Rémi Tournebize
The cough bark
Esso souffrait d'une quinte de toux persistante depuis une huitaine de jours. Régulièrement au cours de la mission il cherchait le /sĭj'ã˦/, une espèce d'arbre particulière (nom botanique inconnu). C'est finalement à plus basse altitude qu'il a trouvé cet arbre dont l'écorce (/evfi˦n/) est réputée soigner la toux. Il a fait un flachis à la machette, prélevé l'écorce détachée (/soːx bivfi˦n/), retiré le rhytidome (nom anatomique donné à l'écorce superficielle morte et souvent rugueuse, qui a aussi un nom en langue fang : /nzœ˦l/) et ingéré le liber à jeûn (le liber est la partie de l'écorce sous le rhytidome, souvent claire, qui conduit la sève élaborée) au goût légèrement sucré et plutôt mou de texture. Deux jours plus tard, sa toux s'était considérablement calmée. La phytothérapie locale repose essentiellement sur les écorces, notamment le liber, qui véhicule la sève élaborée et accumule de nombreux métabolites secondaires qui jouent le rôle d'armes chimiques contre les pathogènes (alcaloïdes ou tanins antibactériens...). Par voie détournée, ces composés peuvent avoir des propriétés thérapeutiques pour les humains. Les pygmées sont réputés dans toute l'Afrique Centrale pour être les détenteurs du savoir thérapeutique des écorces. Ils sont consultés et très respectés pour ces connaissances. Ainsi, on entend parfois dire d'eux qu'ils sont les vrais "Maîtres des Écorces". Même passée dans les traditions bantoues, l'utilisation des écorces peut rester respectueusement rattachée à l'origine du savoir pygmée : c'est le cas notamment de l'iboga (Tabernanthe iboga, Apocynaceae), boisson psychotrope des rites Bwiti du Gabon (dont le principe mystique se rapproche des Mystères d'Eleusis de la Grèce Antique ou de l'ayahuasca d'Amazonie) très ancrée dans la culture bantoue gabonaise, mais qui continue d'être reconnue comme un héritage des ancestraux savoirs pygmées par les /ŋãŋa/ (hommes-médecine bantous).
L'une des écorces de loin les plus utilisées est celle de Garcinia lucida (Clusiaceae), appelé /esɔk/. Comme de nombreuses Clusiaceae, G. lucida produit un latex jaune quand on le blesse. Son écorce a au moins deux utilisations-clefs : (1) mise à macérer comme adjuvant dans le vin de palme (sève élaborée de Raphia vinifera (Arecaceae)), elle permet d'en contrôler le degré de fermentation ; (2) elle est réputée être un puissant antidote contre la plupart des venins (serpents, crapauds, insectes). Cette dernière propriété a été mise à profit dans la préparation du vin de palme. En effet, cette boisson extrêmement prisée est parfois source de conflits sur la ressource en palmiers raphia. Des tensions entre les ethnies peuvent amener certaines familles à placer du poison dans la sève de palme que collectent d'autres familles. Pour préserver la potabilité du vin, les africains placent par défaut l'écorce très amère de Garcinia, antidote général, dans le vin potentiellement empoisonné. On l'utilise enfin pour repousser les esprits malins et soigner les ulcères.
==============
Esso had been suffering from coughing fits for eight or nine days. Regularly during our mission, he was looking for the /sĭj'ã˦/, a particular tree species (unknown botanical name). It is finally at lower altitudes that he found the tree, its bark (/evfi˦n/) being known to treat coughing. He made a blaze on the trunk using the machete, took the bark, removed the rhytidome (/soːx bivfi˦n/) (anatomic name given to the superficial bark made of dead tissues, often rugged, it has also a name in Fang language: /nzœ˦l/) and ingested the liber (the part of the bark found beneath the rhytidome, lighter in colour, conducing the elaborated sap) which has a sweet taste and a soft texture. Two days later, his cough was considerably reduced. The local phytotherapy is essentially based on barks, notably the liber, which conduces elaborated sap and accumulates secondary metabolites which play the role of chemical weapons against pathogens (antibacterial alkaloids or tannins...). By a sort of chemical hijacking, some components may have therapeutical benefits for humans. Pygmies are reputed in all Central Africa to be the bearers of the bark therapeutic knowledge, and they are highly praised and respected for it. We sometimes hear about them that they are the real "Masters of the Barks". Even when assimilated into Bantu traditions, the ethnobotanical use of barks can still be respectuously linked to their pygmy origin. It is notably the case of iboga (Tabernanthe iboga, Apocynaceae), a psychotropic beverage in the Bwiti rites from Gabon (with a mystical principle close to the Eleusis's Mysteries of Ancient Greece or to the Amazonian ayahuasca). Despite playing a great role in Gabonese Bantu traditions, it is still acknowledged by the /ŋãŋa/ (Bantu medicine-men) as a legacy from the ancestral pygmy wisdom.
One of the most widely used timber bark is that of Garcinia lucida (Clusiaceae), locally known as /esɔk/. Like many other Clusiaceae, G. lucida emits a yellow latex when hurt. Its bark has at least two key uses: (1) macerated like an adjuvant in palm wine (elaborated sap of Raphia vinifera, Arecaceae), it allows to control the fermentation strength of the wine; (2) it is reputed to be a strong general antidote against most venoms (snakes, toads, insects). This last property was also used in the preparation of palm wine. Actually, this highly popular beverage is sometimes a source of conflits regarding the resource in Raphia palm trees. Tensions between ethnic groups can lead some families to poison the palm sap that other families collect. To preserve the wine drinkability, African people add by default the very bitter bark of Garcinia, a general antidote, into the potentially poisoned wine. We also use G. lucida bark to ward off evil spirits and cure ulcers.
The cough bark
Esso souffrait d'une quinte de toux persistante depuis une huitaine de jours. Régulièrement au cours de la mission il cherchait le /sĭj'ã˦/, une espèce d'arbre particulière (nom botanique inconnu). C'est finalement à plus basse altitude qu'il a trouvé cet arbre dont l'écorce (/evfi˦n/) est réputée soigner la toux. Il a fait un flachis à la machette, prélevé l'écorce détachée (/soːx bivfi˦n/), retiré le rhytidome (nom anatomique donné à l'écorce superficielle morte et souvent rugueuse, qui a aussi un nom en langue fang : /nzœ˦l/) et ingéré le liber à jeûn (le liber est la partie de l'écorce sous le rhytidome, souvent claire, qui conduit la sève élaborée) au goût légèrement sucré et plutôt mou de texture. Deux jours plus tard, sa toux s'était considérablement calmée. La phytothérapie locale repose essentiellement sur les écorces, notamment le liber, qui véhicule la sève élaborée et accumule de nombreux métabolites secondaires qui jouent le rôle d'armes chimiques contre les pathogènes (alcaloïdes ou tanins antibactériens...). Par voie détournée, ces composés peuvent avoir des propriétés thérapeutiques pour les humains. Les pygmées sont réputés dans toute l'Afrique Centrale pour être les détenteurs du savoir thérapeutique des écorces. Ils sont consultés et très respectés pour ces connaissances. Ainsi, on entend parfois dire d'eux qu'ils sont les vrais "Maîtres des Écorces". Même passée dans les traditions bantoues, l'utilisation des écorces peut rester respectueusement rattachée à l'origine du savoir pygmée : c'est le cas notamment de l'iboga (Tabernanthe iboga, Apocynaceae), boisson psychotrope des rites Bwiti du Gabon (dont le principe mystique se rapproche des Mystères d'Eleusis de la Grèce Antique ou de l'ayahuasca d'Amazonie) très ancrée dans la culture bantoue gabonaise, mais qui continue d'être reconnue comme un héritage des ancestraux savoirs pygmées par les /ŋãŋa/ (hommes-médecine bantous).
L'une des écorces de loin les plus utilisées est celle de Garcinia lucida (Clusiaceae), appelé /esɔk/. Comme de nombreuses Clusiaceae, G. lucida produit un latex jaune quand on le blesse. Son écorce a au moins deux utilisations-clefs : (1) mise à macérer comme adjuvant dans le vin de palme (sève élaborée de Raphia vinifera (Arecaceae)), elle permet d'en contrôler le degré de fermentation ; (2) elle est réputée être un puissant antidote contre la plupart des venins (serpents, crapauds, insectes). Cette dernière propriété a été mise à profit dans la préparation du vin de palme. En effet, cette boisson extrêmement prisée est parfois source de conflits sur la ressource en palmiers raphia. Des tensions entre les ethnies peuvent amener certaines familles à placer du poison dans la sève de palme que collectent d'autres familles. Pour préserver la potabilité du vin, les africains placent par défaut l'écorce très amère de Garcinia, antidote général, dans le vin potentiellement empoisonné. On l'utilise enfin pour repousser les esprits malins et soigner les ulcères.
==============
Esso had been suffering from coughing fits for eight or nine days. Regularly during our mission, he was looking for the /sĭj'ã˦/, a particular tree species (unknown botanical name). It is finally at lower altitudes that he found the tree, its bark (/evfi˦n/) being known to treat coughing. He made a blaze on the trunk using the machete, took the bark, removed the rhytidome (/soːx bivfi˦n/) (anatomic name given to the superficial bark made of dead tissues, often rugged, it has also a name in Fang language: /nzœ˦l/) and ingested the liber (the part of the bark found beneath the rhytidome, lighter in colour, conducing the elaborated sap) which has a sweet taste and a soft texture. Two days later, his cough was considerably reduced. The local phytotherapy is essentially based on barks, notably the liber, which conduces elaborated sap and accumulates secondary metabolites which play the role of chemical weapons against pathogens (antibacterial alkaloids or tannins...). By a sort of chemical hijacking, some components may have therapeutical benefits for humans. Pygmies are reputed in all Central Africa to be the bearers of the bark therapeutic knowledge, and they are highly praised and respected for it. We sometimes hear about them that they are the real "Masters of the Barks". Even when assimilated into Bantu traditions, the ethnobotanical use of barks can still be respectuously linked to their pygmy origin. It is notably the case of iboga (Tabernanthe iboga, Apocynaceae), a psychotropic beverage in the Bwiti rites from Gabon (with a mystical principle close to the Eleusis's Mysteries of Ancient Greece or to the Amazonian ayahuasca). Despite playing a great role in Gabonese Bantu traditions, it is still acknowledged by the /ŋãŋa/ (Bantu medicine-men) as a legacy from the ancestral pygmy wisdom.
One of the most widely used timber bark is that of Garcinia lucida (Clusiaceae), locally known as /esɔk/. Like many other Clusiaceae, G. lucida emits a yellow latex when hurt. Its bark has at least two key uses: (1) macerated like an adjuvant in palm wine (elaborated sap of Raphia vinifera, Arecaceae), it allows to control the fermentation strength of the wine; (2) it is reputed to be a strong general antidote against most venoms (snakes, toads, insects). This last property was also used in the preparation of palm wine. Actually, this highly popular beverage is sometimes a source of conflits regarding the resource in Raphia palm trees. Tensions between ethnic groups can lead some families to poison the palm sap that other families collect. To preserve the wine drinkability, African people add by default the very bitter bark of Garcinia, a general antidote, into the potentially poisoned wine. We also use G. lucida bark to ward off evil spirits and cure ulcers.