P1000364
Party de fermeture du Spectrum de montréal.
Le samedi 04 août 2007
L'homme du Spectrum
Marie-Christine Blais
La Presse
Avec Alain Simard et quelques autres copains, André Ménard a fondé le Spectrum en 1982. À la veille de la fermeture de la fameuse salle, nous lui avons demandé quelques précisions et questions.
Q D'où vient le nom de la salle?
R On avait déjà notre entreprise de production de spectacles qui s'appelait Spectra. Et on cherchait pour la salle un nom d'origine latine, qui ferait un peu cultivé sans être trendy, à la fois prononçable en français et en anglais. On a brain-stormé et j'ai pensé à Spectrum. Seulement, il existait déjà un Spectrum à Philadelphie. Alors, on a décidé de s'appeler le «Spectrum de Montréal»; comme cela, il n'y avait pas de confusion, ça mettait le nom de Montréal de l'avant, et ça avait un petit quelque chose d'institutionnel qui a vite été adopté par tout le monde.
Q D'où est venue l'idée des petites ampoules qui décorent les murs du Spectrum?
R Les rideaux noirs ont été fixés sur les murs en plâtre pour tuer la réverbération naturelle de la salle, qui était incontrôlable. Seulement, quand on fermait les projecteurs entre les chansons pendant un show, la salle était plongée dans le noir complet et ça insécurisait certains spectateurs. Pierre Labonté, qui était décorateur, nous a expliqué qu'il fallait trouver le moyen de marquer les limites de la salle tout en donnant une sensation d'infini: pourquoi pas des petites ampoules fixées aux murs? À l'époque, en 1983, Radio-Canada enregistrait au Spectrum une émission animée par Donald Lautrec et c'est elle qui nous avait prêté les rideaux. Sans vraiment y penser, on a décidé de faire de petits trous DANS les rideaux pour y faire passer les ampoules. Disons que le gars de Radio-Can n'était pas vraiment content quand il a vu ça. Mais depuis, c'est devenu la signature de la salle.
Q Aviez-vous une idée de ce que vous vouliez comme salle dès le départ?
R Notre modèle, c'était le Fillmore de San Franscico, avec sa marquise. Notre salle était un ancien cinéma: le cinéma Alouette, où Alain (Simard) a vu Bambi quand il était petit et où j'ai vu Let It Be, adolescent! C'était ensuite devenu le Club Montreal - sans accent - et c'était très orienté anglophone. Alain et moi, on produisait déjà des shows dans la salle au-dessus, le El Casino, mais on perdait pas mal d'argent alors que le propriétaire du bar, lui, en faisait. Quand le Club Montreal a fermé, on a décidé d'occuper la place. Disons qu'il n'y avait aucune spéculation dans le coin, tous les magasins ou presque étaient fermés sur Sainte-Catherine, ça nous a permis d'avoir une salle dont le loyer était décent - je dirais qu'on paie l'équivalent du loyer d'un gros magasin de souliers dans l'ouest de la ville (rires). C'est ce loyer qui permettait aussi aux artistes québécois de la louer et, surtout, de la louer plusieurs soirs: ils jouaient le mercredi soir, la critique sortait le jeudi, et si elle était bonne, ils remplissaient leur salle le vendredi et le samedi! Mais ça n'a jamais été facile, jamais rentable: dans les années 90, avec CHUM, on avait même fait une série de spectacles baptisée Rock Against Recession! Pour 0,97$ ou 1,97$, les gens ont pu découvrir Steve Ray Vaughan ou Midnight Oil Aujourd'hui, une telle salle, située dans le même coin, coûterait, quoi, peut-être 10 millions? Amortis sur 10 ans, cela exigerait des versements mensuels d'environ 80 000$, c'est-à-dire cinq fois le loyer du Spectrum. Je ne sais pas si on va pouvoir se payer cela
Q Y a-t-il un moment qui vous a particulièrement marqué au Spectrum?
R Beaucoup de spectacles, Miles Davis bien sûr, Chris Rea Mais je n'oublierai jamais ce moment: pour ouvrir le Spectrum, nous avions obtenu un prêt de 250 000$ de la SODEC. Nous voulions évidemment conserver un bon dossier avec notre emprunteur; mais, une semaine, on avait juste assez d'argent soit pour rembourser le prêt, soit pour payer les salaires. Alors, avec les 75 employés, on a tenu un vote secret et, à la très grande majorité, on a décidé de payer la SODEC plutôt que de verser les salaires. Jamais je n'oublierai ça
Q Si vous aviez à ouvrir une salle aujourd'hui, qu'est-ce que vous garderiez ou élimineriez de l'actuel Spectrum?
R Je m'arrangerais pour qu'on soit directement relié au métro, je ferais le balcon autrement, j'aménagerais des loges d'artistes dignes de ce nom, j'installerais une vraie cage de cintres au-dessus de la scène, comme dans les théâtres. Mais je conserverais la volumétrie de la salle, qui permet une vraie proximité avec la scène, ainsi que le lobby qui est tellement agréable et le bar numéro 5 (installé dans le lobby même), où beaucoup de journalistes de médias concurrents sont devenus amis (rires)
Q Qu'allez-vous conserver comme objets-souvenirs du Spectrum?
R Toutes les grandes photos qui ornent le lobby, à moins que les artistes les réclament Et puis, il y a sept sortes de chaises au Spectrum. Il en reste encore 125 de la toute première «batch»; cette semaine, je vais les repeindre et peut-être en donner en souvenir à certains
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Party de fermeture du Spectrum de montréal.
Le samedi 04 août 2007
L'homme du Spectrum
Marie-Christine Blais
La Presse
Avec Alain Simard et quelques autres copains, André Ménard a fondé le Spectrum en 1982. À la veille de la fermeture de la fameuse salle, nous lui avons demandé quelques précisions et questions.
Q D'où vient le nom de la salle?
R On avait déjà notre entreprise de production de spectacles qui s'appelait Spectra. Et on cherchait pour la salle un nom d'origine latine, qui ferait un peu cultivé sans être trendy, à la fois prononçable en français et en anglais. On a brain-stormé et j'ai pensé à Spectrum. Seulement, il existait déjà un Spectrum à Philadelphie. Alors, on a décidé de s'appeler le «Spectrum de Montréal»; comme cela, il n'y avait pas de confusion, ça mettait le nom de Montréal de l'avant, et ça avait un petit quelque chose d'institutionnel qui a vite été adopté par tout le monde.
Q D'où est venue l'idée des petites ampoules qui décorent les murs du Spectrum?
R Les rideaux noirs ont été fixés sur les murs en plâtre pour tuer la réverbération naturelle de la salle, qui était incontrôlable. Seulement, quand on fermait les projecteurs entre les chansons pendant un show, la salle était plongée dans le noir complet et ça insécurisait certains spectateurs. Pierre Labonté, qui était décorateur, nous a expliqué qu'il fallait trouver le moyen de marquer les limites de la salle tout en donnant une sensation d'infini: pourquoi pas des petites ampoules fixées aux murs? À l'époque, en 1983, Radio-Canada enregistrait au Spectrum une émission animée par Donald Lautrec et c'est elle qui nous avait prêté les rideaux. Sans vraiment y penser, on a décidé de faire de petits trous DANS les rideaux pour y faire passer les ampoules. Disons que le gars de Radio-Can n'était pas vraiment content quand il a vu ça. Mais depuis, c'est devenu la signature de la salle.
Q Aviez-vous une idée de ce que vous vouliez comme salle dès le départ?
R Notre modèle, c'était le Fillmore de San Franscico, avec sa marquise. Notre salle était un ancien cinéma: le cinéma Alouette, où Alain (Simard) a vu Bambi quand il était petit et où j'ai vu Let It Be, adolescent! C'était ensuite devenu le Club Montreal - sans accent - et c'était très orienté anglophone. Alain et moi, on produisait déjà des shows dans la salle au-dessus, le El Casino, mais on perdait pas mal d'argent alors que le propriétaire du bar, lui, en faisait. Quand le Club Montreal a fermé, on a décidé d'occuper la place. Disons qu'il n'y avait aucune spéculation dans le coin, tous les magasins ou presque étaient fermés sur Sainte-Catherine, ça nous a permis d'avoir une salle dont le loyer était décent - je dirais qu'on paie l'équivalent du loyer d'un gros magasin de souliers dans l'ouest de la ville (rires). C'est ce loyer qui permettait aussi aux artistes québécois de la louer et, surtout, de la louer plusieurs soirs: ils jouaient le mercredi soir, la critique sortait le jeudi, et si elle était bonne, ils remplissaient leur salle le vendredi et le samedi! Mais ça n'a jamais été facile, jamais rentable: dans les années 90, avec CHUM, on avait même fait une série de spectacles baptisée Rock Against Recession! Pour 0,97$ ou 1,97$, les gens ont pu découvrir Steve Ray Vaughan ou Midnight Oil Aujourd'hui, une telle salle, située dans le même coin, coûterait, quoi, peut-être 10 millions? Amortis sur 10 ans, cela exigerait des versements mensuels d'environ 80 000$, c'est-à-dire cinq fois le loyer du Spectrum. Je ne sais pas si on va pouvoir se payer cela
Q Y a-t-il un moment qui vous a particulièrement marqué au Spectrum?
R Beaucoup de spectacles, Miles Davis bien sûr, Chris Rea Mais je n'oublierai jamais ce moment: pour ouvrir le Spectrum, nous avions obtenu un prêt de 250 000$ de la SODEC. Nous voulions évidemment conserver un bon dossier avec notre emprunteur; mais, une semaine, on avait juste assez d'argent soit pour rembourser le prêt, soit pour payer les salaires. Alors, avec les 75 employés, on a tenu un vote secret et, à la très grande majorité, on a décidé de payer la SODEC plutôt que de verser les salaires. Jamais je n'oublierai ça
Q Si vous aviez à ouvrir une salle aujourd'hui, qu'est-ce que vous garderiez ou élimineriez de l'actuel Spectrum?
R Je m'arrangerais pour qu'on soit directement relié au métro, je ferais le balcon autrement, j'aménagerais des loges d'artistes dignes de ce nom, j'installerais une vraie cage de cintres au-dessus de la scène, comme dans les théâtres. Mais je conserverais la volumétrie de la salle, qui permet une vraie proximité avec la scène, ainsi que le lobby qui est tellement agréable et le bar numéro 5 (installé dans le lobby même), où beaucoup de journalistes de médias concurrents sont devenus amis (rires)
Q Qu'allez-vous conserver comme objets-souvenirs du Spectrum?
R Toutes les grandes photos qui ornent le lobby, à moins que les artistes les réclament Et puis, il y a sept sortes de chaises au Spectrum. Il en reste encore 125 de la toute première «batch»; cette semaine, je vais les repeindre et peut-être en donner en souvenir à certains