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Le tableau enchanté

www.youtube.com/watch?v=J7xE4kgPjoo

 

 

Et ce vent, l’affreuse Tania l’avait aussi ressenti. Dans son repaire, pour parer à toute éventuelle rébellion, elle avait préparé le piège qu’elle destinait au roi vampire, cette statue si belle qu’elle le tenterait et le mettrait sous emprise de la voleuse d’âmes. Elle ne savait pas qu’elle-même, par ses stratégies maléfiques, participait à sa façon à réunir précisément, ceux qu’elle voulait séparer. Pour parfaire le sortilège, elle avait ligoté une guitare qu’elle avait choisie pour incarner la magie musicale de Jakob, qu’elle voulait aussi réduire en esclavage.

 

- Deux précautions valent mieux qu’une, s’était-elle dit en attachant le cordage très serré sur l’instrument. S’il défaisait le maléfice de la statue, il resterait lié à moi par le contrôle musical que je garderai bientôt sur lui. Jusqu’à ce que, faute de revoir sa belle, il se résigne à m’appartenir à tout jamais.

 

Puis elle avait consulté les cartes pour savoir où en était le roi depuis qu’elle avait quitté le banquet. Et le vit dormant sur son lit, la bouche barbouillée de ce qu’elle prit pour du sang, mais qui n’était autre que le jus de la grenade qu’il avait dévorée.

 

- Que voilà une bonne nouvelle ! Au moins, s’il ne mange ni ne boit en compagnie, il ne se laisse pas mourir de faim chez lui. Et endormi comme il est, il ne se rendra même pas compte de ma présence si je viens déposer la statue dans sa chambre. Allons...où est le sort d’invisibilité ? Aaaaaah le voilà dit-elle, en recopiant le mantra sur un morceau de papier qu’elle glissa dans son décolleté.

 

Puis elle entoura la statue d’un tissu de soie identique à sa cape. Et prononçant la formule de téléportation, elle souhaita être dans la chambre du monarque. Elle devait ensuite prononcer le mantra d’invisibilité pour ne pas être repérée par Bartoloméo. Et déposer aussi silencieusement que possible la statue dans la pièce. Cette dernière n’était pas très haute, pouvait tenir sur un meuble, mais une fois le sortilège démarré, la statue pouvait grandir et égaler en taille sa victime.

Placée face au lit sur le marbre d’une commode, le vampire ne pourrait la manquer à son réveil. Et alors, Tania pourrait le posséder entièrement et régner enfin sur le royaume des ombres, comme elle l’avait toujours désiré. Elle chuchota à la statue :

 

- Ariane, n’oublie pas ! Tu t’appelles Ariane et tu dois me rapporter l’âme et la ferveur de Roméo, prince vampire et roi des ombres.

 

La statue ouvrit les yeux et contempla sa maîtresse avant d’incliner légèrement la tête. Puis reprit son immobilité rigide ordinaire. Satisfaite, Tania s’éclipsa non sans un dernier regard à Jakob, toujours endormi sur son lit. Bientôt il serait à elle, tout à elle et Marie ne pourrait que constater la trahison de son mari.

 

- Après tout, ricana la voleuse d’âmes, la comtesse n’a-t-elle pas rejeté son époux en refusant d’être reine des ombres ? Elle m’a en quelque sorte laissé carte blanche pour le soumettre à mes désirs.

Alors ne nous refusons aucun maléfice pour le contraindre.

 

De retour chez elle, la voleuse d’âmes considéra un tableau avec attention, représentant une jeune fille en robe blanche dans un cadre d’or. Cette toile lui avait été offerte il y a bien longtemps par Bartoloméo. A l’époque où ils étaient ensemble. Elle sourit ironiquement, car le visage de la jeune fille ressemblait à la fois Anne et à Marie Smiroff. Quand il le lui avait offert ce tableau, Bartoloméo lui avait dit :

 

- J’aimerais croire qu’il s’agisse de toi un jour. Car cette jeune fille provoquera la chute des mondes que nous connaissons par sa pureté et son innocence. Et je sais que si ce n’est pas toi, tu devras l’aider à accomplir la prophétie. Peu importe comment…

 

Tania avait considéré son amant avec agressivité :

 

- C’est la femme que tu aimes réellement, n’est-ce pas ? Serait-elle ma rivale ? Veux-tu piquer ma jalousie ?

 

Bartoloméo avait haussé les épaules :

 

- Crois ce que tu veux. En réalité, je ne sais pas qui elle est exactement. Je l’ai peinte à l’inspiration, pour t’aider à comprendre quelque chose que je ressens profondément, comme une certitude. Et pour m’aider aussi à croire en un avenir moins sombre et plus réjouissant que sous la férule de Lucifer. Si je te l’offre, c’est parce que j’aimerais croire encore en un avenir commun, mais sous des auspices plus doux.

 

- Tu n’es pas heureux ?

 

- Perdre des âmes en les séduisant et en les manipulant devrait me rendre heureux ?

 

Tania soupira :

 

- Toujours ces mêmes façons de me répondre : une question par rapport à ma question.

 

- Mais Tania...comment peux-tu envisager le bonheur à faire du mal ?

 

- Je ne l’envisage pas, je le fais. Et cela me comble. Je ne comprends pas que tu n’y prennes pas plaisir. N’es-tu pas satisfait du confort et des récompenses que nous octroie Lucifer en contrepartie ?

 

- Si...d’une certaine façon. Le luxe, nos ébats, la réussite de nos entreprises me plaisent. Mais mon âme n’y trouve pas son compte.

 

- Confie-la moi et je te promets que tu n’auras plus ce genre de tourment, répondit la jeune femme avec gourmandise.

 

- Jamais ! Mon corps si tu veux, mais jamais mon âme. De toute façon, elle est promise à Lucifer, pas à toi. Nous ne sommes que des créatures à son service. Nous n’avons pas à revendiquer l’autre pour notre seul plaisir.

 

- Tu dis cela parce que tu n’as pas d’ambition !

 

- Détrompe-toi, ma chère ! J’en ai beaucoup plus que tu ne le penses. Mais mes objectifs ne sont pas la destruction, plutôt quelque chose de constructif, en rapport avec mes visions.

 

- Ta médiumnité : elle n’arrête pas de nous montrer un labyrinthe rempli de chausse-trapes.

 

- Oui...et en son centre, un faune qui hurle en lisant un livre. Et ce faune, je sais que c’est moi. Mon propre désespoir d’être piégé dans un rôle où je me sens prisonnier et donc malheureux. Il me faut quelqu’un pour me libérer de l’enfermement où me tient Lucifer. Ou quelque chose qui m’aide à trouver le courage de partir.

 

- La jeune fille à la robe blanche serait alors la clé pour te sortir de ta prison ?

 

- Peut-être…

 

- Eh bien, si cette fille devait un jour entrer dans ta vie et m’éloigner de toi, je l’envoûterai, je m’arrangerai pour que jamais tu ne puisses me remplacer par elle.

 

Bartoloméo avait souri laconiquement.

 

- Tu réussiras peut-être dans cette vie avec l’aide de Lucifer, mais si tu agis contre elle, tu finiras par me perdre définitivement.

 

Tania l’avait fixé avec effronterie :

 

- Qui ne tente rien n’a rien, dit-on. Et je te veux...corps et âme. Peu m’importe les risques que j’encours. Une rivale est une rivale. Je ne laisserai aucune femme, aucune fille se mettre entre nous. Tu es à moi, entends-tu ? Lucifer nous a nommés partenaires et nous sommes amants depuis lors. Il est hors de question qu’une autre femme te vole à moi.

 

Le jeune homme avait alors ri :

 

- Attends quelques vies...ce ne sera plus vraiment moi...plus vraiment toi…mais le jeu se rejouera entre nous comme il se joue dans cette vie...avant de dissoudre tout ce que nous connaissons jusqu’à présent.

 

- Mais comment peux-tu être aussi affirmatif?

 

- Je ne sais pas...La seule chose que je vois c’est la victoire de la jeune fille du tableau. Et ma délivrance définitive.

 

Tania soupira. Ce souvenir désagréable en forme de promesse et d’intimidation, qui revenait comme une espèce de retour de bâton, au moment où elle s’apprêtait à vampiriser à sa manière le roi des ombres, fit s’allumer son regard :

 

- Roméo est sans doute le nouveau Bartoloméo. Ce qui explique pourquoi je l’ai identifié durant le banquet et pourquoi la maison de Bartoloméo, pourtant abandonnée depuis des lustres, sert à présent de demeure au nouveau roi des ombres. Mais s’il croit que je le laisserai accomplir la prophétie et m’échapper, il se trompe lourdement.

 

A présent que j’ai verrouillé la fuite de ma proie, allons donc faire de même auprès de celle qui a succédé à Anne. Lucifer m’a toujours dit qu’elle était la plus coriace des deux. Et qu’elle avait réussi à le tromper pour retrouver et libérer son amant. Si je n’ avais pas donné la formule de pétrification au diable, jamais nous n’en serions venus à bout.

 

- Mais Lucifer et toi n’avez pas vraiment gagné pour autant, Tania. Puisque nos coeurs continuent de battre sous la pierre, murmura une voix suave à son oreille. Alors ne compte pas gagner contre Marie. De toute façon, elle est protégée par les forces de l’anneau, ainsi que par Anne et moi…Si tu tentes de t’attaquer à elle...elle saura se défendre, tout autant que Roméo.

 

- Eh bien c’est ce que nous verrons, murmura la voleuse d’âmes en saisissant le tableau peint par son ancien partenaire. Je vais casser les fils qui relient Marie et Roméo, en tisser d’autres entre lui et moi.

 

- Une autre tapisserie ?

 

- Oui, dont elle sera absente, cette fois !

 

- Mais tu es déjà dans les tapisseries qu’elle consulte. Tu fais partie du jeu…et c’est elle plus que toi qui mène la danse. Tu n’es qu’une marionnette, ma chère...mais tu ne peux le percevoir puisque tu n’as pas l’intelligence du coeur.

 

Folle de colère, Tania fit un signe étrange de la main comme pour attirer quelque chose issu du tableau : un fil blanc apparut à la surface de la peinture, petite flèche sur laquelle la voleuse d’âmes tira violemment. Aussitôt, le tissu de la robe de la jeune fille se mit à tressauter tout autant que la toile et la peinture couchée dessus, à mesure que Tania embobinait le fil qu’elle tirait. Ce dernier était fait non seulement de coton blanc, mais aussi de flammes brûlantes qui tentaient de se rejoindre les unes les autres désespérément, provoquant un réveil douloureux et un affolement chez la jeune fille.

 

- Jakob, Jakob...mais que se passe-t-il ? Pourquoi est-ce que ta présence ne semble plus aussi forte à mes côtés ? Pourquoi est-ce que j’ai si mal ? Pourquoi est-ce que je sens des forces maléfiques tenter de nous séparer ?

 

- Marie...mais je t’aime...non, je ne t’aime pas...tu n’es rien...Tania est tout ce que tu ne seras jamais. Je vais couper le lien qui m’enchaîne à toi et je charge Tania de le faire avec sa propre magie.

 

- Quoi???Mais...ce n’est pas possible ! Ce n’est pas toi qui me dis ça !

 

- Je suis un vampire et je suis le roi des ombres. Je décide ce qui est bon ou pas pour moi. Alors je te chasse ! Retourne à ton monde, renonce à moi, renonce à nous et à l’anneau de feu...sinon, prends garde !

 

- Noooooon...je refuse d’abandonner ! Ce que tu m’envoies est une illusion, un sortilège que la femme étrange qui te suit mobilise pour nous perdre et pour essayer de s’emparer de toi ! Je t’en prie, Jakob...réveille-toi ! Elle ne fait qu’essayer de te tromper pour mieux te posséder.

 

Tania considéra la jeune fille du tableau à présent complètement dénudée, décoiffée et parcourue de fils enflammés.

 

- Tu es décidément très douée, Marie Smiroff, pour percer la vérité derrière le masque des choses. C’est pourquoi tu dois payer le prix de cette connexion insensée.

 

Et saisissant une paire de ciseaux tranchants, elle finit de mettre en pièces la toile, faisant hurler la jeune fille de douleur sous les lames acérés des ciseaux, laissant la peinture s’entasser dessus comme autant de crottes d’oiseaux visqueuses, sanguinolentes et malodorantes. Puis Tania souffla dessus en projetant ces fragments enflammés et noircis en direction de la tour du château de Kalamine où ils atterrirent directement sur la couverture qui enveloppait la jeune comtesse.

 

L’odeur nauséabonde conjuguée à un malaise immense, réveilla la dormeuse. Non pas la jeune fille fictive du tableau, mais la vraie Marie se dressa d’un bond, affolée, cherchant du secours sans en trouver aucun, et se heurtant au silence de l’antichambre, que seul le tictac d’une petite pendule venait troubler.

 

Puis elle contempla les crottes, écoeurée. Repoussa la couverture souillée et frissonna. Il faisait soudainement froid dans l’antichambre. Très froid. Le feu s’était éteint et pas seulement dans l’âtre. Il semblait s’être volatilisé dans son coeur sans qu’elle comprenne comment ni pourquoi. Elle était seule. Confrontée à un rejet immense de Jakob à son égard, relayé par un maléfice de la voleuse d’âmes plus sombre encore. Et qui la déstabilisait complètement dans sa quête alchimique, la rendant presque ridicule et inutile.

 

Marie qui avait déjà peur de la voleuse d’âmes, conçut plus de crainte encore vis à vis de Tania. Et tout aussitôt, se sentit misérable et indigne de celui qu’elle aimait. Car elle était bien incapable de pareils agissements. Et elle sentait bien que ce qui attachait Jakob à cette femme était la magie qu’elle-même ne possédait pas. Et pourtant...Jakob l’avait aimée sans le subterfuge d’aucune magie...Mais au final, il avait choisi la magie la plus sombre plutôt que leur amour. Et Marie devait accepter sans doute cette réalité, si cruelle soit-elle. Une larme, puis deux, puis trois étaient tombées à terre sans qu’elle songea à les essuyer. Et une vague de désespoir aussi noir que les déjections de la couverture l’envahit.

 

Comment l’aperçu de la chambre nuptiale et de Jakob l’y attendant, pouvait-il se terminer par un cauchemar aussi affreux qui en plus, s’incarnait maintenant dans l’anti-chambre alchimique ?

Ce n’était pas possible. Quelque chose en elle refusait d’abdiquer face à cette violence qui lui était faite ; et ce quelque chose était cet amour immense qu’elle éprouvait pour Jakob, qui résistait à cette tentative d’anéantissement, avec un entêtement qui n’avait d’égal que sa colère. Non, décidément, elle ne laisserait pas la voleuse d’âmes lui prendre son mari ni l’amour qu’ils partageaient. Et elle l’affronterait si elle voulait pouvoir accéder à la promesse que lui avait donné le perroquet.

 

Alors vivement, Marie rassembla quelques bûches, un peu de papier et prit des allumettes pour ranimer le feu dans la petite cheminée. Puis elle chercha du regard de quoi se vêtir car elle s’était découverte en chemise, sous la couverture. Alors qu’elle était persuadée être habillée quand elle s’était endormie dans le fauteuil.

 

- Où est ma robe rouge, demanda-t-elle tout haut ? Où sont mes effets ?

 

Mais rien ni personne ne lui répondit. La robe rouge d’initiation avait disparu. Un instant, la jeune fille pensa que la voleuse d’âmes la lui avait volée mais finit par apercevoir une manche de la robe dépasser d’un coffre en bois qu’elle ouvrit. Erminie l’avait peut-être dévêtue avant qu’elle ne s’endorme pour ne pas froisser cette tenue d’apparat. Marie trouva dans le coffre une tenue plus simple, blanche, exactement comme la tenue que portait la jeune fille du tableau qu’elle avait aperçue dans son rêve.

 

 

- Ca par exemple...mais comment est-ce possible ? Dit elle en saisissant le vêtement et en l’enfilant à la hâte. Pourquoi ce cauchemar soudain ? Que veut dire ce tableau ? Est-ce moi qui suis représentée dessus? Et si c’est moi, comment cette horrible femme l’avait-elle en sa possession ?

 

Tant de questions se bousculaient dans sa tête sans trouver de réponses, que Marie en venait à se demander à quoi servait le parcours alchimique si l’issue est aussi désespérante.

 

- Une chose est sûre :je ne veux pas que la connexion s’arrête. Et Jakob non plus, j’en suis persuadée ! Seulement, on dirait que notre lien a été comme momentanément brouillé. J’entends et ressens toujours son affection mais... une bonne partie de ce qui m’arrive comme message semble tordu et malfaisant. Pourquoi, alors que j’essaie d’avancer au plan alchimique, m’arrive-t-il une telle épreuve ? Qu’ai-je fait pour que notre lien se retrouve à moitié coupé? Et pourquoi vouloir me salir avec ces crottes ensanglantées ? Suis-je si indigne de Jakob que je doive subir une telle humiliation ?

 

En même temps, qu’elle s’habillait et se faisait ces réflexions, elle aperçut une sorte de balle rouge clair sous le fauteuil qui lui servait de lit.

 

- Mais qu’est-ce que c’est encore que ça ? Par quel miracle cette...Oh mon Dieu mais c’est...une grenade !

 

Instinctivement elle rosit en repensant à la vision qu’elle avait eue de Jakob dans la chambre ornée du même fruit. Elle ramassa la grenade et la posa sur sa joue. Immédiatement, elle se sentit irradiée par une lumière douce qui l’entourait comme les bras d’un amant. Avec une tendresse toute suave qui la fit soupirer. Jakob lui manquait tellement...Mais si elle commençait à s’attendrir ainsi, elle n’aurait plus aucun courage pour changer la situation. Et il était hors de question que les maléfices dont elle était prisonnière aient le dessus sur leur amour. Alors elle rouvrit les yeux et contempla la couverture souillée.

 

- Il faut que je la nettoie…dit-elle tout haut en posant la grenade sur une table. Et nous verrons ensuite à régler son compte à cette odieuse personne !

 

Elle attrapa la courtepointe, la traîna jusqu’à l’âtre, puis saisit la balayette de cheminée pour brosser les crottes mais celles-ci une fois tombées, se reformaient sur la couverture comme si désormais, elles y étaient attachées. Loin de se laisser décourager, Marie attrapa un morceau de savon, de l’eau, une brosse et se mit à frotter avec énergie la couverture en murmurant :

 

- ...la magie appartient à l’âme qui agit. Et les maléfices, je sais les nettoyer. Que le mauvais sort soit renvoyé à son initiatrice. Et que la lumière repousse les ombres ! Anneau de feu, toi qui peux tout, aide moi !

 

Aussitôt dit, aussitôt fait, l’anneau à son doigt irradia la couverture en déclenchant un vent puissant qui emporta et nettoya les souillures définitivement. Et renvoya de façon décuplée, le maléfice à celle qui l’avait lancé. Tania qui tenait la pelote de fil dût la lâcher sous la puissance du vent sorcier qui s’était déclenché. La pelote qu’elle tenait pourtant serrée, tomba. Puis vivement se déroula et partit dans tous les sens au sol, avant de ligoter solidement les chevilles de la voleuse d’âmes, aussi entravée qu’elle avait tenté d’entraver Jakob et sa guitare. Et Tania en fut aussi désarçonnée que la jeune fille qu’elle avait tenté d’intimider.

 

- Par tous les diables, mais qu’est-ce que...Noooooon...cette enfant ne peut pas disposer de pouvoirs...c’est matériellement impossible ! Nous l’aurions su depuis longtemps, Lucifer, Oswald et moi !

 

A nouveau, la voix suave lui répondit :

 

- Ces pouvoirs ont été dissimulés avant même sa naissance. Héloïse était consciente de la magie liée à sa fille dès le début de sa grossesse. Mais pour lui éviter de souffrir et d’être manipulée un jour par les forces du mal à cause de cette magie, la comtesse et son mari ont utilisé une incantation puissante pour que Marie ignore ses capacités, tant que l’union alchimique ne serait pas réalisée.

 

Ses dons, lorsqu’ils se manifestent, s’ils ne sont plus en sommeil, sont involontaires, liés aux circonstances et aux violences que les forces du mal lui font subir. Marie n’a donc pas encore conscience des pouvoirs puissants dont elle dispose. Et elle a besoin de l’anneau de feu pour les activer. Mais le jour où elle n’aura plus besoin de lui pour déployer sa puissance, Tania, c’est toi qui auras peur d’elle. Et tu auras raison de la craindre, car alors, elle te vaincra, comme elle vient de vaincre tes maléfices sur elle.

 

Et je vais te révéler une chose supplémentaire, ma chère : ce que tu viens de tenter contre Marie et contre l’union d’âmes qu’elle vit déjà avec Roméo, a déclenché chez elle une prise de conscience de ses propres pouvoirs.

 

Jusque là, elle fuyait tout ce qui était lié à la magie, comme si la magie incarnait seulement les pouvoirs maléfiques d’Oswald et des forces du mal. Mais grâce au parcours alchimique et à tes attaques, elle comprendra vite qu’elle peut opposer à la magie des ombres, une magie lumineuse faite d’amour, de compréhension et de lumière. Bien plus puissante que celle que tu déploies pour nuire et capturer les âmes.

 

- Non, tu mens, Bartoloméo...tu veux seulement me tromper.

 

- C’est toi qui te mens et te fais souffrir inutilement, Tania ! Et je ne t’ai pas trompée jadis, en te préférant Anne. J’ai même tenté de t’expliquer les choses plus doucement, avec toute l’affection que j’avais encore pour toi :

 

www.youtube.com/watch?v=W2yBAX9DGo4

 

Depuis cette conversation, de nombreuses vies se sont passées. Et aujourd’hui, tu n’as plus les moyens de m’enfermer ni de contraindre qui que ce soit à t’obéir. Au risque de te punir toi-même. Roméo te l’avait précisé au banquet du couronnement. Mais tu n’as pas écouté ce qu’il t’a dit. Parce que tu te penses supérieure à lui. Mais lui sait aussi des choses que tu ignores. Qui peuvent entraver durablement tes pouvoirs, quoi que tu en penses.

 

- C’est ridicule !protesta la gitane blonde, en cherchant à défaire les liens qui la retenaient prisonnière sans y parvenir.

 

Ce qui fit rire Bartoloméo qui conclut ainsi son exposé :

 

- Tu peux évidemment tenter de continuer d’imposer ta magie noire, mais tu verras bientôt que la magie d’amour vrai, la compassion, la recherche du bien commun et non des intérêts privés, dépasse en puissance tout ce que tu peux user de maléfices pour soumettre tes proies comme tes adversaires.

Ce sera une double révélation. Pour toi autant que pour Marie. Et elle a déjà commencé cette magie d’amour...lorsque tu as voulu mobiliser ta magie noire pour dominer tant le roi des ombres que l’ épouse dont il est séparé. Crois-moi ou pas, Tania : la magie lumineuse gagnera toujours...tant que tu nourriras la tienne de violence, de méchanceté et de manipulation.

 

La voleuse d’âmes sourit. Et en même temps qu’elle réussissait enfin à briser les fils qui la retenaient prisonnière, elle répliqua avec ironie :

 

- Mon pauvre Bartoloméo, tu crois vraiment que ta tentative de déstabilisation va me décourager de posséder Roméo ? Qui me dit que la magie qui vient de se manifester contre ma personne est l’oeuvre de Marie ? Nul autre que toi. Or, ce qui m’apparaît le plus vraisemblable au regard de ce que je sais depuis toutes ces années passées ensemble, c’est que cette magie vient de toi, dans le seul but de me faire peur, de me faire renoncer.

 

Aussi, je me dois de te rappeler une chose, mon amour : tu m’appartiens. Tout ce que nous avons fait ensemble pour Lucifer par le passé, nous lie l’un à l’autre. Peu importe qu’Anne ait finalement eu le dessus en te ralliant à l’amour pur et aux forces de l’anneau de feu, puisque de toute façon Lucifer a fait en sorte de vous faire payer votre traîtrise comme vous le méritiez tous deux, par le châtiment de pétrification que je lui ai donné. Et le jeune homme qui t’incarne à présent dans la matière, fait déjà partie du royaume des ombres, de mon monde où régnait Lucifer, Osmond et Oswald jusque là. Mieux, Roméo est devenu roi de ce pays qui est le mien. Alors il peut prétendre être amoureux d’une autre, à l’opposé de ma noirceur. En réalité, il est déjà plus présent physiquement de moi qu’il ne le sera jamais de la petite comtesse jardinière. Charnellement, je lui suis plus accessible ; et le désir qu’il tente de contrôler me le prouve suffisamment. Alors, n’imagine pas qu’il me quittera comme toi tu l’as fait en rencontrant Anne. Car tu oublies une chose, mon cher ! Je peux changer d’apparence...Je peux...illusionner Roméo en lui faisant croire que je suis Marie, tout en conservant mes pouvoirs. Et avec quelques maléfices, aidée par le corbeau que je lui ai offert en cadeau, je pourrai tout à fait achever la possession que j’ai commencé avec toi.

 

- Tu n’oserais pas…répondit la voix brusquement altérée et inquiète de Bartoloméo.

 

Pour toute réponse, la voleuse d’âmes passa une main devant son visage ; et de blonde, devint brune. Sans pouvoir ressembler à Marie ni à Anne tant la cruauté comme la méchanceté se lisaient sur son visage, elle pouvait ainsi se donner une apparence plus directement offensive.

 

Et détournant le vent sorcier dont elle avait été victime, elle emporta le fantôme dans le désert qui jouxtait le château des vampires. Puis mobilisa sa magie la plus noire pour le soumettre à nouveau.

Elle convoqua corbeaux et nuées, vents et montagnes, poussière et ténèbres pour réchauffer la passion qui l’unissait à son ancien amant.

 

 

www.youtube.com/watch?v=XS088Opj9o0

 

Mais Bartoloméo qui n’était pas dupe, repoussa l’emprise d’un geste, libérant un immense chien noir pour créer l’illusion nécessaire pour tromper son ex-compagne.

Satisfaite, la voleuse d’âmes s’en revint au logis, tenant en laisse ce qu’elle croyait être son ancien amant, à qui elle promettait sa délivrance dès lors qu’elle aurait soumis Roméo via la statue qu’elle avait placée dans sa chambre.

Sans se douter un instant qu’elle venait ainsi de révéler ses noirs projets au fantôme, caché dans l’ombre d’un pin, la voleuse d’âmes flatta le dogue noir avant de récupérer la pelote de fil, seul vestige du tableau que Bartoloméo lui avait offert :

 

- Pour la peine que tu m’as coûtée, je devrais te la faire manger, dit-elle avec malice. Tu n’aurais ainsi plus de voix pour appeler au secours. Mais tu serais encore capable de lui trouver le goût de la liberté. Et puis j’ai besoin du fil pour le donner à Ariane...pour guider Roméo là où je veux qu’il vienne : ici.

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Uploaded on December 6, 2022
Taken on December 28, 2021