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ce carnet bleu

 

[Tu ouvrirais ce carnet. Tu verrais qu'il y serait question du ciel, de cette part du ciel qui reste en nous, électrisée, nocture, sauvage, inaliénable. Tu verrais sur le bleu de ces pages, la blancheur d'une étoile, qui est celle aussi du sel, du feu.

Des mots passeraient sous tes yeux, dans le matin de tes yeux, Un mot comme celui-là: "âme". L'âme.

Un linge frais de soleil, amoureusement plié. Un drap d'or pour la couche des amants, liseré de noir, brodé avec les initiales conjointes de l'orage et de l'aurore.

Tu lirais encore, plus loin. Vers d'autres mots. Tu lirais les mots précieux, les mots ruisselants, les mots princiers, ceux du désespoir, ceux, les mêmes, de l'espoir.

Tu comprendrais alors.

Tu comprendrais que dans chacun de ces mots, sur chacune de ces pages, il n'aurait été question que de toi, que de cette merveilleuse coïncidence entre toi et l'amour que j'ai de toi. Entre toi et ces mots qui sont les miens pour te le dire. Entre toi et ces mots conçus pendant la nuit, engendrés par ce désordre qui suit ton entrée en mon âme et qui la pacifie.

Tu comprendrais que je n'ai jamais écrit que pour toi, même avant de te connaitre, même dans le temps, dans l'immensité sombre du temps précédant notre rencontre. Dans ce désert.

J'écrivais alors dans l'attente de l'amour, dans l'attente de sa venue, dans l'impossibilité de sa venue.

J'écrivais des mots plus orageux que la nuit, plus sombres que la nuit, dans l'espoir de la passer, de défaire la nuit par plus de nuit.

A présent j'écris.

Dans l'amour, dans la lumière, j'écris.

Avec des mots plus lumineux que la lumière, pour passer la lumière, pour atteindre ce qui en elle n'est plus sujet aux éclipses, pour gagner cette clarté que ne désoriente plus la lente rotation des jours.

Avec toi j'écris.

Avec toi je vois que les mots sont les mêmes. Ceux de la nuit. Ceux du plein jour Du désespoir. De l'espoir.

J'écris dans ce savoir que nous sommes seuls à connaitre.

Dans cette nuit où tu es en moi, dans cette nuit brûlante où tu es qui se confond avec celle d'où viennnent les mots, j'écris, je t'écris.

 

Je t'appelle.

Sur ces pages je t'appelle.

Dans ces forêts, près de cet étang, sur ces routes, sur ces terres que nos pas en les mesurant portaient à l'infini, je t'appelle.]

Christian BOBIN

 

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Uploaded on June 19, 2022