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Le dernier entretien

www.youtube.com/watch?v=tJS-HZWB3wE

 

Ulf était rentré au château des monts chauves de très bonne humeur. La perspective d’obtenir plus de pouvoir et d’emprise sur le royaume des ombres et peut-être profiter des bonnes dispositions du seigneur Matthias Roméo à son égard, ne pouvait que le rendre guilleret. En fredonnant une chanson paillarde, il était arrivé dans la grande salle où ses camarades d’infortune prenaient leur premier repas de la nuit.

 

- Vampires d’Oswald, j’ai l’honneur de vous dire que le seigneur sorcier est mort...ou presque.

 

- Vraiment ? Mais comment ?

 

- Son jeune prodige l’a supplanté, ainsi que le regretté Abélard et d’autres fameux apprentis du royaume des ombres.

 

- Cela voudrait dire que le petit homme à la veste rouge était plus malin que ce que nous pensions ?

 

- Le petit homme a bien grandi, Denys.

 

- Aurait-il pris une longueur de jambes supplémentaires ? S’esclaffa le vampire qui, compte tenu de sa nature, ne comprenait pas qu’un être maléfique puisse évoluer physiquement.

 

- Moque-toi, mon frère, il est aussi grand que nous à présent, et sa figure est des plus étranges qui soit. Des yeux de différentes couleurs, une blondeur dont on ne sait trop si elle est surfaite ou naturelle. Et surtout, ô miracle, il est devenu vampire !

 

- Vampire ? Par la mardi, voilà une nouvelle des plus extraordinaires. Comment cela lui est-il venu ?

 

- Si je vous le dis, vous ne me croirez pas !

 

- Allons allons, Ulf, tu as toujours su ménager tes effets, mais là, soit tu en as trop dit, soit tu n’en as pas dit assez !

 

La malice dans les yeux et le sourire aux lèvres, Ulf vola une gorgée de sang frais dans une coupe, avant de mordre à belles dents, dans un toast garni d’une mousse de boudin à l’orange amère, mais resta coit.

Il aimait l’attente qu’il lisait dans leurs regards et leur avidité d’informations. Cela leur donnait l’air féroce et cela comblait Ulf d’aise, le rassurait presque. En effet, après des semaines où il avait vu son agressivité et celle de ses camarades devenir aussi ridicules que le jappement d’un chiot sans comprendre par quel tour de passe-passe ce changement subi leur était imposé, retrouver tout aussi brusquement la morgue et l’appétit de violence propre à la famille vampirique, le comblait d’aise.

Et comme pour couronner ses espoirs, le vainqueur d’Oswald était à présent des leurs...Ulf se délectait par avance de la joie et de la surprise de ses confrères.

 

- Le petit homme était je crois, avant sa métamorphose, un être féerique , commença-t-il; mais suffisamment duel pour conquérir une place à part dans le royaume maléfique. Oswald avait comme moi compris rapidement ses possibilités. C’est pourquoi il l’a admis comme apprenti.Aujourd’hui que le petit l’a conquise cette place de leader, il est vraiment des nôtres.

Alors il convient de l’accueillir ici au mieux. Je l’ai invité à déjeuner ici et lui ai proposé l’organisation d’un banquet pour affermir ses nouvelles responsabilités.

 

- Eh bien, toi qui te méfiais toujours d’Oswald, quelle confiance immédiate tu as dans ce gamin !

 

- Ce gamin n’en est plus un, je puis te l’assurer, Gustave ! S’il est encore plus étrange que nous le sommes, il nous ressemble, puisque son apparence est désormais celle d’un vampire. Et comme il m’a sauvé plus d’une fois la vie, je peux dire que c’est un ami.

 

- Est-il séduisant ?

 

- Comme peut l’être un vampire !

 

- Est-il cruel ?

 

- S’il a vaincu autant d’ennemis, je le pense. Seule bizarrerie : il semble encore sous la férule d’Oswald, qui paraît l’avoir vampirisé sans pourtant être cause de son état. Le comble pour un vampire, n’est-ce pas ?

Alors, je pensais que nous pourrions l’en débarrasser tout à fait et vérifier que notre ancien tourmenteur n’est plus aux commandes du royaume des ombres. Que diriez-vous de l’élixir de vérité ?

 

- Voilà qui est bien pensé. Nous l’avions fait boire à qui la dernière fois ?

 

- A l’affreux Cornacus, le gobelin. Et de lui n’était sorti que de la fiente d’oiseau...preuve s’il en était que ses maléfices n’étaient que très naturels.

 

- Tu penses donc pouvoir extirper Oswald de ton ami ?

 

- Oui...l’élixir de vérité n’a jamais été testé sur Oswald. C’est une fabrication qui lui a échappé. Il ne se méfiera donc pas. Versons le dans une coupe que notre nouveau jeune maître boira au déjeuner. Nous verrons bien s’il en sortira un ou plusieurs fantômes. Je crois notre prince vampire possédé...possible qu’Oswald tente de jouer à nouveau les monarques au travers de son protégé. Et qui sait, Abélard aussi peut-être ?

 

- Tu définirais donc le petit Matthias comme hanté ?

 

- Oui, je dirais cela. Il n’est pas lui-même actuellement. Sa vraie personnalité est comme entachée d’une noirceur qui n’est pas la sienne. Il était plus authentique et sincère quand je le connus près de son campement et qu’il m’accompagna chez la sorcière du marais...Bien sûr, il était alors un être féerique. Mais son changement d’état n’aurait pas autant changé sa personnalité.Alors je percerai ce mystère. Je le lui dois bien puisqu’il m’a sauvé la vie par deux fois !

 

- Et si ce tour d’élixir en le délivrant condamnait et menaçait notre existence?

 

- Je ne le pense pas, Théodore ! Matthias-Roméo est désespéré. Séparé de celle qu’il aime mais ne pouvant pas revenir en arrière sans perdre ses pouvoirs. Alors il restera chez nous. Je le lui ai d’ailleurs conseillé. Un vampire, même très amoureux, préférera toujours rester en vie plutôt que de risquer de mourir en retrouvant sa belle. C’est ce qui risque d’advenir si jamais il laissait aller ses inclinations du côté de la féerie.

 

- Parce qu’il est amoureux ?

 

- On ne peut l’être plus. Pour tout vous dire, il avait réussi à conquérir le coeur de Marie Smiroff ! Et d’une certaine façon, bien lui en a pris. Grâce à cet amour partagé, sa belle lui a donné l’anneau de feu qui le rend à ce jour maître du pouvoir absolu. En même temps qu’elle l’a malencontreusement transformé.

 

- Quoi ? Que dis-tu ? La fille du comte de Kalamine serait une sorcière changeant les hommes en vampires ?

 

- Mais non, voyons ! La comtesse n’a jamais fait de magie. Seulement, avant qu’Oswald ne l’enlève, elle avait absorbé un poison qui interdisait à tout homme de l’approcher et de tenter baiser ou étreinte. Une façon comme une autre de se protéger de notre maître.

Alors, quand Matthias a eu l’audace d’embrasser la jeune fille et pensant la guérir ainsi de son évanouissement, il a été changé en vampire. Et comme il venait de gagner ses grades au congrès des ombres...je vous laisse imaginer la catastrophe !

 

- Mais quelle tragédie ! Alors les deux amants seront à jamais séparés ? interrogea Victor l’air chagrin, car ce vampire se piquait de romantisme échevelé.

 

- Selon le Grand Livre Vampirique, oui. D’autant qu’une telle union serait contre-nature. Si jamais féerie et maléfices s’unissaient pour...tu vois ce que je veux dire...leur progéniture serait impure et leurs héritages pervertis. Ce serait comme signer notre déchéance à tous. Et entraîner la perte siècle après siècle de nos pouvoirs et de nos privilèges. Nous verrions s’établir une descendance vampirique dégénérée, ce qui serait nuisible à l’ensemble du royaume des ombres. Crois-tu que sorciers maléfiques et démons supporteraient une telle situation ? Avant même que nous ayons les moyens de nous organiser pour maintenir nos familles à la tête du royaume, ils fomenteraient une révolte, nous détruiraient ou pire, nous interneraient et nous réduiraient en esclavage, sans plus aucun pouvoir. Alors mieux vaut que Matthias Roméo et Marie Smiroff restent loin l’un de l’autre.

 

Victor soupira tout en reconnaissant la nécessité de la situation.

S’il en allait de leur survie, alors…

 

Cependant, Ulf, qui connaissait la légende de l’anneau, crut bon d’ajouter :

 

- Retenons toutefois, messieurs, qu’il y a toujours des exceptions, même quand nos lois interdisent de tels rapprochements...Alors, je pense que la féerie trouvera un moyen de réunir les deux tourtereaux un jour, peu importe les obstacles et la distance. Ne serait-ce que pour accomplir la prophétie. Quand et comment ? Je l’ignore. Mais cela se fera. Je l’ai senti dès que j’ai aperçu notre nouveau seigneur.

 

- Cela veut dire que quelles que soient nos précautions, nous sommes condamnés ?

 

- La Haute Magie seule pourrait nous le dire...et nous n’avons pas les moyens de pouvoir y accéder, Albéric. Seul notre nouveau maître le pourrait. A condition qu’il le veuille.

J’essaierai de le convaincre d’y avoir recours. Je vous le promets. Au moins pour préserver nos intérêts et nous ménager un avenir acceptable.

 

En attendant, la magie appartient à la magie, c’est ce que nous savons depuis notre métamorphose. Le pire et le meilleur sont toujours possibles. La prophétie annonçant l’équilibre entre bien et mal par le biais de deux amants sacrés, même retardée par nos soins, finira donc tôt ou tard par s’accomplir.

 

Que Matthias soit ou non l’élu et Marie Smiroff, celle par qui notre sort sera réglé définitivement ou non, nous savons qu’un jour viendra où notre monde maléfique tel qu’il existe, basculera via cet anneau et la magie qui en découle.

Alors, tant que ses pouvoirs puissants sont entre les mains d’un être maléfique, nous devons en profiter. Parce qu’il nous reste peu de temps pour en jouir pleinement.

Mais de la bonne façon. Sans qu’Oswald nous gâche le plaisir, pas plus qu’Abélard du reste.

 

Matthias-Roméo m’a promis monts et merveilles et je connais son sens de l’honneur et de l’amitié. Il s’agit donc de tout faire pour le débarrasser de son envoûtement. Pour qu’il puisse agir en toute liberté et impunité aussi bien contre la féerie que dans le sens de nos intérêts. Sans vraiment qu’il s’en doute, grisé qu’il sera par ses nouvelles fonctions et la puissance qu’il aura entre ses mains.

 

Je lui ai promis le manoir hanté pour lui servir de demeure princière. Nous irons donc préparer l’endroit pour l’accueillir et lui fournir quelques domestiques parmi ceux qui nous doivent quelque arrangement. Et ensuite, nous ferons la fête ici pour célébrer notre nouveau roi ! Et nous inviterons quelques drôlesses afin qu’il puisse mieux oublier sa dame de coeur. J’ai ouï dire qu’il y avait quelques dames blanches qui ne seraient pas contre s’unir à un vampire.

 

- Tu oublies Tania ! Elle ne nous pardonnera pas si nous ne l’invitons pas !

 

- Ah non ! Pas cette...cette séductrice anthropophage...par tous les enfers ! Je la déteste. D’ailleurs, elle a toujours pour projet de me prendre mon âme. Et celle de Matthias aussi. Par conséquent, je souhaite éviter d’inaugurer le règne de notre nouveau prince par un ou des meurtres, dont le mien.

 

- Si le petit homme possède l’anneau de feu, il pourra sans difficulté contrer ses manœuvres ! Sérieusement, Ulf, tu devrais inviter la voleuse d’âmes. Elle met une telle ambiance dans les fêtes...sans compter qu’en très peu de temps, elle s’est fait une réputation et siégeait récemment au Grand Conseil. Si tu as le malheur de ne pas l’inviter, crains un sortilège maléfique de plus contre nous !

 

- C’est vrai ! Si je partage ton point de vue sur elle, je sais que si quelqu’un organise des festivités sans l’inviter, il peut redouter ses châtiments. Tu te souviens de la poisse qu’avait essuyé Abélard quand il lui avait interdit d’approcher ses derniers apprentis ? Cette femme est aussi maléfique pour l’ombre que pour les êtres liés à la lumière. Et ce n’est rien de le dire. Et rassure-toi ! L’inviter ne signifie pas qu’elle sera obligatoirement sacrée reine de la soirée. Simplement qu’elle n’aura pas de raison valable de s’en prendre à l’un ou l’autre de nous. Et c’est la seule chose qui compte.

 

Ulf avait grimacé, mais finalement accepté de convier cette fâcheuse à leur fête d’intronisation.

Au moins comme principe de précaution. En espérant que son ami saurait punir l’impudente à la moindre tentative déplacée. Puis, avec quelques uns de ses plus proches compagnons d’armes maléfiques, il était allé faire le grand nettoyage de printemps dans la future demeure du prince vampire.

 

Le manoir hanté se trouvait dans la vallée en contrebas de leur domaine, en limite du monde féerique et maléfique. Il était donc agité des deux énergies, l’ombre et la lumière. Pour en forcer l’entrée, les vampires avaient invoqué des forces ténébreuses et planté en différents endroits des sorts pour maintenir la demeure ouverte à leur présence. Une façon comme une autre de se rendre quasi propriétaires des lieux sans autorisation.

Les vampires, ravis d’aussi peu de résistance, visitèrent les lieux avec délice, constatant que si le bâtiment était passablement délabré, rien ne manquait comme pièces de réception et de repos. Et qu’avec quelques travaux, un peu de goût et d’habileté, les pièces les plus ouvertes à la lumière pourraient rester sombres et s’adapter aux besoin d’un prince vampire aussi confortablement que leur château creusé dans la roche tendre des monts chauves.

Et pour ce faire, point n’était besoin d’ouvriers ni d’artisans.

Ulf et ses amis possédaient des capacités décuplées de vitesse pour accomplir certaines tâches, bien plus que tous les autres êtres maléfiques. Oswald leur avait accordé également des dons de télékinésie, ce qui était bien pratique pour nettoyer la vaste demeure hantée, la métamorphoser et la meubler avec le faste qui convenait à son futur propriétaire. En à peine une heure, le manoir était devenu le plus extravagant château de vampire qu’on puisse imaginer. Avec ses larges rideaux de velours pourpre, dissimulant les hautes fenêtres, son grand escalier de marbre blanc orné de candélabres scintillant d’or et de pierreries, les miroirs des cheminées remplacés par de gigantesques tapisseries évoquant différents moments des réjouissances seigneuriales, le manoir délabré depuis plusieurs siècles était redevenu le joyau d’antan, enrichi des maléfices propres aux énergies sombres. Et ô miracle, le futur logis princier disposait déjà d’une cave à vins fins et alcools à faire pâlir d’envie les collectionneurs de grands crus. A croire que ses anciens occupants étaient d’aussi joyeux fêtards que ses maléfiques successeurs. Et dans le lot, le capitaine vampire avait mis la main sur un breuvage rare qui, il en était sûr, flatterait le goût de ses camarades et dissimulerait on ne peut mieux l’élixir de vérité qui désenvoûterait son ami : un champagne aussi pétillant, grisant et virevoltant que le pouvoir de l’anneau de feu. Un trésor dont il remonta plusieurs caisses pour le banquet d’intronisation qui aurait lieu la nuit prochaine.

 

Mais Ulf avait oublié un détail : le manoir était toujours hanté. Et le fantôme n’était pas prêt à se laisser déloger aussi facilement par des vampires.

Réfugié au grenier, un lieu étrangement vide mais communiquant par différents conduits secrets avec toutes les cheminées de l’immense manoir, Sir Simon avait lui aussi entamé un sortilège qui lui permettrait de continuer de hanter les lieux au nez et à la barbe de ses indésirables locataires. Doué d’une extraordinaire élasticité malgré son statut de squelette, il effectua bonds et cabrioles qui devaient garantir sa domination.

 

www.youtube.com/watch?v=UG4d3x5zAjc

 

 

Puis, satisfait de son rituel, il avait erré en se glissant sous les tentures des tapisseries dont la plus grande, représentant les vendanges, ornait l’immense cheminée de grande salle à manger. Dissimulé aux regards des vampires derrière la silhouette du fouleur de grappes, il observait les préparatifs pour établir leur nouveau maître avec curiosité.

Oswald était donc réellement déchu ? Voilà qui était étrange pour Sir Simon. Car aucune parcelle de mélancolie sombre ne l’avait pourtant quitté. Or, si véritablement l’affreux sorcier avait été vaincu ainsi que tout son équipage, il aurait dû se changer en flammèche passionnée et retrouver l’énergie céleste dont il avait été vidé depuis la prise de pouvoir d’Osmond sur la féerie. Or, rien de la sorte ne s’était produit. L’affreux sorcier devait donc encore contrôler le royaume des ombres.

 

Il ne se trompait pas.

 

A peine Ulf avait-il quitté Jakob, que ce dernier convoquant l’ange par télépathie, sentit comme un malaise étrange l’envahir des pieds à la tête. Son annulaire gauche, toujours paré de l’anneau de feu le brûlait comme s’il avait été soudainement passé au chalumeau. Si Jakob voulait expédier rapidement son mentor féerique, il ne s’attendait pas à ce que l’anneau de feu tout autant que son épiderme protestent avec une telle vigueur, contre sa propre volonté.

En réalité, l’anneau de feu réagissait autant que son corps, contre le vampirisme qu’exerçaient Abélard et Oswald sur son porteur. Et cela, l’ange le comprit au premier coup d’oeil.

 

- Alors tu as réfléchi ? Demanda-t-il à Jakob, qui pour conjurer la douleur avait plongé sa main brûlante dans un seau à glaçons.

 

- Oui. Je crois inutile de continuer de me battre contre ce qui est.

 

- C’est à dire ?

 

- Mon état vampirique. Je suis devenu un vampire et je dois l’accepter.

 

- Tu veux dire que désormais, tu abandonnes Marie ?

 

- Non...je ne pourrai jamais faire une telle chose...mais je réglerai cette déplorable affaire à ma façon dorénavant. Je ne supporte plus d’être le soumis de quiconque. Je veux ma liberté, mon autonomie. Je refuse d’être sous tutelle.

 

- Fort bien ! Tu as choisi le mal pour le mal alors. Dois-je comprendre que désormais, tu utiliseras l’anneau de façon maléfique ?

 

- Comment pourrais-je l’utiliser de façon féerique ? Voulez-vous me le dire ?

 

- Tu peux le faire en te connectant à Marie. Vous n’êtes séparés que physiquement. Pas énergétiquement ni spirituellement ni amoureusement. Ensemble, vous pouvez utiliser la bonne magie et faire beaucoup de bien, même en évoluant dans des mondes antagonistes.

 

Le jeune homme haussa les épaules et soupira.

 

- A quoi bon, puisqu’elle m’a rejeté…

 

- Jakob...comment peux-tu dire cela ?

 

- Vous n’étiez pas là lorsque Marie a refusé d’être ma reine. Vous ne pouvez pas comprendre ma détresse!

 

- Détrompe-toi, je veillais comme toujours et je vous ai vus aussi déchirés l’un que l’autre, aussi éplorés.

 

- Vraiment ? Pourtant, vous n’avez rien fait pour adoucir notre chagrin ! Vous voulez que je vous dise le fond de ma pensée ?

 

- Oui, j’aimerais!

 

- Eh bien, je vous trouve plus pervers encore que les plus maléfiques de ce royaume des ombres. Me contraindre et contraindre Marie comme vous l’avez fait, vous et Urgande, dans ce mariage qui n’en est pas un, dans ce voyage initiatique qui nous a valu jusque là plus de larmes que de félicité, c’est d’un sadisme que même Oswald n’aurait pas eu.

 

- Pour oublier vos retrouvailles, la guidance qui vous a accompagnés et soutenus l’un comme l’autre jusqu’ici, tu es sous emprise maléfique, tu n’as pas ton bon sens.

 

- Ah oui ? Prouvez-le donc!répliqua sèchement le jeune homme, sans même lui laisser le temps de répondre. En réalité, vous n’acceptez simplement pas ma rébellion. Vous auriez aimé que le petit Jakob soit encore l’enfant que j’étais sous vos ordres et ceux d’Oswald. Mais je ne suis plus ce bambin soumis à vos exigences respectives. Je suis souverain des ombres et libre à présent de toute attache. Et comme je n’ai plus besoin de vous, pour décider quel sera mon chemin, je vous chasse comme le dernier des gueux, tonna le jeune prince en invoquant silencieusement l’anneau de feu qui réagit en lançant un éclair sur l’ange qui dut s’esquiver pour éviter l’attaque.

Vous pourrez le dire à Kalamine et à toute la féerie, d’une voix menaçante. Je les détruirai jusqu’au dernier. Et vous ne pourrez rien contre cela. Car c’est moi désormais le maître de l’anneau de feu, c’est moi qui dispose du pouvoir absolu. Et je compte bien l’utiliser comme j’en ai envie.

 

- Cela, c’est ce que croyaient Oswald, Abélard et toute sa clique. Ce que tu crois aussi à présent, parce qu’ils ont pris le contrôle sur ta personne. Mais l’anneau de feu ne réagit pas qu’à tes sollicitations, Jakob.

Même si tu me chasses, tu devras apprendre à composer avec cette réalité duelle de la bague que tu portes et des pouvoirs qui lui sont attachés. Ce que tu insuffleras à l’anneau comme maléfices pourra être réparé féeriquement par Marie. Car elle aussi dispose de son énergie et de son pouvoir, tout autant que toi. Vous êtes un couple marié ! Et désormais, les pouvoirs de l’anneau seront autant maléfiques que féeriques.

 

- Ce n’est pas possible ! Vous mentez !

 

- Tu sais bien tout au fond de toi que non, répondit l’ange d’une voix douce.

 

- Alors je détruirai les pouvoirs féeriques que Marie a, répliqua Jakob, furieux. Et si cela ne suffit pas, je la détruirai elle aussi.

 

- Non, tu ne le feras pas : parce que tu l’aimes de toute ton âme. Ce sentiment profond à nul autre pareil t’empêchera toujours de toucher à un cheveu de sa personne.

 

- Eh bien je combattrai cet amour. Je m’en donnerai les moyens pour me l’arracher du corps, du coeur et de l’âme. Je ferai un sortilège pour m’en délivrer définitivement.Et vous verrez, une fois libéré de cet attachement puéril, stérile et encombrant, toute la féerie comprendra à quel point elle a eu tort de me défier autrefois.

 

L’ange considéra le jeune homme avec tristesse.

 

- Oswald parle désormais par ta bouche. Il te rend ignorant, évitant, alors que ton âme sait pourtant que le lien conjugal, amoureux, spirituel et énergétique que tu as noué avec Marie est pur, éternel et inconditionnel. Et qu’il constitue les fondements qui peuvent t’amener à exprimer et répandre le meilleur. Si une partie de toi l’a déjà oublié, je ne vois pas l’utilité de prolonger cette conversation et mon soutien angélique.

Je te souhaite bonne chance, Jakob. Sincèrement, dans la confusion véhémente et passionnelle où tu te trouves, dans cette peur de l’abandon qui te fait rejeter tout ce qui n’est pas maléfique,je doute que tu parviennes à la sérénité et à l’autonomie que tu souhaites. La gloire, la richesse, le pouvoir, la violence et la décadence ne te rendront pas heureux, pas plus qu’ils n’ont rendu ton ancien maître satisfait. C’est une illusion. Tu ne feras qu’accentuer ta détresse et le néant en toi et autour de toi. Mais pour l’admettre, tu as besoin de l’expérimenter. Car tel est ton choix. Et si tu as besoin de solitude pour faire ce dur apprentissage, alors qu’il en soit ainsi.

 

Et sur ces paroles, l’ange disparut, laissant le jeune vampire encore plus désemparé qu’il ne l’était déjà. Jakob, aux prises avec son mal-être, ses peurs et sa contradiction intérieure, hurla, gémit, puis prit sa tête dans ses mains : il ne savait plus où il était ni qui il était. Tout s’obscurcissait en lui et autour de lui. Tout ce qu’il voyait devenait amer, ironique, désespéré et dérisoire. Sa vraie âme se débattait comme un poisson battant frénétiquement dans la main du pêcheur maléfique qu’il était lui-même devenu, tout en étant pourtant étranger à lui. Car, quand il contemplait ses mains griffues, il avait l’impression d’une peau qui recouvrait la sienne, d’un maléfice qu’il se serait lui-même infligé tout en se drapant dans le rôle de la victime.Que lui arrivait-il donc ? Etait-ce l’anneau de feu et sa puissance qui le rendaient aussi confus et désespéré ?

Ou bien était-ce, comme le lui avait dit l’ange, une possession maléfique faite à son insu, affectant son comportement comme ses pensées?

Jakob n’arrivait pas à le distinguer. Il n’avait même plus l’énergie de creuser pour trouver la vérité. Alors, pour combattre l’infâme sensation, expulser le chagrin et le néant profond dans lequel il s’était plongé en rejetant son guide céleste, il avait cherché un alcool fort dans le fatras de bouteilles du bar, bu cul sec un grand verre pour s’étourdir un peu plus. Avant de chanter seul sa douleur dans l’arène qui avait vu son triomphe.

 

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A bout de forces, Jakob avait sangloté longtemps, éperdument, comme jamais cela ne lui était arrivé.

Sans doute sur l’elfe fée qu’il n’était plus, autant que sur le vampire solitaire et prisonnier qu’il était devenu.

Ulf le trouva presque prostré, assis près du piano qu’il contemplait avec des yeux vides et cette vision le glaça. Elle présageait des jours sombres et une mélancolie profonde dont il ne connaissait que trop bien le gouffre et la perdition pour les avoir goûtés par le passé. Saurait-il, comme l’avait fait Jakob au marais des sorcières, tirer son ami de sa prison intérieure et le ramener parmi les siens? Ulf l’espérait. Pour revoir un vrai sourire fleurir sur son visage, le vampire était à deux doigts de voler jusqu’à Kalamine pour y chercher Marie et la lui ramener. Mais avant de se résoudre à une telle extrémité, il fallait essayer de délivrer le prince de ses tourmenteurs. Et si le jeune homme était déjà quelque peu éméché pour faciliter l’entreprise, rien ne garantissait l’exfiltration complète d’Oswald et d’Abélard. Ce serait quitte ou double. Mais une chose était sûre : il fallait agir promptement. Avant que leur nouveau roi ne soit complètement anéanti.

Lentement mais fermement, Ulf releva Jakob, le souleva pour ensuite le hisser sur son dos. Dans l’état où il se trouvait, le jeune prince ne pourrait pas voler à sa suite. Alors le capitaine vampire l’aiderait. Et tandis qu’il décollait et montait avec son précieux fardeau dans la nuit sans lune, Ulf écoutait l’âme desespérée qu’il portait cracher, enrouler puis dérouler notes et instruments comme un long manteau derrière eux. Car la magie de Jakob restait, tout possédé qu’était le jeune homme, toujours aussi musicale. Et parce que peut-être à bout de chagrin et de désespoir, ressurgissait brusquement en lui la voix de l’innocence, comme si la quintessence de ce qu’il était, de l’amour dont il était pétri et qui avait jusque là guidé ses pas, ne pouvait pas, ne voulait pas mourir.

 

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En entendant cette voix enfantine et ce qu’elle susurrait à son oreille, Ulf se reprit à sourire. Si par delà son abattement, son jeune ami continuait la lutte, alors rien n’était perdu.

 

- Tiens bon ! Accroche-toi, frérot ! Dit-il en resserrant son étreinte sur Jakob avant de descendre en piqué, droit sur les monts chauves.

Au loin vers l’est, l’aube formait une ligne d’or. Mais pour une fois, Ulf n’en était pas triste. Parce qu’un banquet royal les attendait. Et qu’il allait pouvoir libérer à son tour, celui qui l’avait sauvé.

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Uploaded on January 17, 2022
Taken on January 17, 2022