La Leçon de guitare (Balthus)
Huile sur toile, 161 x 138 cm, 1934.
"Je prépare une nouvelle toile. Une toile plutôt féroce. Dois-je oser t’en parler ? Si je ne peux pas t’en parler à toi. C’est une scène érotique, mais comprends bien, cela n’a rien de rigolo, rien de ces petites infamies usuelles que l’on montre clandestinement en se poussant du coude. Non, je veux déclamer au grand jour, avec sincérité et émotion, tout le tragique palpitant d’un drame de la chair, proclamer à grands cris les lois inébranlables de l’instinct. Revenir ainsi au contenu passionné d’un art. Mort aux hypocrites ! Ce tableau représente une leçon de guitare, une jeune femme a donné une leçon de guitare à une petite fille, après quoi elle continue à jouer de la guitare sur la petite fille. Après avoir fait vibrer les cordes de l’instrument, elle fait vibrer un corps" (Lettre de Balthus du 1er décembre 1933 à Antoinette de Watteville).
Antoinette de Watteville (1912-1997) était une jeune aristocrate suisse de Berne qui a été l'épouse le peintre Balthus de 1937 à 1947. Elle a échangé avec lui une abondante correspondance et a été son modèle pour plusieurs toiles. Balthus et Antoinette se rencontrèrent pour la première fois en 1924, alors qu'elle avait douze ans et lui dix-neuf. Antoinette ayant épousé un diplomate en 1934 demanda à Balthus de cesser de lui écrire pour ne pas contrarier son mari. Balthus étant évasté souffrit d'une dépression nerveuse et tenta de se suicider. Il était si déprimé qu'il abandonna pratiquement la peinture pendant un an. Son humeur ne s'améliora que lorsqu'elle recommença à lui écrire et, à Berne, le 2 avril 1937, elle épousa Balthus. Ils eurent ensuite deux fils, Stanislas, né en octobre 1942 et Thadée, né en février 1944, qui co-écrivirent une biographie de leur père comprenant de nombreuses lettres entre Antoinette et Balthus.
L'un des premiers tableaux de Balthus représentant sa femme fut La Jupe blanche, peint fin 1937, quelques mois après leur mariage. L'histoire de ce tableau prend une tournure inhabituelle. Ce tableau provocateur représente Antoinette allongée sur une chaise. vêtue d'une longue jupe de tennis blanche ayant appartenu à sa mère. La veste est ouverte et on ne peut s'empêcher de remarquer son soutien-gorge semi-transparent, laissant entrevoir ses tétons qui se crispent sur le tissu soyeux. Sa pose dégage une grâce aristocratique et assurée, ce qui, d'une certaine manière, a séduit Balthus de savoir qu'il avait épousé une aristocrate. Balthus vendit le tableau à son ami, le marchand d'art parisien Pierre Colle, qui l'avait présenté à Derain. Il est évident que Balthus regretta cette décision, car il avait perdu un tableau représentant son trophée aristocratique, Antoinette. Pierre Colle étant mort en 1948, Balthus s'adresse à sa veuve pour récupérer le tableau La Jupe blanche.
Elle accepta, mais à une condition : que Balthus exécute un tableau représentant ses trois filles, Marie-Pierre, Béatrice et Sylvia pour l'échanger contre le portrait d'Antoinette, que Balthus désirait ardemment. Balthus accepta l'échange et réalisa l'une des versions du tableau, Les Trois Sœurs, en 1954. Lorsque la Seconde guerre mondiale éclata en 1939, Balthus fut mobilisé dans l'armée française et envoyé au combat près de Sarrebruck en Alsace. Son service militaire ne dura que quelques mois, étant invalide suite à une blessure à la jambe et suite à une dépression nerveuse. Il se rendit en Savoie et en Suisse pour se rétablir et en mars 1940 rentra à Paris où il fut démobilisé. En juin 1940 les Allemands occupant Paris, Balthus et son épouse Antoinette quittèrent la capitale française et s'installèrent dans un manoir du XVIIe siècle, Champrovent, dans le village de Vernatel, près de Chambéry en Savoie. Ils y partageèrent une ferme avec une autre famille, les Coslin.
Gertrude, la fille des Coslin, âgée de douze ans, apparaît dans le premier tableau peint par Balthus pendant leur exil. Intitulée Nature morte avec figure. On y voit la jeune fille de profil, dont la silhouette est coupée sur le bord droit. On ne voit d'elle que sa tête, ses cheveux blond-roux ondulés et la manche vert-jaune de son chemisier. Elle se penche pour regarder la table. Sa main gauche repose sur la table, tandis que sa main droite semble tirer le rideau de brocart rouge et or. Son expression est menaçante, le regard fixé sur la maigre nourriture mise de côté pour le déjeuner. À l'autre bout de la table, une coupe à fruits victorienne en argent ornée, ornée d'un pied, contient plusieurs pommes vertes et rouges, toutes encore pédonculées. On peut apercevoir un verre à vin, peut-être à moitié rempli de cidre. Sur la table, près de la jeune fille, un morceau de pain maison est transpercé par un couteau à manche noir.
Le décor de ce tableau était l'une des pièces de la ferme où séjournaient Balthus et Antoinette, mais pas le salon, qui apparaît dans les peintures ultérieures de Balthus (Salon I et Salon II). Le mur coloré, le rideau de brocart et le bordeaux profond de la nappe contrastent fortement avec les murs sobres et ternes de son atelier parisien, qui servit de toile de fond à de nombreuses œuvres de Balthus.
Balthus a peint de nombreux tableaux représentant Antoinette. L'un d'eux, plus original, fut réalisé en 1944, intitulé Jeune fille en vert et rouge. À l'époque de ce tableau, Antoinette avait trente-deux ans, mais la représentation qu'en fait Balthus la fait paraître adolescente. On la voit vêtue d'un tricot vert et rouge, une cape marron sur l'épaule droite. Elle a déclaré dans une interview ultérieure avoir acheté ce tricot spécialement pour la séance. Antoinette avait les cheveux blonds, mais dans le tableau, Balthus les avait brunis pour qu'ils soient assortis à la couleur de la cape. Outre les deux couleurs du tricot, dont le rouge est mis en valeur, son visage paraît bicolore grâce à la même source lumineuse provenant de la gauche du tableau. Antoinette est assise à une table. Sur la table, recouverte d'une nappe blanche, se trouvent une coupe en argent, une demi-miche de pain dans laquelle est enfoncé un couteau à manche noir, et un chandelier qu'elle tient. Le pain et le couteau qui dépasse apparaissent également dans sa Nature morte au personnage, peinte la même année. La représentation d'Antoinette dans ce tableau a souvent été comparée à celle d'une diseuse de bonne aventure s'apprêtant à tirer les cartes du tarot. Balthus réalisa cette œuvre alors qu'il vivait au 164, place Notre-Dame, à Fribourg, en Suisse, où lui et Antoinette s'étaient installés de mai 1942 à octobre 1945. Ce tableau fut salué par les surréalistes et marqua l'une des approches les plus proches du surréalisme chez Balthus, mouvement dont les chefs de file l'admiraient et le courtisaient, mzis qu'il. Il repoussa.
Pour échapper aux rudes conditions hivernales savoyardes et à l'arrivée des armées allemandes, Balthus et Antoinette quittèrent Vernatel fin 1941 et s'installèrent en Suisse auprès des parents de la jeune fille, installés à Berne. Durant son séjour de dix-huit mois à Champrovent, Balthus se mit à peindre deux grands paysages, qui formaient un panorama continu de la campagne que Balthus aurait contemplée en sortant de sa ferme. Paysage de Champrovent est une vue topographiquement correcte de la scène. En observant attentivement le centre et le plan intermédiaire, on distingue le château de la Petite Forêt et le bois de Leyière. Plus loin, sur la crête de la colline, mais hors de vue, se dessine la vallée du Rhône. Au loin, le gris-bleu du massif du Colombier se dessine. Le décor est une fin d'après-midi ensoleillée d'été avec une jeune fille allongée dans un champ profitant des derniers rayons du soleil. Le modèle de ce tableau était Georgette Coslin, la fille du fermier.
L'œuvre qui l'accompagne s'intitule Vernatel, Paysage aux Bœufs. La chaîne de montagnes à droite représente la Vacherie de la Balme et domine le village de Vernatel, dans la vallée. La jeune fille, aujourd'hui grand-mère, Geogette Varnaz (née Coslin), qui a servi de modèle au tableau précédent, vit avec son mari dans ce village. Ce paysage est topographiquement incorrect, car l'espace derrière le grand arbre à gauche du tableau, aurait dû abriter un autre village, Monthoux. Cette fois, le décor n'est pas un jour d'été, mais un jour de novembre. L'hiver approche à grands pas et le fermier doit ramasser du bois pour les feux d'hiver. Dans le champ au premier plan, on voit le fermier avec ses deux bœufs s'efforçant de tirer un tronc d'arbre à travers le champ.
C'est également pendant son séjour à Champrovent qu'il réalisa deux tableaux, Salon I et Salon II, tous deux inspirés de son œuvre de 1937, Les Enfants Blanchard. Cependant, au lieu du décor sobre et terne de son atelier parisien, ces deux tableaux ont pour toile de fond, plus colorée, l'une des pièces de Champrovent. Il commença à peindre Salon I en 1941, mais avant son achèvement travailla à la seconde version, achevée en 1942. La première version, Salon I, ne fut achevée qu'en 1943, alors qu'Antoinette et lui résidaient à Fribourg.
La Montagne est l'une des œuvres de jeunesse les plus importantes de Balthus. Il l'acheva en 1937, à l'âge de vingt-huit ans, trois ans après sa première exposition personnelle. L'œuvre achevée ne fut exposée qu'en 1939 sous le titre Été. Ce tableau devait faire partie d'une série de quatre représentant les saisons, mais Balthus n'acheva jamais les trois autres. Cette œuvre lui valut une fois de plus l'étiquette de peintre surréaliste. Le tableau compte sept personnages, tous situés sur un plateau imaginaire près du sommet du Niederhorn, un sommet des Alpes de l'Emmental, dans l'Oberland bernois près de Beatenberg, où Balthus vécut à la fin des années 1920 et au début des années 1930. Dans ces sept personnages, Il ne semble y avoir aucun lien entre eux et pourtant sont censés être un groupe de randonneurs. Dans leurs poses, certains marchent, d'autres sont agenouillés, tandis que la femme au premier plan semble endormie, allongée sur le sol. Cette représentation d'activités mixtes les rend encore plus déconnectés. Ce tableau est avant tout une forme d'évasion pour Balthus, qui rêvait de retrouver Beatenberg, où il avait tant de bons souvenirs.
En 1943, Balthus vivait en Suisse, fuyant les horreurs de la guerre. C'est cette année-là qu'il acheva son tableau intitulé Le Jeu de la patience. Son nouveau modèle était Janette Aldry, un peu plus âgée que les modèles qu'il avait utilisés à Paris. Cependant, L'artiste lui trouvait le même air mélancolique que Thérèse Blanchard, son modèle favori des années 1930. Sur le tableau, la jeune fille a le genou droit posé sur un tabouret, penchée sur l'élégante table Louis XV polie, examinant attentivement les cartes à jouer qui y sont disposées. Son dos est droit et elle semble quelque peu tendue. La jeune fille est vêtue d'un gilet rouge et d'une jupe vert foncé, semblables à ceux que Thérèse portait dans son portrait de 1938. Derrière la table, à gauche du tableau, se trouve une chaise Louis XV à haut dossier sur laquelle repose une boîte ouverte. Sous la table se trouve un tabouret sur lequel sont posés des livres. La disposition désordonnée de la boîte sur la chaise, la pile de livres qui jonchent le tabouret, ainsi que le bougeoir et la coupe poussés aux extrémités de la table, témoignent du désordre provoqué par la jeune fille, poussée par une envie soudaine de jouer aux cartes. J'ai lu quelque part que certains historiens de l'art ont interprété le tableau et la tension et l'agitation de la jeune fille comme une métaphore de ces personnes agitées, contraintes de quitter la France pour la Suisse, refuge sûr, mais désireuses de rentrer chez elles (cf. /mydailyartdisplay.uk/2016/02/03).
La Leçon de guitare (Balthus)
Huile sur toile, 161 x 138 cm, 1934.
"Je prépare une nouvelle toile. Une toile plutôt féroce. Dois-je oser t’en parler ? Si je ne peux pas t’en parler à toi. C’est une scène érotique, mais comprends bien, cela n’a rien de rigolo, rien de ces petites infamies usuelles que l’on montre clandestinement en se poussant du coude. Non, je veux déclamer au grand jour, avec sincérité et émotion, tout le tragique palpitant d’un drame de la chair, proclamer à grands cris les lois inébranlables de l’instinct. Revenir ainsi au contenu passionné d’un art. Mort aux hypocrites ! Ce tableau représente une leçon de guitare, une jeune femme a donné une leçon de guitare à une petite fille, après quoi elle continue à jouer de la guitare sur la petite fille. Après avoir fait vibrer les cordes de l’instrument, elle fait vibrer un corps" (Lettre de Balthus du 1er décembre 1933 à Antoinette de Watteville).
Antoinette de Watteville (1912-1997) était une jeune aristocrate suisse de Berne qui a été l'épouse le peintre Balthus de 1937 à 1947. Elle a échangé avec lui une abondante correspondance et a été son modèle pour plusieurs toiles. Balthus et Antoinette se rencontrèrent pour la première fois en 1924, alors qu'elle avait douze ans et lui dix-neuf. Antoinette ayant épousé un diplomate en 1934 demanda à Balthus de cesser de lui écrire pour ne pas contrarier son mari. Balthus étant évasté souffrit d'une dépression nerveuse et tenta de se suicider. Il était si déprimé qu'il abandonna pratiquement la peinture pendant un an. Son humeur ne s'améliora que lorsqu'elle recommença à lui écrire et, à Berne, le 2 avril 1937, elle épousa Balthus. Ils eurent ensuite deux fils, Stanislas, né en octobre 1942 et Thadée, né en février 1944, qui co-écrivirent une biographie de leur père comprenant de nombreuses lettres entre Antoinette et Balthus.
L'un des premiers tableaux de Balthus représentant sa femme fut La Jupe blanche, peint fin 1937, quelques mois après leur mariage. L'histoire de ce tableau prend une tournure inhabituelle. Ce tableau provocateur représente Antoinette allongée sur une chaise. vêtue d'une longue jupe de tennis blanche ayant appartenu à sa mère. La veste est ouverte et on ne peut s'empêcher de remarquer son soutien-gorge semi-transparent, laissant entrevoir ses tétons qui se crispent sur le tissu soyeux. Sa pose dégage une grâce aristocratique et assurée, ce qui, d'une certaine manière, a séduit Balthus de savoir qu'il avait épousé une aristocrate. Balthus vendit le tableau à son ami, le marchand d'art parisien Pierre Colle, qui l'avait présenté à Derain. Il est évident que Balthus regretta cette décision, car il avait perdu un tableau représentant son trophée aristocratique, Antoinette. Pierre Colle étant mort en 1948, Balthus s'adresse à sa veuve pour récupérer le tableau La Jupe blanche.
Elle accepta, mais à une condition : que Balthus exécute un tableau représentant ses trois filles, Marie-Pierre, Béatrice et Sylvia pour l'échanger contre le portrait d'Antoinette, que Balthus désirait ardemment. Balthus accepta l'échange et réalisa l'une des versions du tableau, Les Trois Sœurs, en 1954. Lorsque la Seconde guerre mondiale éclata en 1939, Balthus fut mobilisé dans l'armée française et envoyé au combat près de Sarrebruck en Alsace. Son service militaire ne dura que quelques mois, étant invalide suite à une blessure à la jambe et suite à une dépression nerveuse. Il se rendit en Savoie et en Suisse pour se rétablir et en mars 1940 rentra à Paris où il fut démobilisé. En juin 1940 les Allemands occupant Paris, Balthus et son épouse Antoinette quittèrent la capitale française et s'installèrent dans un manoir du XVIIe siècle, Champrovent, dans le village de Vernatel, près de Chambéry en Savoie. Ils y partageèrent une ferme avec une autre famille, les Coslin.
Gertrude, la fille des Coslin, âgée de douze ans, apparaît dans le premier tableau peint par Balthus pendant leur exil. Intitulée Nature morte avec figure. On y voit la jeune fille de profil, dont la silhouette est coupée sur le bord droit. On ne voit d'elle que sa tête, ses cheveux blond-roux ondulés et la manche vert-jaune de son chemisier. Elle se penche pour regarder la table. Sa main gauche repose sur la table, tandis que sa main droite semble tirer le rideau de brocart rouge et or. Son expression est menaçante, le regard fixé sur la maigre nourriture mise de côté pour le déjeuner. À l'autre bout de la table, une coupe à fruits victorienne en argent ornée, ornée d'un pied, contient plusieurs pommes vertes et rouges, toutes encore pédonculées. On peut apercevoir un verre à vin, peut-être à moitié rempli de cidre. Sur la table, près de la jeune fille, un morceau de pain maison est transpercé par un couteau à manche noir.
Le décor de ce tableau était l'une des pièces de la ferme où séjournaient Balthus et Antoinette, mais pas le salon, qui apparaît dans les peintures ultérieures de Balthus (Salon I et Salon II). Le mur coloré, le rideau de brocart et le bordeaux profond de la nappe contrastent fortement avec les murs sobres et ternes de son atelier parisien, qui servit de toile de fond à de nombreuses œuvres de Balthus.
Balthus a peint de nombreux tableaux représentant Antoinette. L'un d'eux, plus original, fut réalisé en 1944, intitulé Jeune fille en vert et rouge. À l'époque de ce tableau, Antoinette avait trente-deux ans, mais la représentation qu'en fait Balthus la fait paraître adolescente. On la voit vêtue d'un tricot vert et rouge, une cape marron sur l'épaule droite. Elle a déclaré dans une interview ultérieure avoir acheté ce tricot spécialement pour la séance. Antoinette avait les cheveux blonds, mais dans le tableau, Balthus les avait brunis pour qu'ils soient assortis à la couleur de la cape. Outre les deux couleurs du tricot, dont le rouge est mis en valeur, son visage paraît bicolore grâce à la même source lumineuse provenant de la gauche du tableau. Antoinette est assise à une table. Sur la table, recouverte d'une nappe blanche, se trouvent une coupe en argent, une demi-miche de pain dans laquelle est enfoncé un couteau à manche noir, et un chandelier qu'elle tient. Le pain et le couteau qui dépasse apparaissent également dans sa Nature morte au personnage, peinte la même année. La représentation d'Antoinette dans ce tableau a souvent été comparée à celle d'une diseuse de bonne aventure s'apprêtant à tirer les cartes du tarot. Balthus réalisa cette œuvre alors qu'il vivait au 164, place Notre-Dame, à Fribourg, en Suisse, où lui et Antoinette s'étaient installés de mai 1942 à octobre 1945. Ce tableau fut salué par les surréalistes et marqua l'une des approches les plus proches du surréalisme chez Balthus, mouvement dont les chefs de file l'admiraient et le courtisaient, mzis qu'il. Il repoussa.
Pour échapper aux rudes conditions hivernales savoyardes et à l'arrivée des armées allemandes, Balthus et Antoinette quittèrent Vernatel fin 1941 et s'installèrent en Suisse auprès des parents de la jeune fille, installés à Berne. Durant son séjour de dix-huit mois à Champrovent, Balthus se mit à peindre deux grands paysages, qui formaient un panorama continu de la campagne que Balthus aurait contemplée en sortant de sa ferme. Paysage de Champrovent est une vue topographiquement correcte de la scène. En observant attentivement le centre et le plan intermédiaire, on distingue le château de la Petite Forêt et le bois de Leyière. Plus loin, sur la crête de la colline, mais hors de vue, se dessine la vallée du Rhône. Au loin, le gris-bleu du massif du Colombier se dessine. Le décor est une fin d'après-midi ensoleillée d'été avec une jeune fille allongée dans un champ profitant des derniers rayons du soleil. Le modèle de ce tableau était Georgette Coslin, la fille du fermier.
L'œuvre qui l'accompagne s'intitule Vernatel, Paysage aux Bœufs. La chaîne de montagnes à droite représente la Vacherie de la Balme et domine le village de Vernatel, dans la vallée. La jeune fille, aujourd'hui grand-mère, Geogette Varnaz (née Coslin), qui a servi de modèle au tableau précédent, vit avec son mari dans ce village. Ce paysage est topographiquement incorrect, car l'espace derrière le grand arbre à gauche du tableau, aurait dû abriter un autre village, Monthoux. Cette fois, le décor n'est pas un jour d'été, mais un jour de novembre. L'hiver approche à grands pas et le fermier doit ramasser du bois pour les feux d'hiver. Dans le champ au premier plan, on voit le fermier avec ses deux bœufs s'efforçant de tirer un tronc d'arbre à travers le champ.
C'est également pendant son séjour à Champrovent qu'il réalisa deux tableaux, Salon I et Salon II, tous deux inspirés de son œuvre de 1937, Les Enfants Blanchard. Cependant, au lieu du décor sobre et terne de son atelier parisien, ces deux tableaux ont pour toile de fond, plus colorée, l'une des pièces de Champrovent. Il commença à peindre Salon I en 1941, mais avant son achèvement travailla à la seconde version, achevée en 1942. La première version, Salon I, ne fut achevée qu'en 1943, alors qu'Antoinette et lui résidaient à Fribourg.
La Montagne est l'une des œuvres de jeunesse les plus importantes de Balthus. Il l'acheva en 1937, à l'âge de vingt-huit ans, trois ans après sa première exposition personnelle. L'œuvre achevée ne fut exposée qu'en 1939 sous le titre Été. Ce tableau devait faire partie d'une série de quatre représentant les saisons, mais Balthus n'acheva jamais les trois autres. Cette œuvre lui valut une fois de plus l'étiquette de peintre surréaliste. Le tableau compte sept personnages, tous situés sur un plateau imaginaire près du sommet du Niederhorn, un sommet des Alpes de l'Emmental, dans l'Oberland bernois près de Beatenberg, où Balthus vécut à la fin des années 1920 et au début des années 1930. Dans ces sept personnages, Il ne semble y avoir aucun lien entre eux et pourtant sont censés être un groupe de randonneurs. Dans leurs poses, certains marchent, d'autres sont agenouillés, tandis que la femme au premier plan semble endormie, allongée sur le sol. Cette représentation d'activités mixtes les rend encore plus déconnectés. Ce tableau est avant tout une forme d'évasion pour Balthus, qui rêvait de retrouver Beatenberg, où il avait tant de bons souvenirs.
En 1943, Balthus vivait en Suisse, fuyant les horreurs de la guerre. C'est cette année-là qu'il acheva son tableau intitulé Le Jeu de la patience. Son nouveau modèle était Janette Aldry, un peu plus âgée que les modèles qu'il avait utilisés à Paris. Cependant, L'artiste lui trouvait le même air mélancolique que Thérèse Blanchard, son modèle favori des années 1930. Sur le tableau, la jeune fille a le genou droit posé sur un tabouret, penchée sur l'élégante table Louis XV polie, examinant attentivement les cartes à jouer qui y sont disposées. Son dos est droit et elle semble quelque peu tendue. La jeune fille est vêtue d'un gilet rouge et d'une jupe vert foncé, semblables à ceux que Thérèse portait dans son portrait de 1938. Derrière la table, à gauche du tableau, se trouve une chaise Louis XV à haut dossier sur laquelle repose une boîte ouverte. Sous la table se trouve un tabouret sur lequel sont posés des livres. La disposition désordonnée de la boîte sur la chaise, la pile de livres qui jonchent le tabouret, ainsi que le bougeoir et la coupe poussés aux extrémités de la table, témoignent du désordre provoqué par la jeune fille, poussée par une envie soudaine de jouer aux cartes. J'ai lu quelque part que certains historiens de l'art ont interprété le tableau et la tension et l'agitation de la jeune fille comme une métaphore de ces personnes agitées, contraintes de quitter la France pour la Suisse, refuge sûr, mais désireuses de rentrer chez elles (cf. /mydailyartdisplay.uk/2016/02/03).