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La prière

Jakob sourit :

 

- Vous croyez si fort en moi, père. Comment cela est-il possible ?

 

- Tu es mon fils et le porteur de l’anneau de feu. Alors je sais que tu vas réussir à vaincre les forces du mal, même si cela prendra du temps. Ce n’est pas une question de durée, c’est une question de foi. Et Marie t’aidera, j’en suis persuadé. Je sais qu’elle a le caractère suffisamment affirmé pour cela. C’est toi qui manques de confiance, mon garçon. Pourtant, le Ciel et les forces célestes veillent sur toi et sur ta dulcinée, ils vous protègent tous deux et vous guident. Alors qu’est-ce qui te tracasse tant ?

 

- Le pouvoir d’Oswald m’angoisse. Ce qu’il a fait à mère, à mes frères, à vous et à tous ces royaumes et ces jeunes gens est véritablement abominable. Et je ne sais pas si j’aurai la force et le pouvoir suffisants pour détruire cette magie maléfique qu’il déploie. Et puis...il y a pire...Je...c’est sans doute idiot mais...je me suis rendu compte que le mal n’était pas forcément si radical. Qu’il était le plus souvent le résultat de souffrances, de peurs...En discutant avec Ulf, le chef des vampires, j’ai entrevu quelque chose qui m’a troublé. Comme un espace où il n’y aurait finalement ni bien ni mal, mais plutôt des circonstances malheureuses...J’ai compris que c’était le cas pour Ulf et en arrivant ici, je me suis aussi posé la question pour Oswald. Que lui est-il arrivé pour qu’il devienne aussi maléfique ?

 

- Il n’a jamais connu ni son père ni sa mère. La fille d’Osmond est morte moins d’un an après sa naissance. D’une mauvaise fièvre que son père n’a pas su guérir. Alors Osmond s’est enferré dans toutes sortes de magie et a elevé Oswald à son image et selon ses codes.

 

- Et son père ?

 

- Je crois que personne ne sait qui il était exactement...Oswald a considéré son grand-père comme père et mère tout à la fois. Tout en ayant peur de lui déplaire, peur de sa magie aussi. C’est pourquoi il souhaite tout contrôler autour de lui. Tout posséder et dominer. C’est un être en perpétuelle quête de sécurité. Et la sécurité qu’il souhaite, c’est le pouvoir suprême. Une sorte de Saint Graal, un entêtement maladif pour soulager ses angoisses. Mais une fois qu’il l’aura, ce pouvoir ne pourra que le détruire.

 

- Alors pourquoi ne pas le lui donner tout de suite ?

 

- Parce que ce pouvoir suprême s’il tombait entre ses mains maléfiques nous tuerait tous.

Est-ce vraiment cela que tu souhaites, fils ?

 

-Non, évidemment, mais je cherchais une solution alternative qui…

 

-Puisse fonctionner sans l’affronter directement, c’est cela ?

 

- Oui...vous savez à quel point je déteste toute forme de violence.

 

- Pourtant tu sais bien que dans certains cas, c’est inévitable, même si je n’aime pas plus que toi ce genre de solution. Depuis mon internement et ton arrivée à Kalamine, n’as-tu pas été confronté à ce genre d’extrémité ?

 

- Si, une fois. Lorsque Tito le serpent et sa bande de brigands, la voleuse d’âmes voulaient s’en prendre à moi et à Gontrand...Mais croyez bien que je n’ai pas fait cela de gaieté de coeur et si Gontrand n’avait pas été là, de même que Ulf pour me pousser à l’action, je pense que je n’aurais pas été jusqu’à leur destruction.

 

- Et tu ne serais peut-être plus là pour nous en parler. Réfléchis à ça, Jakob, je t’en prie. Au besoin parles-en avec Marie. A présent, c’est ensemble que vous devez affronter Oswald et pas seulement individuellement, chacun de votre côté.

 

- Ton père a raison, intervint le triton. Ta fiancée peut t’aider à prendre la bonne décision. Ce n’est pas la fille d’Héloïse Smiroff pour rien. Fais lui confiance et confies-toi à elle. A deux, vous trouverez la juste attitude. Ca et ton poudrier magique, ça devrait t’ôter le doute et te remettre dans de bonnes dispositions. Maintenant, en échange de nos précieux conseils, je vais te demander un service, jeune homme ! Pourrais-tu t’arranger avec Chariot pour que Marie vienne nous rendre visite également ? Je sais que c’est un peu risqué, mais...même si ça n’est pas possible avant quelques jours…

 

Hélas, au moment où le triton faisait cette requête, Chariot démarra la chanson d’alerte et Jakob sursauta :

 

- Ecoutez, ce sera avec plaisir, mais je ne peux rien vous promettre. D’autant que je dois m’en aller si je ne veux pas être surpris ici par le corbeau ou Oswald lui-même. Père, tenez bon, jusqu’à ce que je trouve le moyen de vous délivrer. Le reste, je m’en charge, vous pouvez compter sur moi.

 

- Je t’aime mon fils...prends soin de toi ! Murmura le roi des elfes, avec un sanglot dans la voix.

 

Jakob inclina la tête, lui aussi très ému. Puis saluant les autres prisonniers, il s’éclipsa hors du cachot.

 

Juste à temps pour éviter de croiser la corneille, qui ayant fini son jeu de dupes avec la psyché d’Oswald, venait s’enquérir de l’avancée du ménage de l’apprenti sorcier.

 

- Tu as déjà terminé ? Croassa le volatile en jouant l’inspecteur du laboratoire.

 

Il passa en revue toutes les étagères et tables et ne voyant rien à redire, il fixa le jeune garçon avec intérêt et déclara :

 

Eh bien...tu dois être un apprenti méticuleux...et c’est une qualité que le maître apprécie. Tu as passé la première épreuve, la plus facile. Mais attends-toi à une prochaine un peu plus épineuse et difficile...J’ai faim ! Que fait donc Oswald ?

 

- Si tu veux, je peux t’apporter une poignée de grains d’orge...cela te fera attendre, suggéra Chariot. Moi aussi j’ai faim et je suppose que l’apprenti sorcier est sur le même ressenti . Alors je vous invite tous deux à la cuisine. Nous dînerons ensemble au lieu de manger seuls chacun devant son assiette.

 

- Sans le maître ? S’offusqua le corbeau .

 

- De toute façon, il dîne toujours seul, alors qu’est-ce qu’il pourrait trouver à y redire.

 

Vaincu par cet argument de Chariot, et poussé par la faim, l’oiseau ne se fit plus prier pour suivre Jakob à la cuisine.

Ce qui permit au jeune garçon, d’observer les usages de la maisonnée et les rapports sociaux qu’entretenait le corbeau avec le domestique.

 

La vie au sein de la tour semblait assez morne et triste en dehors des coups de colère et d’éclat d’Oswald et du mimétisme de son favori qui ne voyait que par son maître et répétait comme un automate le même discours pervers que le sorcier, sans même forcément le comprendre.

Intérieurement, Jakob, tout en mangeant, espérait que ce dîner soit très court, juste pour apaiser leur faim pour échapper au tourbillon volubile du corbeau. Chariot semblait résigné et habitué à subir cet incessant monologue. Une fois de plus, Jakob eut pitié du vieux cuisinier et même s’il ne pouvait lui faire aucune confidence de crainte d’une trahison, résolut de l’aider à sortir de l’emprise d’Oswald.

Il pensait à Marie aussi...Marie, dont il avait peur de la réaction, suite à leur rendez-vous manqué de la veille.

Aurait-il droit à sa bienveillance et sa compréhension ? Ou bien aurait-elle une réaction de colère et un sentiment de trahison vis à vis de son absence ?

Il avait beau se convaincre qu’elle l’aimait et qu’elle lui pardonnerait volontiers son échappée belle de la nuit dernière avec Ulf, il n’arrivait pas à se trouver tout à fait tranquille en pensant à leurs retrouvailles.

Et ce doute creusait la mélancolie sur son jeune visage comme une rivière creuse un lit dans la terre et la mousse tendre.

 

C’est avec ce visage plein d’incertitudes qu’il apparut à Oswald, rentré de sa journée forestière avec Marie. La jeune femme, toute aussi contrariée qu’il l’était lui-même sans pour autant que ce soit pour les mêmes raisons, ne fit aucun cas de sa présence et regagna sa chambre rapidement, sous le regard inquiet d’Oswald.

 

- Qu’ai-je fait encore pour lui déplaire ? Maugréa le sorcier. Je savais que les femmes étaient de nature capricieuse, mais celle-là dépasse tous les records en la matière. Elle devrait pourtant être contente que j’ai utilisé des sorts pour faire pousser plus vite ses graines. Au moins nous économiserons de l’eau et du travail…

 

Jakob se mordit la lèvre pour ne pas répliquer et Chariot en écho soupira.

Ce silence éloquent, pas même rompu par la corneille qui fixait le sorcier d’un air ébahi, finit par indisposer Oswald qui cherchait une explication logique au comportement de son épouse et n’en trouvait pas. Avisant son nouveau jeune apprenti, il lui lança :

 

- Et toi ? Qu’as-tu donc fait durant mon absence ? Le laboratoire est-il en ordre et propre ?

 

- Je pense que vous devriez être satisfait.

 

- Tu penses...cela veut donc dire que tu as des doutes sur la qualité de ton travail ? Attention, Matthias, si tu m’as trompé, je le saurai...Je te l’ai dit, je n’ignore rien de ce qui se passe ici et sur mes terres.

 

Jakob sourit.

 

- Voyez par vous-même…

 

Le sorcier se dirigea lentement vers le laboratoire et quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’il constata, en lieu et place d’un espace en désordre et sale, un laboratoire propre et rangé. Sans pour autant que les potions aient diamétralement changé de place.

Furieux, il passa plusieurs fois entre les allées, mais constatant que tout avait été bien fait, il interpella son apprenti et déclara :

 

- Très bien, l’épreuve était sans doute trop simple pour toi. Alors dès demain, je te mettrai à la fabrication d’une potion. Que tu devras tester devant moi après avoir appris par coeur la recette.

Et gare à toi si le dosage n’est pas respecté. As-tu un grimoire ?

 

- Oui, bien sûr...et je l’ai amené avec moi. Il doit être dans mon baluchon.

 

- Fais voir…

 

Jakob alla chercher le livre où Erminie avait écrit en imitant l’écriture de Jakob quelques formules magiques assez sommaires et le tendit à Oswald.

Ce dernier, après avoir feuilleté l’ouvrage le rendit à son propriétaire avec une pointe de mépris :

 

- D’après ce que je vois, tu ne sais quasiment rien de la magie maléfique ou presque. Il me faudra donc tout t’apprendre. Et pourtant, tu sembles instruit...et très habile aussi. Et tu as réussi instinctivement à contourner les pièges semés dans mon laboratoire pour le nettoyer. Tu es décidément très intriguant, jeune Matthias. Mais je te dresserai et je finirai par percer tes mystères.

Sois en persuadé !

 

- Mais j’y compte bien, seigneur Oswald. Cela me permettra d’en apprendre davantage sur mes capacités car en vérité, je ne sais comment ni pourquoi j’agis comme cela. Si donc votre seigneurie veut bien me donner quelques lumières et maléfices, j’en serai ravi.

 

Le sorcier plissa les yeux en considérant le jeune garçon. Matthias le séduisait mais il l’agaçait aussi. Il était comme le sable qu’on ne parvient pas à emprisonner dans sa main et qui, infatigable, continue de couler jusqu’à disparition. Ce garçon lui rappelait un peu Marie son épouse, dont il ne parvenait pas à décoder ni les changements d’humeur ni la personnalité. Deux êtres qui s’ignoraient superbement, ne se connaissaient pas, mais pareillement indéchiffrables, brouillant les pistes quant à leur caractère et leur identité.

 

- Allons, finit-il par conclure, il est peut-être temps d’aller dormir. Chariot t’amenera à ta chambre. Mais ne t’attends pas à plus qu’il ne convient. Et sois exact demain à 7H30 au laboratoire. J’y serai déjà et je te montrerai ce que tu auras à faire.

 

- Bien, maître. Alors à demain, dormez bien !

 

Oswald eut un rictus : il ne dormait que très rarement. Et encore moins depuis qu’il voulait retrouver l’anneau de feu et conquérir tous les pouvoirs…

 

 

Chariot amena Jakob dans une petite pièce qui ressemblait à un couloir, percé d’une porte et d’une petite lucarne qui donnait sur la forêt et apportait un peu de fraîcheur à la chambre, quand on l’ouvrait.

 

- Je suis content que le maître t’ ait accordé cet endroit. Ce n’est pas grand, mais toujours mieux que partager avec moi et les ustensiles de ménage, le réduit sous l’escalier.

 

- Assurément. Sais-tu si je pourrais avoir une petite table avec un nécessaire pour écrire les maléfices et feuilleter et annoter mon grimoire ?

 

- Ca devrait pouvoir s’arranger. Mais pas avant demain. D’ici là, je vais t’apporter un broc d’eau douce, un cuveau et un peu de savon, une grande serviette et tu pourras te mettre au lit. Je viendrai te réveiller demain pour t’éviter une réprimande. Le maître est toujours matinal et si tu ne réponds pas immédiatement à l’appel, il s’arrange pour nous pourrir la journée…

 

- Compris, je tâcherai de ne pas l’oublier. Merci pour ton aide…

 

- Ca fait partie de mon travail ici. Et puis, je te l’ai dit, tu m’es sympathique. Alors si je peux faciliter ton acclimatation…Mais ne montre pas trop de courtoisie à mon égard. Oswald déteste les amitiés particulières et il y voit toujours un motif de rébellion. A cela aussi tu dois faire attention. Et surtout, un dernier conseil : n’essaie pas de communiquer avec l’épouse du maître. Oswald est terriblement jaloux. Et si jamais il apprenait que sa prisonnière principale s’entretient en privé avec son apprenti, il serait capable du pire, aussi bien contre elle, que contre toi.

 

Jakob hocha la tête et soupira :

 

- De toute façon, cette dame n’a même pas remarqué ma présence. Elle a l’air seulement triste, presque autant que toi.

 

- Les apparences sont trompeuses, crois-moi. Marie est une créature charmante et enjouée. Mais la compagnie du maître n’est pas pour favoriser sa bonne humeur. C’est même tout le contraire. J’espère seulement qu’elle finisse par triompher de son geôlier et retourner dans son royaume qu’elle n’aurait jamais dû quitter. Un jour, peut-être…Elle est comme toi, jeune et déterminée à tenir tête à Oswald et à imposer ses vues. Alors le Ciel ne devrait pas rester indifférent à vos détresses…

 

Jakob sourit :

 

- Tu crois en Dieu ?

 

- Plus qu’en la magie qui fait souvent plus de mal que de bien, si elle vient des forces du mal. Et encore moins lorsqu’elle se retourne contre toi...Mais Dieu lui, ne t’enfermera pas dans une loi du triple retour et Il te fera progresser sur ton chemin, si tu demandes Son Aide et celle des anges.

 

- Je n’ai jamais vraiment prié mais...peut-être parce que je n’en jamais eu l’occasion ni le besoin jusque là.

 

- Alors c’est le moment d’essayer. Si tu as des intentions particulières, confie-les simplement sans mantra ni salamalecs. Dieu se fiche des rituels. Ce qui compte, c’est l’ouverture de ton coeur et de ton âme. Et la foi que ta prière est déjà exaucée à peine l’auras-tu formulée…

 

En entendant ces paroles vibrantes, Jakob considéra le cuisinier avec un peu de circonspection mais sentant intuitivement que son interlocuteur avait vérifié concrètement ce qu’il affirmait avec tant d’assurance, il répondit :

 

- Après tout...qui ne tente rien, n’a rien. Et au moins pour réussir la seconde épreuve, j’aurai besoin d’aide divine. Alors je vais suivre ton conseil. Et s’il me réussit, tu me raconteras comment tu as découvert Dieu ?

 

- C’est promis.

 

Un peu plus tard, après s’être délassé dans un bon bain et allongé sur son lit, Jakob repensa à la prière suggérée par Chariot. Et parce qu’il avait peur de ne pas retrouver Marie, qu’elle ne soit pas au rendez-vous de la nuit, il murmura en chantonnant:

 

www.youtube.com/watch?v=LnHoqHscTKE

 

Après cette étrange prière, curieusement un peu plus apaisé, mais aussi épuisé par ce premier jour chez Oswald, Jakob cligna des paupières et ne tarda pas à s’endormir. Il ne savait pas si Marie le rejoindrait dans son sommeil, mais il n'avait plus peur de sa réaction. L'invocation lui avait rendu espoir et foi en leur mutuelle affection.

 

Silencieux, dissimulé dans l’ombre de la chambrette et heureux d'un tel dénouement, l’ange de l’anneau de feu, souriait...

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Uploaded on September 15, 2020
Taken on August 22, 2020