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Le sex-shop se meurt, vive le « love store »

Avec la hausse de l’immobilier et l’explosion du X sur Internet, les vieilles boutiques déclinent. Au profit d’une nouvelle génération d’enseignes.

 

LE MONDE ECONOMIE | 28.02.2018 à 06h37 • Mis à jour le 28.02.2018 à 15h08 | Par Denis Cosnard

 

 

 

Dans le quartier Pigalle, à Paris, le 30 juillet 2013.

Rue Saint-Denis, à Paris, l’enseigne bleue DVD Shop est encore là pour quelques jours, au numéro 109. Mais le rideau noir de l’entrée a été retiré, les étalages sont vides, les cabines de projection ont disparu. Le vieux sex-shop a fait faillite. Son tenancier a été expulsé en novembre 2017. Pour le remplacer, le propriétaire des lieux a posé une exigence : plus le moindre commerce érotique. « Ce sera une crêperie », annonce le nouveau locataire, qui attend à la porte l’arrivée d’un fournisseur.

 

Rue du Pont-Neuf, à cinq minutes de là, la vendeuse remet quelques objets en place dans son « love store » à l’enseigne Passage du désir. Un couple de touristes vient de -partir, une jeune fille choisit une huile de massage. « Je suis d’abord venue avec des copines, sans oser acheter, raconte Murielle. On rigolait devant chaque objet. Maintenant, j’ai pris de l’assurance. Ici, je suis sûre de la qualité, et je peux être conseillée. Et puis l’endroit est clair, sympa, ce n’est pas honteux d’y -entrer. » Près de la caisse, le patron de la chaîne se réjouit : pour la Saint-Valentin, ses magasins ont réalisé leur meilleure journée de l’année. Il prévoit déjà d’en ouvrir de nouveaux à Paris et à Nice.

 

 

Six cents mètres à pied suffisent pour passer d’une planète à une autre. Le vieux monde des sex-shops, en plein déclin. Celui des « love stores », dont l’essor est tout aussi spectaculaire. Un grand basculement entre deux types de boutiques qui peuvent paraître très proches, mais que tout oppose, ou presque : leurs localisations, bien souvent, leurs clientèles et le cœur même de l’activité. « D’un côté, le commerce de la frustration sexuelle, de l’autre, celui de l’épanouissement du couple », résume, dans son magasin de la rue du Pont-Neuf, Patrick Pruvot, le fondateur de Passage du désir.

 

« Capitalisme du -stupre »

Le premier sex-shop du monde a été ouvert à la fin de 1962, à Flensbourg, dans le nord de l’Allemagne, par une ancienne championne d’aviation, Beate Uhse. « Articles pour l’hygiène du couple », était-il sobrement inscrit sur la devanture. Les sex-shops se sont ensuite multipliés à compter de 1969, fameuse « année érotique ». Ils « poussent comme des champignons plus ou moins vénéneux », -relate Le Monde en 1970. Rien qu’à Paris, le nombre de points de vente passe de dix-huit, en 1969, à cinquante-cinq, en 1972. Et ce n’est que le début de ce « capitalisme du -stupre », dénoncé alors par La Croix…

 

Dans ces années de libération sexuelle, un « monde spécifique » se construit peu à peu, analyse le sociologue Baptiste Coulmont, auteur de Sex-shops. Une histoire française (Dilecta, 2007). Un monde « façonné par ses acteurs comme par ses détracteurs », notamment par les pouvoirs publics, qui interdisent, en 1970, l’entrée aux mineurs, puis obligent, en 1973, à opacifier les vitrines.

 

A l’abri des -regards, les commerçants proposent une gamme allant des livres jusqu’aux godemichés, aux poupées gonflables et aux cassettes, puis aux DVD pornographiques. Au fond du magasin, les cabines. Un endroit-clé. C’est là que les clients peuvent se masturber en regardant une vidéo et faire parfois des rencontres, notamment homosexuelles. « C’est là aussi que les magasins réalisent une bonne part de leur marge », ajoute Baptiste Coulmont.

 

Une concurrence rude

Nombre de sex-shops fonctionnent encore selon ce schéma, auquel s’ajoutent parfois des « spectacles live », et plus si affinités. Trois pas à l’intérieur d’une boutique de la rue Saint-Denis, et une femme en minijupe vous aborde : « Un massage, monsieur ? » Dans ce quartier chaud, « la frontière est floue entre sex-shops, peep-shows, massages et prostitution, ce qui a provoqué une insécurité juridique », souligne Baptiste Coulmont. « Sans compter le blanchiment », ajoute un professionnel.

 

Depuis des années, ce modèle sombre lentement, mis à bas par la hausse de l’immobilier, la désertification des villes moyennes et les mutations d’Internet. L’arrivée, en 2006-2007, de plates-formes gratuites comme Xtube, RedTube ou YouPorn en particulier a changé la donne.

 

Soudain, les adeptes ont eu accès sans rien débourser à des centaines de milliers de scènes classées par genres. Une concurrence très rude pour les sex-shops, de même que pour les sites Internet payants et les cinémas porno. D’autant que, peu après, des applis de rencontres comme Grindr sont apparues. Pour les amateurs de contacts -rapides, plus besoin de s’engouffrer dans un antre peu engageant…

 

 

Les faillites de sex-shops s’accumulent

Le résultat ? Les cinémas X ferment les uns après les autres. A Paris, le Beverley, le dernier du genre, doit s’arrêter en avril ou mai. Dans les années 1970, la capitale avait compté jusqu’à 44 salles spécialisées. Les sex-shops trinquent également. En particulier rue Saint-Denis, où la Ville de Paris a racheté certains emplacements pour installer ici un bar, là une cordonnerie, etc. Depuis 2000, le nombre de commerces liés au sexe y a chuté de 60 % !

 

Les faillites s’accumulent. En Allemagne, l’empire des sex-shops créé par Beate Uhse a déposé le bilan en décembre 2017. En France, toute une série de boutiques arrivent en bout de course. A Rennes, la dernière du centre-ville vient de fermer. A Reims, son équivalent est à vendre sur Leboncoin. Prix demandé : 15 000 euros ou un véhicule de la même valeur. La gérante en poste depuis trois ans veut déjà partir. « Pour le moment, ça va, ça tient, assure-t-elle. Mais deux chaînes ont installé de grandes boutiques à la périphérie, et on l’a senti. »

 

Le déclin des sex-shops à la papa coïncide en effet avec l’arrivée d’une nouvelle géné-ration de magasins : les « love stores ». « On y parle d’amour, et pas seulement de sexe. Et on oublie le côté glauque, fermé, du sex-shop », explique Patrick Pruvot. Le patron de Passage du désir est l’un des premiers à s’être lancés, il y a dix ans. « Après un divorce, j’ai pris le premier appartement venu, rue Saint-Denis, raconte ce jeune quinquagénaire. Il était au-dessus de deux sex-shops. J’ai discuté avec les responsables. C’était curieux : il y avait bien des articles pour femmes, mais pas une cliente. J’ai eu l’idée de prendre la partie la plus noble de ce métier – pas les cabines vidéo – et d’en faire quelque chose de ludique… »

 

Trentenaires, touristes et femmes

Les débuts sont laborieux. Les banques renâclent. « Pour qu’elles acceptent de m’ouvrir un compte, j’ai dû changer le nom de la -société : Passage du désir, c’était encore trop hot dans notre pays catholique ! » Va pour Les Ailes pourpres, afin de rester dans l’univers de Wim Wenders. Le jeu en valait la chandelle. Aujourd’hui, la PME emploie quarante personnes pour 7 millions d’euros de chiffre d’affaires et un léger bénéfice.

 

Ses sept petites boutiques sont en centre-ville, mais pas dans les quartiers chauds. -Surtout, elles ne ressemblent pas à des -sex-shops classiques. Plutôt à des Sephora, en un peu plus piquant. Une grande vitrine transparente, sans rien de choquant en vue.

 

A l’intérieur, des boîtes de pétales de rose, des jeux sexy, des menottes et, au fond, une impressionnante gamme de vibromasseurs. Best-seller du moment : le Womanizer W500 Pro. « Vous voyez, on cale le clitoris ici, et on ressent des ondes d’aspiration, explique Sidonie, une ancienne étudiante en psychologie devenue vendeuse. On peut avoir ainsi des -orgasmes plus puissants. » Une cliente, la trentaine, demande des précisions. « Ah, si vous voulez l’utiliser au restau, ça va être moins facile… », répond Sidonie. La brune reprend ses questions : « Et niveau étanchéité ? »

 

La clientèle ? Des bobos trentenaires, des -touristes, etc. Surtout des femmes, tant l’émergence de ces boutiques est indisso-ciable de la légitimation tardive du plaisir -féminin et de l’essor des sextoys. Des produits dont les ventes, côté féminin, devraient progresser en moyenne de 11 % par an dans le monde d’ici à 2021, selon le site ReportLinker.

 

Marc Dorcel hypermotivé

Depuis dix ans, plusieurs petites chaînes de « love stores » sont ainsi apparues, installées souvent dans les zones commerciales à l’entrée des villes : Pink Plaisir dans l’Est, Body House dans la vallée du Rhône, Oh ! Darling en Bretagne, Easy Love dans le Sud… « On se croise dans les salons professionnels, on boit une coupe ensemble, dit Dany Ménard, qui travaille chez Easy Love. On essaie de ne pas se concurrencer, de ne pas faire baisser les prix. »

 

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Les « love stores » se multiplient en France, comme ici à Paris, le 2 août 2007.

Les « love stores » se multiplient en France, comme ici à Paris, le 2 août 2007. PIERRE VERDY / AFP

Ce succès attire à présent des marques aux ambitions nationales. S’appuyant sur le -succès de ses vidéos, le site Jacquie et Michel s’est mis à transformer des sex-shops -déclinants en boutiques à son enseigne. « La première opération, à Paris, a permis de multiplier la fréquentation par six en un an, indique Thierry, un des dirigeants. Après Lyon, Marseille… nous allons, cette année, nous implanter à Toulouse, à Bordeaux et à Nice. »

 

Marc Dorcel est également hypermotivé. Le vétéran du porno bleu-blanc-rouge vient de reprendre 100 % du réseau fondé en Bretagne par un de ses anciens représentants et l’étend de Rouen à Caen et à Lille. « L’existence de boutiques réelles rassure nos clients sur -Internet, cela pèse de plus en plus dans le chiffre d’affaires et c’est rentable », explique Benjamin Scanvyou, le responsable du projet. Objectif, une quarantaine de points de vente à travers la France en 2025. Tandis que les -sex-shops coulent, les « love stores » préparent l’étape industrielle.

 

 

 

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Uploaded on January 10, 2009
Taken on November 18, 2003