L'anneau de feu
Perché sur un rocher mais à l’abri de tout soleil, Ulf, le chef des vampires, inspectait le royaume de Kalamine. Tout y semblait calme et serein, que ce soit dans la campagne, en ville ou près de l’océan. Avec la longue vue offerte par Oswald, il observait les moindres faits et gestes de tous ceux et celles qui disposaient de pouvoir magique sur le royaume. Il avait déjà repéré les fées protectrices disposant de l’ail frais, les trolls qui piégeaient les différentes frontières avec des pieux très pointus et des miroirs réflecteurs. Il avait également repéré Ygresil, le gardien qui semblait si inoffensif mais dont il avait vite compris le rôle et l’étendue des pouvoirs. Puis il avait réglé l’objectif de façon à voir ce qui se passait un peu plus loin, en ville et au palais.
S’il n’avait pas encore repéré le comte Smiroff, il s’était attardé complaisamment sur Marie, accoudée à son balcon et en pleine conversation avec un oiseau.
La jeune fille lui avait beaucoup plu. Et il se demandait bien pourquoi Oswald rechignait à en faire son épouse. Après tout, la vicomtesse était déjà sa femme par contrat. Et elle était ravissante selon les critères d’Ulf. Raison de plus pour Oswald, d’exiger du comte la jeune fille pour épouse. Sans pour autant renoncer à anéantir Kalamine.
Ulf ne savait pas pourquoi, mais il sentait quelque chose de très particulier chez Marie. Son odorat étant particulièrement développé, y compris à très longue distance, le vampire percevait une odeur féérique qui semblait l’envelopper toute entière. Et cette odeur était présente aussi sur l’oiseau avec lequel elle discutait.
- Cela est nouveau, jamais je n’avais senti ce parfum sur elle. L’oiseau serait-il à l’origine de cette odeur ?
Il observa avec attention le duo durant quelques minutes, mais sans parvenir à savoir d’où exactement venait le parfum.
Une autre bizarrerie attira son attention. Marie était partie chercher quelque chose dans sa chambre et tendait à présent cette chose à l’oiseau. Hélas, même en déployant au dernier stade la longue vue d’Oswald, Ulf ne parvint pas à savoir ce qu’était cet objet, petit et doré. Mais si l’oiseau avait pu le saisir avec son bec et le passer à travers l’une de ses pattes...cela voulait dire que…
- Par tous les enfers, l’oiseau doit être son amant. Et cette jeune fille vient de lui donner une bague...une bague de noces...Il faut absolument que je prévienne Oswald. Voilà je pense, de quoi le motiver pour récupérer son épouse, avant qu’elle ne s’unisse à un autre.
Ulf replia la longue vue, la glissa dans son ceinturon puis se concentrant profondément, il disparut dans un nuage de cendre.
Au même moment, Erminie était en train de confectionner de nouvelles potions dans sa cuisine, tout en réfléchissant à sa conversation avec Jakob, quand elle se souvint de quelque chose.
- Ygresil ! C’est vrai que je lui avais dit que je le préviendrais lorsque notre jeune apprenti serait prêt.
Aussitôt, elle se connecta au vieil elfe qui, sommeillait sous les pins. Ce dernier sursauta, percevant les appels télépathiques de sa vieille amie.
- Que t’arrive-t-il ? Tu sembles toute inquiète, Erminie.
- Eh bien disons que...je crois que Jakob est devenu le luthier que nous espérions. Mais pas seulement. Figure-toi qu’hier, il a presque fait une rencontre décisive.
- Quoi ? Tu veux dire que…
- Oui. Nous ne l’avions prévu ni l’un ni l’autre aussi prématurément, mais le destin sait être malicieux, tu le sais aussi bien que moi. En fait, le responsable de cette rencontre, c’est Amédée.
- Encore lui ? Décidément, je vais finir par croire que le surnom de Cupidon que je lui avais donné il y a quelques années, lui va comme un gant. Qu’a-t-il encore fait, l’animal ?
- Il a proposé à Marie de tester ses prétendants chez lui...sans être vue. Et il les a placés devant son miroir magique.
- Et Jakob s’est retrouvé parmi eux…
- Hélas. Je ne sais pas combien de candidats Marie a ainsi vu se révéler sans filtre, mais toujours est-il qu’au moment où Jakob est allé se changer, elle était là, cachée derrière le paravent, et elle a dû se trouver une autre cachette pour ne pas être découverte. Mais ce faisant, elle a laissé tomber son mouchoir. Jakob l’a vu et aussitôt qu’il l’a tenu entre ses mains...la magie a opéré.
Ygresil se mit à rire. Il imaginait la scène.
- Jakob est donc amoureux ?
- D’après la psyché d’Amédée, cela est certain. Et Amédée m’a dit tout à l’heure qu’il pensait que Marie l’était tout autant du jeune luthier.
- Et toi ? Que penses-tu de la situation ? J’aimerais beaucoup entendre ton analyse sur le sujet.
- Ecoute, Ygresil, tu me connais depuis longtemps. Et tu sais que je ne suis pas du genre à me faire du mauvais sang pour des broutilles. Mais franchement...une telle union est-elle souhaitable ? Après tout, nous ne savons rien ou presque de Jakob. S’il était une création maléfique d’Oswald, destinée à nous piéger et à s’introduire à Kalamine pour soumettre l’ensemble du royaume par l’entremise de Marie ? Amédée hier lui a fait comprendre qu’il y avait une grande part de noirceur cachée en lui...
- Allons, allons, tu ne crois pas que je l’aurais identifié comme étant maléfique avant même qu’il ne pénètre dans le royaume ?
Non, je peux t’assurer que Jakob est un être féérique bienfaisant et qu’il compte le rester. Mais il n’a peut-être pas encore affronté ses démons.
Il est jeune, tout juste formé et à peine sorti de son royaume, de son univers habituel. Il faudra donc qu’il vive une certaine dualité avant de pouvoir épouser Marie. C’est une certitude. Une sorte de passage obligé.
Dis moi, sait-il à qui appartient le mouchoir ?
- Il m’a affirmé qu’il appartenait à une jeune fille brune avec des yeux malicieux. Je ne sais pas comment il a su cela (magie ou simple intuition) mais...j’ai fini par lui dire qui en était la propriétaire.
Il était très ému quand je lui ai dit la vérité concernant Marie. Mais cela ne l’a pas découragé, au contraire. Il semble résolu de la rencontrer et si elle est d’accord, de demander sa main à son père.
- Eh bien, quelle nouvelle ! Ne doit-il pas auditionner demain matin au palais?
- Si. C’est même moi qui lui ai pris ce rendez-vous. Je suppose qu’il demandera ensuite à Alexandre un entretien privé et à voir sa dulcinée.
Quelle histoire ! Ah, je m’en veux de n’avoir pas prévenu Amédée avant notre arrivée.
- Pourquoi donc ? Il a fait ce qu’il devait...Tout est juste, ma chérie. Même si nous aurions préféré attendre encore un peu, toi comme moi, pour provoquer cette rencontre. Mais...si Amédée a laissé faire, c’est qu’il estime que dores et déjà ces jeunes gens sont prêts. Et tu connais la justesse de ses intuitions. Amédée est un génie tout à fait particulier en ce domaine.
- Tout de même...te rappelles-tu la prophétie ?
- Laquelle ? Celle de l’anneau et du vampire ?
- Celle-là même...Si l’anneau de feu est consacré par l’amour et la bonne magie, il sauvera son porteur et les envoûtés que le porteur voudra libérer.
Mais s’il parvient entre les mains d’un vampire, il sèmera la mort, le malheur et la désolation…
Ygresil, je crains que Jakob ne soit l’un d’eux. La nuit dernière, j’ai fait un rêve étrange dans lequel il prenait la tête de l’armée d’Oswald et rivalisait de cruauté avec son maître. Même si ce songe horrible m’a paru totalement farfelu au réveil, je ne peux m’empêcher de trembler. Et pour Jakob, pour Marie et pour Kalamine. Qu’arriverait-il si nous nous étions trompés ?
- Ce qui doit arriver, ma chère amie...Mais rassure-toi, quoi que tu aies rêvé, Jakob a le pouvoir de vaincre sa part d’ombre, plus que largement. Et cela, il le doit autant à sa famille qu’à toi. Tu peux être fière de ce que tu as fait pour lui. Tu as achevé son éducation féérique et tu lui permets de prendre aujourd’hui la place qui lui revient de droit, y compris celle de revendiquer la main de la fille d’Alexandre. Si jamais il tombait sous la coupe de vampires, il saurait se défendre.
Et s’il ne le pouvait pas, Marie saurait le délivrer. N’oublie pas que l’amour est le plus puissant de tous les pouvoirs et que sa magie lui gagne tous les coeurs, même les plus endurcis. Alors aie confiance ! Si le destin favorise l’union de Marie avec Jakob, c’est qu’il a des projets particuliers pour eux. Le reste ne nous appartient pas…
- Si tu le dis...ce doit être vrai. Toutefois…
- Erminie, mon ange, si vraiment le souci te démange trop, tu peux toujours glisser un mouchard de ta fabrication dans la poche de notre protégé. Mais si tu veux mon avis, cela est inutile. Jakob a l’âme claire et pure et s’il aime Marie autant qu’elle l’aime, alors nous aurons fait notre devoir de gardiens en favorisant leur rencontre et leur union. Laissons la vie choisir ce qu’elle veut. Je t’assure que nous n’aurons pas à le regretter.
Et sur cette parole rassurante, Ygresil, retourna à sa sieste, non sans avoir aperçu derrière la fenêtre d’Erminie, une grive musicienne se poser sur le rebord de la fenêtre de l’atelier.
L’oiseau toqua à la vitre. Aussitôt, celle-ci s’ouvrit et la grive se percha sur la main du luthier.
- Belle amie, quelles nouvelles m’apportes-tu ? Reviens-tu déjà de la Vallée Heureuse ?
- Pas du tout, mon cher Jakob. Seulement du palais où je me suis entretenue avec une demoiselle très obligeante. Et qui voulait tout savoir sur toi.
- Tu veux dire que...tu as vu la fille du comte Smiroff ?
- Tout juste. Je t’en apporte d’ailleurs la preuve.
L’oiseau retira l’anneau d’or qu’il avait à la patte et le posa sur le couvercle d’un encrier de bronze.
Le jeune homme stupéfait s’en saisit, l’examina sous toutes les coutures et suivit l’inscription intérieure qui y était gravée :
« Feu d’amour, lumière pour toujours, feu d’enfer, malheur sur la terre ».
- C’est une incantation ?
- C’est la bague d’une ancienne prophétie, une bague magique. Elle appartenait à Héloïse, la mère de Marie et à la mère de sa mère avant elle. Elle incarne l’amour pur, c’est pourquoi on appelle cet anneau, l’anneau de feu. Héloïse remit cette bague à son mari lorsqu’il défendit ce royaume contre Osmond. Cette bague a sauvé la vie d’Alexandre Smiroff, mais lors du combat contre le sorcier, ce dernier a réussi à s’en emparer. C’est ce qui a provoqué la malédiction que tu sais...sauf si Marie épouse l’homme qu’elle aime vraiment.
J’ai demandé cet anneau à Marie parce que je pense que tu es celui qui brisera le sortilège qui l’enchaîne à Oswald. Passe cette bague à son doigt, alors le pacte d’Osmond sera rompu.
Et rien ne pourra plus empêcher votre bonheur.
Jakob, remué par ce récit, considéra la bague avec émotion, la caressa, puis la posa sur l’établi.
- Et si Marie refusait de m’épouser ? Après tout, nous ne nous connaissons pas. Et je peux très bien lui déplaire, autant que ses prétendants.
- Si cela se produisait, alors tu lui rendrais la bague...mais je doute qu’une telle chose arrive. Entre tes dons de musicien et l’ardeur que je vois briller dans ses yeux comme dans les tiens...Ecoute, Marie veut te voir sans témoins. Crois-tu raisonnablement qu’elle souhaiterait une telle chose si tu lui déplaisais ?
Le coeur de Jakob se mit à battre très fort, et une brûlure qu’il avait déjà ressentie la veille lorsqu’il avait ramassé le mouchoir puis découvert le portait, irradia si bien sa poitrine qu’il chancela.
La grive saisit alors l’anneau et vint déposer à nouveau celui-ci dans la main du jeune luthier.
- Je t’en prie...prends le ! Et si Marie répond favorablement à ton amour, alors tu iras la demander en mariage à son père et lorsque tu auras sa bénédiction, tu passeras cet anneau au doigt de ta fiancée. Alors plus rien ne pourra vous atteindre.
Jakob sourit et se pencha vers la grive :
- Tu es décidément un petit oiseau incroyable. Non seulement tu sais faire le lien entre ma famille et moi au mépris de la fatigue et des dangers, mais tu veux m’aider à conquérir la fille du comte Smiroff. Qui es-tu donc ?
- Une amie...et l’esprit de l’anneau. Il y a longtemps, très longtemps, la grand-mère d’Héloïse reçut cette bague d’un ange qui éprouvait pour elle l’amour le plus pur qui exista au ciel et sur terre.
Il se marièrent et eurent six beaux enfants. Hélas, seule leur fille aînée survécut. Ils lui confièrent l’anneau en lui demandant de ne le porter que lorsqu’elle aurait trouvé celui qui serait son époux. Et c’est ainsi qu’il parvint jusqu’à Héloïse et fut remis à sa mort, à Marie qui n’était encore qu’un bébé. Puisque Marie t’a distingué, je te le remets pour qu’à nouveau, la magie d’amour l’emporte sur la magie noire. Sois digne de la prophétie...et de l’ange à qui tu dois ce bijou.
L'anneau de feu
Perché sur un rocher mais à l’abri de tout soleil, Ulf, le chef des vampires, inspectait le royaume de Kalamine. Tout y semblait calme et serein, que ce soit dans la campagne, en ville ou près de l’océan. Avec la longue vue offerte par Oswald, il observait les moindres faits et gestes de tous ceux et celles qui disposaient de pouvoir magique sur le royaume. Il avait déjà repéré les fées protectrices disposant de l’ail frais, les trolls qui piégeaient les différentes frontières avec des pieux très pointus et des miroirs réflecteurs. Il avait également repéré Ygresil, le gardien qui semblait si inoffensif mais dont il avait vite compris le rôle et l’étendue des pouvoirs. Puis il avait réglé l’objectif de façon à voir ce qui se passait un peu plus loin, en ville et au palais.
S’il n’avait pas encore repéré le comte Smiroff, il s’était attardé complaisamment sur Marie, accoudée à son balcon et en pleine conversation avec un oiseau.
La jeune fille lui avait beaucoup plu. Et il se demandait bien pourquoi Oswald rechignait à en faire son épouse. Après tout, la vicomtesse était déjà sa femme par contrat. Et elle était ravissante selon les critères d’Ulf. Raison de plus pour Oswald, d’exiger du comte la jeune fille pour épouse. Sans pour autant renoncer à anéantir Kalamine.
Ulf ne savait pas pourquoi, mais il sentait quelque chose de très particulier chez Marie. Son odorat étant particulièrement développé, y compris à très longue distance, le vampire percevait une odeur féérique qui semblait l’envelopper toute entière. Et cette odeur était présente aussi sur l’oiseau avec lequel elle discutait.
- Cela est nouveau, jamais je n’avais senti ce parfum sur elle. L’oiseau serait-il à l’origine de cette odeur ?
Il observa avec attention le duo durant quelques minutes, mais sans parvenir à savoir d’où exactement venait le parfum.
Une autre bizarrerie attira son attention. Marie était partie chercher quelque chose dans sa chambre et tendait à présent cette chose à l’oiseau. Hélas, même en déployant au dernier stade la longue vue d’Oswald, Ulf ne parvint pas à savoir ce qu’était cet objet, petit et doré. Mais si l’oiseau avait pu le saisir avec son bec et le passer à travers l’une de ses pattes...cela voulait dire que…
- Par tous les enfers, l’oiseau doit être son amant. Et cette jeune fille vient de lui donner une bague...une bague de noces...Il faut absolument que je prévienne Oswald. Voilà je pense, de quoi le motiver pour récupérer son épouse, avant qu’elle ne s’unisse à un autre.
Ulf replia la longue vue, la glissa dans son ceinturon puis se concentrant profondément, il disparut dans un nuage de cendre.
Au même moment, Erminie était en train de confectionner de nouvelles potions dans sa cuisine, tout en réfléchissant à sa conversation avec Jakob, quand elle se souvint de quelque chose.
- Ygresil ! C’est vrai que je lui avais dit que je le préviendrais lorsque notre jeune apprenti serait prêt.
Aussitôt, elle se connecta au vieil elfe qui, sommeillait sous les pins. Ce dernier sursauta, percevant les appels télépathiques de sa vieille amie.
- Que t’arrive-t-il ? Tu sembles toute inquiète, Erminie.
- Eh bien disons que...je crois que Jakob est devenu le luthier que nous espérions. Mais pas seulement. Figure-toi qu’hier, il a presque fait une rencontre décisive.
- Quoi ? Tu veux dire que…
- Oui. Nous ne l’avions prévu ni l’un ni l’autre aussi prématurément, mais le destin sait être malicieux, tu le sais aussi bien que moi. En fait, le responsable de cette rencontre, c’est Amédée.
- Encore lui ? Décidément, je vais finir par croire que le surnom de Cupidon que je lui avais donné il y a quelques années, lui va comme un gant. Qu’a-t-il encore fait, l’animal ?
- Il a proposé à Marie de tester ses prétendants chez lui...sans être vue. Et il les a placés devant son miroir magique.
- Et Jakob s’est retrouvé parmi eux…
- Hélas. Je ne sais pas combien de candidats Marie a ainsi vu se révéler sans filtre, mais toujours est-il qu’au moment où Jakob est allé se changer, elle était là, cachée derrière le paravent, et elle a dû se trouver une autre cachette pour ne pas être découverte. Mais ce faisant, elle a laissé tomber son mouchoir. Jakob l’a vu et aussitôt qu’il l’a tenu entre ses mains...la magie a opéré.
Ygresil se mit à rire. Il imaginait la scène.
- Jakob est donc amoureux ?
- D’après la psyché d’Amédée, cela est certain. Et Amédée m’a dit tout à l’heure qu’il pensait que Marie l’était tout autant du jeune luthier.
- Et toi ? Que penses-tu de la situation ? J’aimerais beaucoup entendre ton analyse sur le sujet.
- Ecoute, Ygresil, tu me connais depuis longtemps. Et tu sais que je ne suis pas du genre à me faire du mauvais sang pour des broutilles. Mais franchement...une telle union est-elle souhaitable ? Après tout, nous ne savons rien ou presque de Jakob. S’il était une création maléfique d’Oswald, destinée à nous piéger et à s’introduire à Kalamine pour soumettre l’ensemble du royaume par l’entremise de Marie ? Amédée hier lui a fait comprendre qu’il y avait une grande part de noirceur cachée en lui...
- Allons, allons, tu ne crois pas que je l’aurais identifié comme étant maléfique avant même qu’il ne pénètre dans le royaume ?
Non, je peux t’assurer que Jakob est un être féérique bienfaisant et qu’il compte le rester. Mais il n’a peut-être pas encore affronté ses démons.
Il est jeune, tout juste formé et à peine sorti de son royaume, de son univers habituel. Il faudra donc qu’il vive une certaine dualité avant de pouvoir épouser Marie. C’est une certitude. Une sorte de passage obligé.
Dis moi, sait-il à qui appartient le mouchoir ?
- Il m’a affirmé qu’il appartenait à une jeune fille brune avec des yeux malicieux. Je ne sais pas comment il a su cela (magie ou simple intuition) mais...j’ai fini par lui dire qui en était la propriétaire.
Il était très ému quand je lui ai dit la vérité concernant Marie. Mais cela ne l’a pas découragé, au contraire. Il semble résolu de la rencontrer et si elle est d’accord, de demander sa main à son père.
- Eh bien, quelle nouvelle ! Ne doit-il pas auditionner demain matin au palais?
- Si. C’est même moi qui lui ai pris ce rendez-vous. Je suppose qu’il demandera ensuite à Alexandre un entretien privé et à voir sa dulcinée.
Quelle histoire ! Ah, je m’en veux de n’avoir pas prévenu Amédée avant notre arrivée.
- Pourquoi donc ? Il a fait ce qu’il devait...Tout est juste, ma chérie. Même si nous aurions préféré attendre encore un peu, toi comme moi, pour provoquer cette rencontre. Mais...si Amédée a laissé faire, c’est qu’il estime que dores et déjà ces jeunes gens sont prêts. Et tu connais la justesse de ses intuitions. Amédée est un génie tout à fait particulier en ce domaine.
- Tout de même...te rappelles-tu la prophétie ?
- Laquelle ? Celle de l’anneau et du vampire ?
- Celle-là même...Si l’anneau de feu est consacré par l’amour et la bonne magie, il sauvera son porteur et les envoûtés que le porteur voudra libérer.
Mais s’il parvient entre les mains d’un vampire, il sèmera la mort, le malheur et la désolation…
Ygresil, je crains que Jakob ne soit l’un d’eux. La nuit dernière, j’ai fait un rêve étrange dans lequel il prenait la tête de l’armée d’Oswald et rivalisait de cruauté avec son maître. Même si ce songe horrible m’a paru totalement farfelu au réveil, je ne peux m’empêcher de trembler. Et pour Jakob, pour Marie et pour Kalamine. Qu’arriverait-il si nous nous étions trompés ?
- Ce qui doit arriver, ma chère amie...Mais rassure-toi, quoi que tu aies rêvé, Jakob a le pouvoir de vaincre sa part d’ombre, plus que largement. Et cela, il le doit autant à sa famille qu’à toi. Tu peux être fière de ce que tu as fait pour lui. Tu as achevé son éducation féérique et tu lui permets de prendre aujourd’hui la place qui lui revient de droit, y compris celle de revendiquer la main de la fille d’Alexandre. Si jamais il tombait sous la coupe de vampires, il saurait se défendre.
Et s’il ne le pouvait pas, Marie saurait le délivrer. N’oublie pas que l’amour est le plus puissant de tous les pouvoirs et que sa magie lui gagne tous les coeurs, même les plus endurcis. Alors aie confiance ! Si le destin favorise l’union de Marie avec Jakob, c’est qu’il a des projets particuliers pour eux. Le reste ne nous appartient pas…
- Si tu le dis...ce doit être vrai. Toutefois…
- Erminie, mon ange, si vraiment le souci te démange trop, tu peux toujours glisser un mouchard de ta fabrication dans la poche de notre protégé. Mais si tu veux mon avis, cela est inutile. Jakob a l’âme claire et pure et s’il aime Marie autant qu’elle l’aime, alors nous aurons fait notre devoir de gardiens en favorisant leur rencontre et leur union. Laissons la vie choisir ce qu’elle veut. Je t’assure que nous n’aurons pas à le regretter.
Et sur cette parole rassurante, Ygresil, retourna à sa sieste, non sans avoir aperçu derrière la fenêtre d’Erminie, une grive musicienne se poser sur le rebord de la fenêtre de l’atelier.
L’oiseau toqua à la vitre. Aussitôt, celle-ci s’ouvrit et la grive se percha sur la main du luthier.
- Belle amie, quelles nouvelles m’apportes-tu ? Reviens-tu déjà de la Vallée Heureuse ?
- Pas du tout, mon cher Jakob. Seulement du palais où je me suis entretenue avec une demoiselle très obligeante. Et qui voulait tout savoir sur toi.
- Tu veux dire que...tu as vu la fille du comte Smiroff ?
- Tout juste. Je t’en apporte d’ailleurs la preuve.
L’oiseau retira l’anneau d’or qu’il avait à la patte et le posa sur le couvercle d’un encrier de bronze.
Le jeune homme stupéfait s’en saisit, l’examina sous toutes les coutures et suivit l’inscription intérieure qui y était gravée :
« Feu d’amour, lumière pour toujours, feu d’enfer, malheur sur la terre ».
- C’est une incantation ?
- C’est la bague d’une ancienne prophétie, une bague magique. Elle appartenait à Héloïse, la mère de Marie et à la mère de sa mère avant elle. Elle incarne l’amour pur, c’est pourquoi on appelle cet anneau, l’anneau de feu. Héloïse remit cette bague à son mari lorsqu’il défendit ce royaume contre Osmond. Cette bague a sauvé la vie d’Alexandre Smiroff, mais lors du combat contre le sorcier, ce dernier a réussi à s’en emparer. C’est ce qui a provoqué la malédiction que tu sais...sauf si Marie épouse l’homme qu’elle aime vraiment.
J’ai demandé cet anneau à Marie parce que je pense que tu es celui qui brisera le sortilège qui l’enchaîne à Oswald. Passe cette bague à son doigt, alors le pacte d’Osmond sera rompu.
Et rien ne pourra plus empêcher votre bonheur.
Jakob, remué par ce récit, considéra la bague avec émotion, la caressa, puis la posa sur l’établi.
- Et si Marie refusait de m’épouser ? Après tout, nous ne nous connaissons pas. Et je peux très bien lui déplaire, autant que ses prétendants.
- Si cela se produisait, alors tu lui rendrais la bague...mais je doute qu’une telle chose arrive. Entre tes dons de musicien et l’ardeur que je vois briller dans ses yeux comme dans les tiens...Ecoute, Marie veut te voir sans témoins. Crois-tu raisonnablement qu’elle souhaiterait une telle chose si tu lui déplaisais ?
Le coeur de Jakob se mit à battre très fort, et une brûlure qu’il avait déjà ressentie la veille lorsqu’il avait ramassé le mouchoir puis découvert le portait, irradia si bien sa poitrine qu’il chancela.
La grive saisit alors l’anneau et vint déposer à nouveau celui-ci dans la main du jeune luthier.
- Je t’en prie...prends le ! Et si Marie répond favorablement à ton amour, alors tu iras la demander en mariage à son père et lorsque tu auras sa bénédiction, tu passeras cet anneau au doigt de ta fiancée. Alors plus rien ne pourra vous atteindre.
Jakob sourit et se pencha vers la grive :
- Tu es décidément un petit oiseau incroyable. Non seulement tu sais faire le lien entre ma famille et moi au mépris de la fatigue et des dangers, mais tu veux m’aider à conquérir la fille du comte Smiroff. Qui es-tu donc ?
- Une amie...et l’esprit de l’anneau. Il y a longtemps, très longtemps, la grand-mère d’Héloïse reçut cette bague d’un ange qui éprouvait pour elle l’amour le plus pur qui exista au ciel et sur terre.
Il se marièrent et eurent six beaux enfants. Hélas, seule leur fille aînée survécut. Ils lui confièrent l’anneau en lui demandant de ne le porter que lorsqu’elle aurait trouvé celui qui serait son époux. Et c’est ainsi qu’il parvint jusqu’à Héloïse et fut remis à sa mort, à Marie qui n’était encore qu’un bébé. Puisque Marie t’a distingué, je te le remets pour qu’à nouveau, la magie d’amour l’emporte sur la magie noire. Sois digne de la prophétie...et de l’ange à qui tu dois ce bijou.