poursuit dans le monde infernal. Dans le cas de jumeaux humains, l’un serait mort, tandis que l’autre resterait en vie. L’image de rêve vient jouer encore une fois un rôle important : « Que produit l’absence d’un jumeau lorsque le double du disparu poursuit ses jours parmi les vivants ? À l’occasion d’une naissance gémellaire, n’attribue-t-on pas aux deux nourrissons un seul et même destin ? Le décès du premier des deux le transforme en revenant peut-être jaloux de son alter ego. Le jumeau mort est donc, curieusement, l’unique être qui continue son vieillissement de l’autre côté du miroir de la vie » [18]
[18]
S. Jama, Anthropologie du rêve, op. cit., p. 103. Cet auteur….
8L’association de la mort et du sommeil repose donc sur des bases plus solides que la simple analogie entre le dormeur et le cadavre. Elle répond à des inquiétudes profondes de l’homme et permet de les apaiser. La mort ne serait qu’un sommeil éternel, une nuit sans fin. Mais elle permet aussi de répondre aux interrogations métaphysiques de certains, anxieux de comprendre à quoi ressemble l’au-delà : le songe serait cette ouverture timide sur la réalité infernale. Reste désormais à tracer l’évolution de cette association dans les textes antiques et ceux de la Renaissance.
II – De la mythologie antique aux mythographes de la Renaissance [19]
Hypnos au Cimetière du Père Lachaise
Dans son livre intitulé L’homme devant la mort, Philippe Ariès écrit : « Le repos est à la fois l’image la plus ancienne, la plus populaire et la plus constante de l’au-delà. Elle n’a pas encore disparu aujourd’hui, malgré la concurrence d’autres types de représentation » [1]
[1]
P. Ariès, L’homme devant la mort, Paris, Seuil, 1977, p. 32.. Dans la mythologie antique, Hypnos et Thanatos sont frères jumeaux. Or le rapprochement du sommeil et de la mort n’est pas le seul fait des Grecs. Des sociologues et des historiens [2]
[2]
Voir P. Boyancé, Le sommeil et l’immortalité, extrait des… se sont penchés sur cette gémellité et en ont trouvé des traces chez les Romains, dans les textes médiévaux [3]
[3]
P. Ariès cite les adieux d’Olivier et de Roland (L’homme devant…, mais aussi, loin de l’Occident, chez de nombreux peuples dits « primitifs » [4]
[4]
E. Morin cite par exemple le proverbe boshiman : « la mort est…. À la Renaissance, certains penseurs – théologiens, médecins, poètes et écrivains – reprennent cette association traditionnelle du sommeil et de la mort, et lui donnent souvent une portée qu’elle était loin d’avoir dans les textes antiques.
2Après avoir analysé les raisons d’une telle association entre le sommeil et la mort, nous nous pencherons sur l’évolution de ce thème à la Renaissance, et, dans un dernier temps, nous relèverons les traces d’un tel rapprochement sous la plume d’un des plus grands poètes du xvie siècle, Pierre de Ronsard [5]
[5]
Voir également C. Pigné, Le Sommeil, la Fantaisie : l’âme,….
I – La mort est un « sommeil »
3Les raisons d’un tel rapprochement peuvent être nombreuses. La plus évidente est l’analogie entre le corps d’un homme endormi et celui d’un cadavre : même position allongée, même baisse de la température corporelle, mêmes yeux fermés, apparente décontraction, « inconscience ». Mais cette ressemblance ne résiste pas aux simples données de l’expérience. Le corps d’un homme mort ne ressemble à celui du dormeur que quelques heures ; il est ensuite inéluctablement entraîné dans le processus de décomposition [6]
[6]
Voir E. Morin, L’homme et la mort, op. cit., p. 139.. De plus, le dormeur « sort » de son sommeil ; le cadavre ne peut « sortir » de la mort.
4Il faut donc chercher ailleurs les causes d’une telle analogie, loin de la simple observation visuelle. Cette association a comme but principal d’euphémiser la mort, de supprimer ce qui fait d’elle l’altérité absolue, de la rapprocher d’un état connu, rassurant, que traverse l’homme chaque jour : le sommeil. Le discours de Socrate à la veille de sa mort est, à cet égard, révélateur : la mort n’est peut-être qu’une nuit sans rêves [7]
[7]
Voir Platon, Apologie de Socrate, 40c.. À la Renaissance, Montaigne reprend le raisonnement socratique au livre III des Essais : « Si c’est un anéantissement de notre être, c’est encore amendement d’entrer en une longue et paisible nuit. Nous ne sentons rien de plus doux en la vie, qu’un repos et sommeil tranquille et profond sans songes » [8]
[8]
Michel de Montaigne, Les Essais, éd. réalisée par D. Bjaï, B.…. Comment craindre la mort dans ces conditions ? La conséquence immédiate d’un tel raisonnement est également faite pour rassurer : si la mort est un sommeil, l’agonie n’est qu’une autre forme de l’endormissement. Point de douleur là où la conscience glisse progressivement ailleurs, dans la douceur [9]
[9]
R. B. Onians montre que, dans l’imaginaire grec archaïque…. À la suite d’un grave accident, Montaigne décrit ainsi ce qui ressemble fort à une agonie : « Il me semblait que ma vie ne me tenait plus qu’au bout des lèvres : je fermais les yeux pour aider (ce me semblait) à la pousser hors, et prenais plaisir à m’alanguir et à me laisser aller. C’était une imagination qui ne faisait que nager superficiellement en mon âme, aussi tendre et aussi faible que tout le reste : mais à la vérité non seulement exempte de déplaisir, ainsi mêlée à cette douceur, que sentent ceux qui se laissent glisser au sommeil. Je crois que c’est ce même état, où se trouvent ceux qu’on voit défaillants de faiblesse, en l’agonie de la mort : et tiens que nous les plaignons sans cause, estimant qu’ils soient agités de grièves douleurs, ou avoir l’âme pressée de cogitations pénibles » [10]
[10]
Montaigne, Les Essais, op. cit., livre II, chapitre VI, « De…. G. Matthieu-Castellani commente ainsi ce passage : « Plaisir de mourir, mourir de plaisir : ce plaisir est d’une qualité tout autre que le plaisir viril ; il est tout d’abandon, de laisser-aller, d’alanguissement, de glissement ; c’est un plaisir féminin, marqué par la liquidité, l’effusion (…) un plaisir à la surface du corps, à la surface de l’âme, senti “au bout des lèvres”, aux “bors de l’ame”, un plaisir oral comme celui de l’infans, arrosé du lait maternel » [11]
[11]
G. Mathieu-Castellani, « Veiller en dormant, dormir en….
5La mort serait donc rapprochée du sommeil pour une autre raison : celle de sa ressemblance avec l’état prénatal. P. Ariès cite la réaction des sept dormants d’Ephèse, contenue dans La légende dorée de J. de Voragine, s’écriant à leur réveil, après un très long sommeil : « Or, de même que l’enfant dans le ventre de sa mère vit sans ressentir de besoins, de même nous aussi, nous avons été vivant, reposant, dormant et n’éprouvant pas de sensations ! » [12]
[12]
P. Ariès, L’homme devant la mort, op. cit., p. 31-32.. Pour E. Morin, cette ressemblance entre le sommeil, la mort et la vie fœtale est essentielle : « L’idée d’éternel sommeil n’aurait été qu’une idée à la surface de l’expérience, aussitôt démentie par elle, si elle ne s’était alourdie, épanouie et poursuivie dans la tiède communication de toutes les profondes analogies de la mort. C’est le sommeil originaire que retrouve le mort. Il y a triple analogie entre le sommeil nocturne des vivants, le sommeil de la mort et le sommeil fœtal. Ils se tiennent tous trois au niveau des “sources élémentaires” aux “tréfonds de toute vie”. Notre petite vie est baignée d’un grand sommeil. Le sommeil notre berceau, le sommeil notre tombeau, le sommeil notre patrie, d’où nous sortons le matin, où nous rentrons le soir, et notre vie, le court voyage, la durée entre l’émergement, l’unité première et l’engloutissement en elle » [13]
[13]
E. Morin, L’homme et la mort, op. cit., p. 139-140.. Maternel, doux et accueillant, le sommeil profond gomme tout ce que la mort peut avoir d’effrayant : la coupure définitive avec les êtres chers, les douleurs de l’agonie, l’Inconnu absolu.
6Reste une dernière raison qui intéresse moins le sommeil profond que le sommeil propice aux rêves. Selon de nombreuses croyances philosophiques, poétiques et médicales, l’âme du dormeur se détacherait du corps, temporairement bien sûr, dans le temps du sommeil. Ronsard, par exemple, utilise l’expression « L’ame du corps a demi detachée » [14]
[14]
Lm XVI, La Franciade, livre I, p. 81, v. 1045, variante de…. Ce voyage psychique permettrait au rêveur d’entrer en contact avec le monde divin, céleste, et de connaître des vérités suprasensibles, interdites à l’homme éveillé dont le corps reste trop pesant [15]
[15]
Pour Ronsard, voir Lm X, L’Excellence de l’esprit de l’homme,…. Une telle conception du sommeil est alors très proche de celle de la mort, qui suppose, selon de nombreuses croyances, un détachement de l’âme et du corps, cette fois définitif [16]
[16]
« Le sommeil donne à l’homme une connaissance et une…. Cette distanciation du rapport âme-corps – ponctuelle dans le cas du sommeil, définitive dans le cas de la mort – expliquerait par exemple le rapport de fraternité entre ces deux notions, divinisées dans la mythologie grecque. Dans son Anthropologie du rêve, S. Jama écrit ainsi : « Schématiquement, on dira que le voyage de l’âme est provisoire dans le cas du sommeil : il produit les actions et visions du rêve. Ce départ de la partie spirituelle de l’homme est définitif et irréversible au moment de la mort : il entraîne l’altération corporelle. Sommeil et mort participent bien d’un mécanisme identique. Si l’âme se présente comme inaltérable, le corps ne subit de dégradation que dans le cas du décès » [17]
[17]
S. Jama, Anthropologie du rêve, Paris, P.U.F., 1997, p. 98..
7On peut se demander, dans ces conditions, pourquoi le lien de fraternité a été remplacé par un lien de gémellité ? Or la gémellité humaine vient ici éclairer la gémellité divine. Hypnos et Thanatos, frères jumeaux, ont des destins similaires, mais l’un le vit dans le monde des vivants, l’autre le poursuit dans le monde infernal. Dans le cas de jumeaux humains, l’un serait mort, tandis que l’autre resterait en vie. L’image de rêve vient jouer encore une fois un rôle important : « Que produit l’absence d’un jumeau lorsque le double du disparu poursuit ses jours parmi les vivants ? À l’occasion d’une naissance gémellaire, n’attribue-t-on pas aux deux nourrissons un seul et même destin ? Le décès du premier des deux le transforme en revenant peut-être jaloux de son alter ego. Le jumeau mort est donc, curieusement, l’unique être qui continue son vieillissement de l’autre côté du miroir de la vie » [18]
[18]
S. Jama, Anthropologie du rêve, op. cit., p. 103. Cet auteur….
8L’association de la mort et du sommeil repose donc sur des bases plus solides que la simple analogie entre le dormeur et le cadavre. Elle répond à des inquiétudes profondes de l’homme et permet de les apaiser. La mort ne serait qu’un sommeil éternel, une nuit sans fin. Mais elle permet aussi de répondre aux interrogations métaphysiques de certains, anxieux de comprendre à quoi ressemble l’au-delà : le songe serait cette ouverture timide sur la réalité infernale. Reste désormais à tracer l’évolution de cette association dans les textes antiques et ceux de la Renaissance.
II – De la mythologie antique aux mythographes de la Renaissance [19]