Back to photostream

Préparatifs

-Comte, comte, s’il vous plait, ouvrez-moi !

 

Smiroff qui travaillait à son bureau, leva les yeux. Puis apercevant une des fées protectrices, il se hâta vers la fenêtre, l’entrouvrit et désignant à la fée papillon un petit fauteuil placé sur le plateau de marbre, il l’invita à s’asseoir :

 

- Séraphine ! Que me vaut le plaisir de votre visite ?

 

-Je crains que vous ne soyez pas très heureux après ce que j’ai à vous dire, comte.

Hélas, nous avons aperçu l’armée d’Oswald autour de toutes les frontières du royaume, certains de ses soldats en poste avancé, dont le fameux Ulf. Je pense qu’il se prépare une attaque soit pour ce soir, soit pour demain. A moins qu’Oswald lui-même surgisse et réclame votre fille comme il est en droit de le faire.

 

- Ah, non ! Pas si tôt…

 

- Ecoutez, les trolls, les elfes gardiens se sont réunis avec nous tout à l’heure, sous la présidence d’Ygresil. Et nous avons mis en commun toutes nos observations et nos moyens de lutte. Même si nous pouvons tenir un moment face à notre ennemi, je doute que ce soit suffisant face à la détermination de ces vampires et de leurs appuis.

 

- Mais pourquoi ? Nous avons de la ressource, que diable !

 

- Oui mais...pas contre les filets d’araignées venimeuses...à moins de demander en urgence des potions à Erminie, je doute qu’elfes et fées puissent survivre à pareille agression.

 

- Alors contactez la sorcière. Elle a déjà fabriqué ces potions par le passé. Ce n’est pas la première fois que nous devons affronter ces vampires dans l’urgence.

 

- Je le ferai sans tarder. Mais il y a autre chose, comte. Ulf avait une longue vue ce matin et il observait très attentivement quelque chose ou quelqu’un au palais. Et brusquement, je l’ai vu tout excité ranger sa longue vue et ensuite disparaître. Nul doute qu’il est allé faire un rapport à Oswald. Et qu’il a découvert ou vu quelque chose qui concerne Marie et son futur mariage.

 

Alexandre Smiroff soupira :

 

- J’ose espérer qu’il ne veut pas s’en prendre à nos invités. Se sont sans doute ces jeunes gens qui ont retenu son attention dans le parc. Entre leurs déambulations, la musique qu’ils ont réclamée tout à l’heure et leurs défis magiques, ils sont d’un bruyant...Je vais leur dire de rentrer au palais et de ne plus se montrer dehors pour leur sécurité. Ma fille fera de même.

 

- Je crois aussi ce confinement nécessaire, jusqu’à ce que la situation soit sous contrôle.

 

- Qu’avez-vous prévu en cas d’attaque ?

 

- Vent tourbillonnant, fleurs d’ail, miroir inversé et flèches d’argent. Le remède classique contre les vampires, mais qui a fait ses preuves. Et si cela ne suffit pas, Ygresil nous a recommandé l’interface de lumières, en réseau de miroirs. S’ils agissent de nuit, le sortilège de la lune d’or devrait fonctionner couplé aux lance-flammes.

 

- Je vous le souhaite. Avez-vous besoin encore de matériaux pour lancer ces opérations ?

 

- Oui. Il me faudrait des tuyaux fins de bambou pour appeler et répandre le sortilège. De la poudre de combat. Mais aussi des pieux d’argent pour la dernière fosse des trolls, côté ouest.

 

- Je vais vous faire porter tout cela. Rien d’autre ?

 

- Si. Prévenez Marie du danger. Au cas où Oswald parviendrait à s’introduire dans notre royaume et vienne la réclamer, il faut qu’elle sache quoi faire pour éviter le pire, tant pour elle que ses sujets.

 

- Je le ferai. J’ose espérer qu’elle a réussi à trouver celui qui la rendra heureuse. Erminie m’a laissé un message pour me dire que les choses étaient en bonne voie et que j’en saurai plus demain. Mais...je ne suis guère optimiste. Marie a dédaigné ses prétendants jusque là, et certains sont même venus se plaindre à moi de s’être faits rabrouer assez sèchement. Dans ces conditions, je ne vois pas comment ma fille aurait pu se décider pour l’un d’entre eux.

 

- Et si elle choisissait quelqu’un en dehors de ces messieurs, y feriez vous opposition ?

 

-Pourquoi me dites-vous cela ? Que savez-vous à ce sujet ?

 

- Eh bien disons qu’il se murmure que votre fille...pourrait jeter son dévolu sur un autre que ses prétendants officiels. Son caractère, ses façons ne s’accordent pas avec ceux que vous lui avez proposés.

 

- Je ne le sais que trop, mais qui pouvais-je choisir hors de ces partis ?

 

- Des être purement féériques...Il en est de charmants et de son âge.

 

- Certes, mais…

 

- Je vois...vous pensez qu’ils ne seraient pas assez assortis avec elle et qu’elle regretterait tôt ou tard sa condition humaine en les épousant et en devenant semblable à eux, n’est-ce pas ? Pourtant, vous savez qu’elle a une part angélique et féérique dans ses gènes. Vous allez me rétorquer que ces origines sont lointaines mais elles font tout de même partie de sa nature. Alors pourquoi vouloir l’enfermer dans un mariage sans saveur avec un homme certes doté de pouvoirs magiques mais, ne pouvant pas la contenter pleinement?

 

- Séraphine, qu’en savez-vous ? Vous êtes bien affirmative, ce qui me surprend vous si pragmatique et prudente.

 

- Alexandre, je fais partie des fées qui veillent sur votre enfant depuis sa naissance. Elle n’est pas comme vous l’auriez espérée...Elle est différente. Et l’être qui fera son bonheur sera différent de ceux que vous avez choisis, forcément. C’est une question de logique !

 

- Vous pensez donc que toutes mes démarches envers les seigneurs des autres royaumes seront vaines ?

 

- Je le crains. Marie saura trouver seule, celui qu’elle aimera de tout son coeur.

 

- Pour le moment, je ne vois guère que le jeune fermier qui loge dans le voisinage de notre métairie.

Ils s’entendent bien et travaillent quasiment chaque jour ensemble.

 

- Nicolas ? Allons donc, elle le voit comme un frère, pas comme un amant. Et il ne lui serait d’aucune utilité en matière de protection magique.

 

- Alors, nous sommes je crois face à une situation inextricable.

 

- Non...vous pouvez tout espérer. D’après Ygresil, Marie aurait distingué tout récemment un jeune homme charmant et plein de mérites.

 

- Vraiment ? Elle ne m’en a pourtant rien dit.

 

- Laissez-lui le temps de mieux le connaître et vous saurez bientôt le nom de l’heureux élu.

 

- Séraphine, sauriez-vous de qui il s’agit ?

 

- Non. Mais je sais que l’on peut faire confiance à Ygresil. Quand il fait ce genre d’annonce publique, c’est qu’il a des informations de première main. Restez confiant, Alexandre. Nous avons besoin d’énergies positives actuellement. Cela alimente la bonne magie et maintient le moral des troupes. Si vous le chef de nos armées, perdez espoir, nous sommes déjà sous la coupe des forces de l’ombre. Mais si vous entretenez la flamme, alors quoi qu’il arrive, nous sommes sûrs de gagner, quelle que soit l’épreuve.

 

Le comte hocha la tête, l’air dubitatif. Et saisissant le billet d’Erminie, il le relut silencieusement avant de le déposer à nouveau sur la table. L’espérance était belle, mais si le danger se rapprochait autant, et qu’Oswald exigeait la jeune fille, tout espoir de le vaincre serait anéanti.

 

 

A l’atelier, Jakob avait démarré la réalisation de la boîte à épingles d’Amédée. Même l’esprit et le coeur occupés par Marie, il se sentait redevable envers le tailleur qui avait permis leur rencontre.

Il avait donc dessiné un projet de boîte en bois, toute simple, mais pouvant accueillir également un mécanisme musical se déclenchant lorsqu’on touchait le couvercle. Pour rendre hommage à la grive qui avait permis leur prochain rendez-vous, il avait choisi un oiseau comme décoration principale.

Et c’est cet oiseau qui se mettrait à chanter lorsque l’on soulèverait le couvercle.

Pour trouver la juste sonorité, il avait demandé le concours de la grive qui s’était prêtée gracieusement à l’exercice. Depuis, il travaillait au mécanisme sonore avec acharnement.

Cette machine était complexe, les rouages fragiles. Le petit rouleau qu’il avait martelé pour reproduire le chant d’oiseau devait s’ajuster au plus près pour ne pas gêner l’ouverture ni la fermeture, tout en permettant de réparer facilement le mécanisme en cas de panne ou de casse.

Tout était une question de mesures, d’astuces et de millimètres.

Jakob était concentré comme jamais. Il rabotait, replaçait, mesurait. Remettait le rouleau, rabotait encore.

 

Mais lorsqu’à nouveau, la grive revint lui porter le message de Marie, il s’empressa d’ouvrir à son amie et s’écria :

 

- C’est une lettre d’elle ?

 

- Et de qui veux-tu d’autre ?

 

Jakob sourit. Ouvrit la missive. Ses mains tremblaient sur le papier et il dut s’asseoir car à nouveau, il éprouvait un emballement cardiaque comme jamais il ne l’avait ressenti auparavant.

 

« Jakob

 

Permettez à la jeune fille du portrait et du mouchoir de vous adresser ces quelques mots. Sans doute bien audacieux au regard de la situation, mais je tenais à vous dire qui je suis vraiment. Je vous le dois.

Je suis la fille du comte Smiroff. J’étais présente hier lorsque vous êtes venu chez le tailleur pour essayer vos nouveaux vêtements. J’étais en train d’espionner mes prétendants pour savoir qui ils sont réellement, car vous savez bien sûr que je dois me marier pour échapper au pacte que mon père a conclu avec un sorcier maléfique. Sauf que je n’avais pas prévu vous rencontrer ou presque. Et que le destin, ma maladresse aussi, ont provoqué malgré nous des émotions et des sentiments dont ni l’un ni l’autre n’avions connaissance jusque là.

Cependant, avant de me décider, je voudrais mieux vous connaître. Si le miroir d’Amédée et votre chanson m’ont révélé bien des douceurs de votre âme qui touchent profondément la mienne, je voudrais pouvoir les entendre de vive voix et savoir si je puis vous répondre avec la même ferveur. Si vous m’aimez comme vous me l’avez fait comprendre dans la psyché, soyez demain à la demie de six heures dans le salon de musique qui jouxte le théâtre du palais.

Je vous y attendrai.

Prenez le bijou que je vous ai fait porter. Mais soyez prudent et ne montrez cet anneau à personne !

Il en va de la sécurité du royaume.

 

Je pense à vous et à votre audition. Mes vœux de pleine victoire vous accompagnent.

J’ai hâte d’être à demain et de vous retrouver, cette fois pour de vrai. Et j’espère ne pas vous décevoir.

 

Tendres pensées

 

Marie »

 

Jakob ferma les yeux après cette lecture. Il voulait entendre la voix de Marie lui murmurer les mots qu’elle n’avait pas écrits mais qu’elle brûlait de lui dire. Il n’eut qu’à passer la main sur le papier pour entendre ceci :

 

www.youtube.com/watch?v=WBUEUroiiBs

 

Bouleversé, le jeune homme ouvrit les yeux. La grive le considérait gravement et semblait attendre quelque chose :

 

- Les nouvelles sont bonnes ?

 

Le luthier acquiesça. Puis il replia la lettre et sans un mot de plus, se remit au travail. L’émotion l’avait presque rendu muet. A travers ce courrier, à travers tout ce qu’avait exprimé la jeune fille, il comprenait que de tendres liens se nouaient entre leurs deux coeurs et leurs deux âmes.

Et ces énergies semblaient l’envelopper comme un manteau douillet, le préservant de la peur, du doute. Il se disait qu’il pourrait à présent avancer dans la vie, sans redouter le malheur. Parce qu’il aimait et qu’il était aimé. Même si Marie n’avait pas utilisé ces termes, il savait qu’à l’aube, il saurait ce qui l’attendait. Le plus curieux était qu’il ne regrettait rien. Cet amour, il le voulait, il souhaitait le vivre pleinement.

 

Il cessa à nouveau son ouvrage, regarda autour de lui les instruments pendus sur les murs de l’atelier et murmura :

 

- Je lui jouerai de la mandoline. Et à son père aussi, mais pour lui avec un orchestre.

 

Il sourit. Se leva et toucha chaque instrument de l’index. Au fur et à mesure qu’il posait son doigt sur les différents objets, ils s’avançaient vers lui et sur un signe du jeune luthier, ils se mirent à jouer.

 

www.youtube.com/watch?v=-3qAAxDHiAM

 

Jakob les accompagnait de la voix et de sa mandoline. Ainsi il se sentait pleinement heureux et libéré de toute appréhension. Ce morceau, il le jouait comme une formule magique, et il mobilisait ainsi par le chant et le jeu, toutes les forces féériques en sa faveur. Plus il jouait et chantait, plus il se sentait pris dans un tourbillon, une frénésie créative.

Dans sa tête défilaient notes et inspiration...tout semblait s’animer et préparer le concerto qui devait convaincre le comte Smiroff de sa valeur. Du papier à musique avait surgi des murs de l’atelier et toute une série de portées et de notes s’écrivaient comme autant de sortilèges successifs. Les feuilles dansaient puis allaient se poser à mesure qu’elles étaient remplies, très délicatement dans un étui de cuir.

Et Jakob souriait en fermant les yeux, imaginant ses retrouvailles avec Marie.

Il était sûr à présent...sûr de lui et de ses sentiments.

 

 

Au palais, couchée dans son lit, Marie rêvait elle aussi à leur future rencontre.

Et s’amusait déjà de la surprise de son père lorsqu’elle lui présenterait Jakob.

L’idée de s’être affranchie de l’autorité paternelle pour choisir son époux, lui plaisait énormément. Si auparavant, elle avait toujours fait en sorte de fuir ses responsabilités pour contester les projets d’Alexandre, cette fois-ci, son positionnement était franc et massif. Elle ne pouvait plus reculer et curieusement, elle en était heureuse. Etait-ce cela grandir ? Etre adulte ?

 

- Demain...demain, murmura-t-elle...demain je saurai ce que l’amour vrai veut dire. Et je saurai la vie telle que je la veux avec Jakob.

 

Elle s’endormit paisiblement, laissant ses rêves guider ses pas vers le jeune luthier.

 

www.youtube.com/watch?v=mf7kzH9Nxkc

2,929 views
11 faves
0 comments
Uploaded on April 19, 2020
Taken on April 19, 2020