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M. de Monville et sa colonne tronquée dans son "Désert" de Retz

M. de Monville et son "Désert" de Retz

 

Francois Nicolas Henri Racine du Jonquoy, mieux connu sous le nom de M. de Monville, est né en 1733 à Alençon, fils de Jean Baptiste Racine de Jonquoy et de Marie Marthe Françoise Le Monnier. D'une famille de fermiers généraux, il était très riche. Il épousa, en 1755, Aimable Charlotte Félicité Lucas de Boncourt mais il devint veuf très tôt. Son grand-père maternel lui ayant légué un riche héritage, il put mener une vie de plaisirs, qui le fit considérer comme l’un des plus agréables voluptueux du royaume.

 

Madame de Genlis, à l'époque Mlle Félicité Ducrest de Saint-Aubin, le dépeint comme "un magnifique soupirant, jeune, veuf, riche et très beau, noble et romanesque"; mais hélas, ajoute-t-elle, "il n'est pas de la cour"; et c'est pourquoi elle refusa de l'épouser. En 1775, toutefois elle l'invitera à venir l'accompagner à la harpe.

 

Dufort de Cheverny, qui le connut dans sa jeunesse, rapporte dans ses Mémoires qu'il était "l"un des plus beaux cavaliers de Paris, fait comme un modèle, la tête un peu trop petite, mais agréable". Il dansait magnifiquement et était invité à tous les bals. Il réussissait à étonner dans tous les exercices, montant à cheval, jouant de la paume, tirant des flèches mieux qu'un Indien. Il jouait de la flûte "aussi bien qu'Amphion" et était excellent harpiste, ami et accompagnateur de Gluck et de Jarnovitz, le meilleur violon du moment. Il composait des cantatilles pour séduire ses nombreuses maîtresses : Mme d'Esparbès, mais aussi, selon Dufort de Cheverny, des danseuses et des actrices en vogue comme la Guimard ou Sophie Arnould, l'actrice Austrady, une certaine demoiselle Leclerc, Madame de Saint-Janvier, Madame d'Esparbès, etc.

 

En 1764, M. de Monville rencontra Jeanne Bécu (qui, quatre ans plus tard, allait prendre le nom de Du Barry) et il restèrent amis jusqu'à la fin. Il fut aussi l'ami de Louis-Philippe Joseph duc d'Orléans.

 

Il s'installa à Paris dans deux magnifiques hôtels de la rue d'Anjou (construits par Etienne-Louis Boullée). On sait qu'il y entretenait un orchestre de six instrumentistes qui, chaque soir, exécutait dès 19 heures les morceaux de musique à la mode.

 

En 1771, M. de Monville, qui avait la réputation d'être très habile au tir à l'arc, fut mis au défi par le duc de Chartres de tuer d'une flèche un faisan en plein vol dans le Bois de Boulogne. On lui accordait dix essais : Monville atteignit le premier faisan au moyen de son arc d'acier garni de velours noir, mais manqua les neuf autres (Mémoires secrets de Bachaumont, 30 octobre 1771).

 

En 1786, le peintre Elisabeth-Louise Vigée-Le Brun rencontra M. de Monville à Louveciennes, chez Madame Du Barry. Elle décida de peindre cet homme "aimable et très élégant"; mais ce tableau est perdu.

 

 

Peut-être parce qu'il avait eu la charge de Grand Maître des Eaux et Forêts à Rouen, de 1757 à 1765, , il était passionné de botanique et d'horticulture. C'est pourquoi, en 1774, il acheta treize hectares avec les maisons et l'église du village de Saint-Jacques-de-Roye (ou Retz), près de Chambourcy. Puis, entre 1776 et 1786, il agrandit son domaine jusqu'à 40 hectares. Pendant plus de dix ans, dans ce vallon que ceinture la forêt de Marly, il créa, avec l'aide de l'architecte François Barbier, un parc paysager planté d’essences rares provenant des cinq parties du monde et agrémenté de dix-sept édicules de fantaisie ou “fabriques”. Il commença par un "temple au dieu Pan" et un "pavillon chinois", puis vinrent rotonde, serre, bosquets, maison rustique, appartement de bains sous un rocher avec volière, chapelle…

 

A l'est, le jardin anglo-chinois était la partie la plus aimable et raffinée, avec pavillons et temples, arbres précieux et un théâtre découvert. A l'ouest la partie agricole comprenait une métairie et une laiterie, des bosquets plus rustiques, et, à l'écart, un obélisque, un ermitage et un tombeau. Ses serres contenaient toutes sortes d'espèces exotiques : des orangers, des lauriers, des figuiers de Barbarie, des cassis de Buenos-Aires

 

On entrait par une porte monumentale aux lourds vantaux de bois à laquelle était adossée une grotte composée d’un amas de roches et formant un passage insoupçonnable de l’extérieur. Sur la droite était situé un temple du dieu Pan et, en contrebas, un théâtre découvert, un petit autel presque ruiné ainsi qu’une maison chinoise et une tente tartare. Sur la gauche s’élevait une glacière surmontée d’une pyramide ; plus loin se devinaient un obélisque et les ruines d'une petite chapelle du XIIIe siècle (désaffectée sur ordre du roi dont elle gênait les chasses, elle avait été conservée telle quelle par Monville).

 

En 1782, M. de Monville s'installa dans une "maison-colonne", qui étonnait par son architecture étrange.

 

Ce "Désert" attira très vite de nombreux visiteurs venus de l'Europe entière et même d'Amérique, parmi lesquels la comtesse Du Barry et Benjamin Franklin (en 1776). Les anonymes pouvaient le visiter, en achetant un billet. On peut citer aussi :

– la reine Marie-Antoinette qui, en août 1781, vint y chercher des idées pour son Hameau de Triaznon et pour la bergerie de Rambouillet; elle organisa ensuite pour Monville une fête à Trianon le 21 juin 1784;

– le roi Gustave III de Suède qui passa six semaines au Désert en 1784;

– le prince de Ligne (1735-1814), incarnation du cosmopolitisme brillant et cultivé du XVIIIe siècle et grand amateur de jardins y vint aussi et en aima à la fois le pittoresque et le mystère;

– Thomas Jefferson, amassadeur à Paris et futur président des Etats-Unis d'Amérique, qui y passa en octobre 1786, accompagné de la jeune et blonde Maria Cosway [Il devait écrire à la jeune femme: "O! ma chère amie, comme vous avez excité ma mémoire, en me demandant de transcrire ce qui est arrivé ce fameux jour! O! combien je me souviens de tout"]; Jefferson était à la recherche d'une architecture nationale qui rompît avec le style colonial anglais: c'est au rez-de-chaussée de la maison-colonne qu'il a pris l'idée d'inclure des pièces ovales dans une structure circulaire, ce que l'on retrouvera à Washington à l'Hôtel de Langeac (le premier Capitole) et dans la rotonde de l'Université de Virginie à Charlottesville [plusieurs scènes du film de James Ivory Jefferson à Paris (1995) ont été tournées au Désert de Retz].

 

La vie était rendue agréable au "Désert" par des jeux et une gastronomie bien conçue : ses hôtes étaient invités à déguster ouilles à l'espagnole, gendarmes aux racines, bisques de pigeons au jus de veau, perdrix aux marrons et autres mets confectionnés dans des cuisines qui communiquaient par un tunnel avec la maison-colonne.

 

Quand arriva la Révolution, en 1790, M. de Monville essaya en vain de convaincre Beaumarchais d'acheter sa résidence parisienne. En 1792, il vendit le Désert pour 108.000 livres à un Anglais excentrique, Lewis Disney ffytche. A Paris, il alla habiter rue Neuve-des-Mathurins avec un jeune actrice, Sarah.

 

Vint alors la période de la Terreur. En 1793, son ami le duc d'Orléans fut exécuté. En 1794, le 17 mai, M. de Monville a été arrêté à Saint-Nom-la Bretèche dans la maison de son ami Denis Thiroux de Montsauge. Il se était accusé de complicité avec "l'infâme Orléans", d'anglomanie et de sybaritisme. La mort de Robespierre le libéra, alors que Jean-Joseph Laborde, propriétaire de Méréville, avait été exécuté. Ce que Alexandre de Tilly commenta ainsi : "En traversant la Révolution, Monville trouva cependant le secret de mourir dans son lit et d'obtenir la grâce des Sylla et des Marius français qui n'en faisaient à personne."

 

Selon les Mémoires de Dufort de Cheverny, M. de Monville mourut le 20 avril 1797 d'un abcès à la gensive : "Il avait mangé jusqu'à son dernier écu et ne laissait que des dettes; après avoir sacrifié à toutes les filles dont il changeait à chaque nuit, il vivait depuis six ans avec une jeune personne des petits spectacles."

 

 

 

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Uploaded on July 11, 2008
Taken on January 9, 2007