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Le Rhone comme Rhone Poulenc & la SED Booom

www.twitter.com/Memoire2cite -“ L’urbanisme des possibles ”Pourquoi dire des grands ensembles qu’ils sont des terres d’avenir ? www.youtube.com/playlist?list=PLaaQ2crb2Yoi0aqvbpHthqOowQ... Parce que la fréquentation régulière de ces quartiers m’a amené à y voir autre chose que des territoires à problèmes. Habiter les grands ensembles, c’est habiter la ville. Rarement

la ville-centre, celle du Paris haussmannien ou de la ville autrefois intra-muros, mais la ville tout

de même, un territoire souvent diffus, faible, pas toujours reconnaissable, mais où habite finalement aujourd’hui la majorité des urbains. Les grands ensembles font partie de cet assemblage d’entités autonomes, issues de conceptions rarement hasardeuses, mais pas forcément articulées les unes aux autres. Ils se distinguent du territoire urbanisé par leur masse, leur dimension,

parfois leur ordonnancement. C’est très clair quand on survole une ville depuis

un avion : les barres et les tours des grands ensembles émergent au milieu des

nappes de pavillons, des galettes commerciales et des infrastructures routières.

Pour autant, ils n’organisent ni ne structurent le territoire, comme l’espéraient

leurs concepteurs à l’origine. Ils sont juste plus grands.

Les grands ensembles appartiennent au paysage générique et banal de la banlieue.

Ils en sont même devenus des éléments constitutifs. A ce titre, les barres et les

tours nous parlent d’autre chose que d’habitat ou de difficultés sociales. Bien sûr,

ces immeubles ont tendance à accueillir une population souvent défavorisée, mal

intégrée aux réseaux de production et d’emploi. Bien sûr, les modes de vie et les

relations sociales y sont parfois plus durs et plus violents qu’ailleurs. Mais on ne

peut réduire les grands ensembles à ces difficultés. Leurs situations se rapportent

en effet à une condition beaucoup plus large qui est celle de la banlieue dans sa

globalité, soit la part majoritaire de la condition urbaine actuelle.

Intervenir dans les grands ensembles implique donc de penser aujourd’hui cette

nouvelle condition. Comme l’habiter ? Comment y développer une activité ?

Comment y affronter la précarité énergétique ? Les grands ensembles constituent

un formidable territoire pour aborder ces questions, ils disposent d’un formidable

gisement pour penser la ville de demain. Regarder un territoire, une nécéssité avant toute

transformation

6 | L’urbanisme des possibles

En 2012, le Ministère de la Culture nous a confié, à Ken Rabin et moi-même,

le commissariat et la scénographie d’une exposition itinérante de photographies

sur les grands ensembles. Cette initiative revient à Eric Langereau, directeur de

l’ESAM de Caen, l’Ecole supérieure d’art et de médias qui a accueilli l’exposition

pour la première fois.

L’exposition présente les œuvres d’une dizaine de photographes qui, de 1960

à nos jours, ont porté un regard sur les grands

ensembles. Les œuvres de ces photographes sont

riches d’émotions mais aussi d’enseignements car

la manière d’observer un site ou une situation est

absolument déterminante dans la manière de penser

leur transformation. Et le regard de ces artistesphotographes nous aide à dépasser l’héritage des

fausses représentations.

Au travers de cette exposition, nous avons essayé d’élever les grands ensembles

au rang d’objets dignes de considération. Non pas tant des objets de patrimoine

– dans le sens où il faudrait les conserver, s’interdire de les démolir – mais comme

des objets à la fois importants dans l’histoire d’après la Seconde guerre mondiale

et marquants dans le territoire. Des objets qu’il convient encore d’apprendre à

regarder. Le grand ensemble à l’origine : une promesse de modernité et de confort

Dès la fin des années 1950, la Caisse des dépôts s’impose comme le plus important

constructeur de logements en France. Son rôle est essentiel dans le développement

du modèle du grand ensemble. Chacune des opérations qu’elle livre fait l’objet

d’une mission photographique.

Essentiellement réalisées par Jean Biaugeaud, les images promotionnelles qui en

résultent témoignent de la formidable promesse de cette production à grande

échelle : un nouvel habitat égalitaire, une nouvelle organisation du territoire,

le tout soumis à un objectif essentiel, celui de résoudre la crise du logement. A

l’époque, l’enjeu, c’était d’abriter des gens qui travaillent. Ce qu’il faut retenir,

et ça me paraît extrêmement important par rapport à la situation actuelle dans

laquelle on se trouve aujourd’hui, c’est que le grand ensemble était fait pour loger

des salariés qui ne travaillaient pas sur place. Un lieu où on régénérait en quelque

sorte la force de travail. Le confort du logement participait à cette régénération.

Une vie nouvelle, une vie de pionniers

La vie collective des grands ensembles est très intense durant les premières années.

Les habitants s’engagent dans des mouvements d’éducation populaire et de

jeunesse et des associations. Beaucoup d’entre eux militent au parti communiste.

De 1959 à 1969, le photographe Jacques Windenberger habite Sarcelles. Il s’attache

alors à décrire la vie collective très intense dans cette cité encore en chantier, les

solidarités entre voisins aussi bien que les douceurs familiales.

Ses reportages décrivent avec fidélité la vie de ces pionniers qui inventent de

nouveaux modes de vie collectifs. Une vie un peu à l’écart, mais qui reste accrochée

à la société par le lien du travail.Une question identitaire

Les grands ensembles accueillent dès l’origine une importante communauté de

pieds-noirs et d’immigrés. Ce cosmopolitisme reste une caractéristique forte de

ces quartiers. Certains d’entre eux comptent aujourd’hui plus d’une trentaine de

nationalités différentes.

Né en banlieue parisienne, de père algérien et de mère française, le photographe

Bruno Boudjelal fait une série de clichés bouleversants sur le quotidien de plusieurs

générations de femmes d’origine algérienne.

A la fois journaux intimes et reportages sur les conditions de vie, ces séries

formalisent le trouble identitaire que peut ressentir la première génération des

enfants nés des grands ensembles.

Les grands ensembles se sont fondus dans le territoire

Commandées en 2010 par la Direction générale des patrimoines, les vues aériennes

de l’américain Alex MacLean témoignent de la manière dont quelques grands

ensembles emblématiques de la région parisienne perdurent.

Le photographe nous montre ici comme les barres et les tours ont perdu de leur

monumentalité. Les bâtiments, comme le sol, se sont usés. Les populations se sont

renouvelées. Les grandes dimensions de ces quartiers d’habitation, encore inédites

à l’époque de leur construction, ne se discernent plus dans l’hétérogénéité des

masses de la banlieue. De l’ambition initiale, il ne reste que le visage impersonnel

de ces innombrables fenêtres et une fascination mêlée d’inquiétude devant un

effacement si assumé de toute trace d’individualité.

De plus en plus, le grand ensemble et la ville se confondent. L’un et l’autre sont

immergés dans une urbanité spatiale et culturelle de plus en plus diffuse et

homogèneUn paysage en perpetuelle métamorphose

Le photographe Christian Siloé fonde un récit à partir des chantiers – de la

démolition à la reconstruction – d’une cité de Montereau-Fault-Yonne. On

y voit des grues héroïques déchiqueter les restes puissants de structures

d’immeubles. On y voit aussi les chantiers de pavillons qui viennent

reconquérir le paysage des barres et des tours démolies pour générer un

paysage reconnaissable de lotissement.

Les grands ensembles, ce sont des paysages en métamorphose. C’est

énorme, c’est grand, c’est solide, c’est en béton, mais c’est aussi très

fragile. On les a construit, on les a réhabilité, on les a re-réhabilité, on les

a partiellement démoli, on y a reconstruit d’autres logements, …

Cette fragilité est aujourd’hui inscrite dans le paysage et la culture de

la banlieue. Depuis les

grandes démolitions à

l’explosif des années

80-90, tout le monde

sait que les grands

ensembles sont en

sursis, qu’ils peuvent

disparaître à tout

moment.

Un univers d’idées reçues

Les œuvres de Mohamed Bourouissa rassemblent, dans des mises en

scène soigneuses, les signifiants de la culture des cités : squat de hall,

regroupement en pied d’immeubles, destruction de voiture sur parking,

affrontement entre jeunes sur trottoir...

En faisant appel au vocabulaire noble des tableaux maniéristes

(composition, lumière, pose, cadrage), l’artiste-photographe hisse

les idées reçues au rang de mythe. Parce que la banlieue et les grands

ensembles, c’est aussi ces regards, ces gestes, ces manières d’être en

groupe, ou simplement les uns avec les autres dans des espaces très petits

alors que, juste à côté, il y a des étendues immenses.

Cette chorégraphie des corps, des gestes et des regards – inquiétante pour

certains – est bien sûr liée à l’architecture des grands ensembles. On ne

peut l’ignorer lorsqu’il s’agit de penser aujourd’hui leur devenir.

Entre solitude et promiscuité

Le photographe Cyrus Cornut ne pose pas simplement son regard sur les

grands ensembles, mais sur l’ensemble de la banlieue parisienne.

Ses photographies nous montrent un rapport très particulier des indivi

-

dus aux grands espaces, à l’horizon. Les personnages paraissent petits et

isolés au milieu d’un paysage de fenêtres anonymes et de blocs gigan

-

tesques, au sein desquels on vit très près les uns des autres.

Cette disproportion entre solitude et promiscuité, ce sont bien sûr les

grands ensembles qui l’ont installé. Mais elle s’est étendu depuis à l’en

-

semble des territoires sub- et péri-urbains.

C’est extrêmement important de considérer que cette affaire des grands

ensembles ne se limite pas simplement aux périmètres dit « ZUS », qu’ils

ne se distinguent pas de ce vaste paysage qu’est devenu la ville, la ville

dès que l’on s’éloigne de son centre historique.

Que nous apprennent ces photographies ?

La promesse égalitaire qui fonde l’origine des grands ensembles a-t-elle

entièrement disparue ? L’intensité de la vie collective s’est-elle substituée

à la seule violence des rapports humains ? Peut-on réduire les barres et les

tours aux seuls stigmates du colonialisme et du communautarisme iden

-

titaire ? Ces photographies montrent que l’histoire des grands ensembles

est bien plus complexe et qu’ils disposent de bien d’autres atouts. Car le

propre des grands ensembles est qu’ils restent les héritiers de la politique

étatique, planificatrice et égalitaire des Trente Glorieuses tout en étant

devenus poreux au territoire qui les entoure. Et c’est justement ce carac

-

tère double qui fait des grands ensembles des terres d’avenir : des terres

mieux adaptées aux conditions économiques et sociétales d’aujourd’hui,

des terres également propices au renouvellement des pratiques de projet.

Le potentiel des espaces verts

Les grandes étendues des espaces verts qui caractérisent la plupart de

ces quartiers témoignent de cette ambigüité. À l’origine, les grands en

-

sembles reposaient sur un certain nombre de principes affirmés. Le pre

-

mier consistait à implanter les constructions au milieu de vastes étendues

paysagères, apportant ainsi l’air, la lumière et la nature au plus près des

logements. François Parfait, ingénieur des Ponts-et-Chaussées, avait alors

déclaré que ces espaces verts devaient relever d’un statut particulier :

celui de service public. Ce statut à part, qui ne relevait ni du domaine

public ni du domaine privé, n’a jamais vu le jour. Les espaces verts n’ont

jamais trouvé leurs usages et sont restés des lieux d’interdiction, difficiles

à gérer. Des lieux d’inquiétude mais aussi des lieux coûteux en entretien

pour les locataires, les copropriétaires et les collectivités locales.

À partir des années 1980-90, on a commencé à introduire un autre modèle

en aménageant des rues et en distinguant l’espace public de l’espace privé. De

fait, on a simplifié un certain nombre de questions posées depuis l’origine. Les

espaces verts ont été découpés en parcelles. Puis on a mis des clôtures. Et ces

espaces verts, très généreux au départ, que sont-ils devenus ? Essentiellement

des jardins de vue. On a créé des espaces verts privés, morcelés, plus petits, gérés

par les bailleurs sociaux mais toujours sans usage. On a gagné un espace public,

clairement délimité – le plus souvent, les clôtures servent davantage à délimiter

la rue qu’une entité résidentielle – mais, là encore, celui-ci a rarement trouvé

d’autres usages que ceux de la circulation et du stationnement.

Avec les opérations de rénovation urbaine, nous avons découvert que les grands

ensembles pouvaient accueillir un foncier privé, dédié à de nouveaux types

d’habitats privés, générant ainsi une certaine mixité sociale. Pour autant, les

espaces verts résidentiels sont restés des jardins de vue tandis que les espaces

publics sont demeurés des rues circulantes. Est-ce le seul avenir pour ces espaces

verts ? N’y a-t-il pas d’autres hypothèses à envisager ? En élargissant la focale,

on découvre d’autres vocations possibles. Je pense par exemple à des pratiques

solidaires et locales ou à des filières économiques courtes pouvant associer

les habitants ou les actifs logés à proximité. Car ce qui caractérise les grands

ensembles, et que l’on oublie bien souvent, c’est leur ancrage dans le territoire.

De par les liens fusionnels qu’ils entretiennent avec la banlieue, comme évoquée

plus haut. Mais aussi du fait du chômage qui touche souvent plus leurs habitants.

Car si la vocation première des grands ensembles consistait à loger une population

salariée, celle-ci est aujourd’hui d’accueillir des résidents qui font bien plus qu’y

habiter.

Les habitants ont pris de l’avance

Dans de nombreux quartiers périphériques, les habitants exploitent les espaces

libres dont ils disposent pour inventer de nouveaux usages, parfois collectives ainsi

que de nouvelles activités économiques, qualifiées le plus souvent d’informelles (à

ne pas confondre avec souterraines qui désignent le commerce de biens illicites).

C’est le cas tout particulièrement des résidents de nombreux pavillons qui ont

su exploiter les potentiels de leurs garages, de leurs jardins ou d’une partie de

leurs rez-de-chaussée. Ne peut-on imaginer un tel potentiel de « capacitation »

(empowerment) dans les espaces verts des grands ensembles ? Ces surfaces de

pleine terre qui s’étendent au pied des barres et des tours, encombrantes pour

les gestionnaires et les pouvoirs publics, ne pourraient-il pas profiter aujourd’hui

pleinement aux habitants ? Les espaces verts contribueraient alors à faire advenir

de nouvelles modalités de travail, dans l’esprit de ce que Jeremy Rifkin a appelé

la « Troisième révolution industrielle ». En ces temps incertains, où se prépare

une probable pénurie énergétique, les grands ensembles auraient alors toutes les

chances de devenir les porteurs d’une nouvelle promesse. Créer un parc d’initiatives à Toulouse

À Toulouse, dans le quartier de Bagatelle, nous travaillons sur un grand territoire

de 365 hectares, aussi grand que le centre-ville. Celui-ci est bordé par la rocade, la

Garonne et un boulevard de ceinture du centre-ville. Il comprend notamment cinq

quartiers d’habitat social : Bagatelle, La Faourette, Papus, Tabar et Bordelongue.

Sur ce projet de renouvellement urbain, nous abordons plusieurs échelles,

plusieurs temporalités. Nous élaborons un schéma directeur, aménageons un

certain nombre d’espaces publics et accompagnons, en tant qu’urbaniste-conseil,

toutes les opérations.

Ce territoire est constitué de petites « poches » de quelques centaines de logements

sociaux, de pavillons et de copropriétés construits, pour l’essentiel dans les années

1950 et 1960. Chaque « poche » s’est implantée sur une assiette foncière provenant

de la réunion de plusieurs parcelles maraîchères. On a des isolats, des sortes de

successions de petites unités placées les unes à côté des autres. Pour l’architecte

Candilis, auteur du Mirail, l’aménagement de ces quartiers juxtaposés, c’est l’antimodèle.

Est-ce que c’est l’anti-modèle ? Je n’en suis pas si sûr. Parce que la proximité

de toutes ces « poches » est d’une grande richesse. Une des choses les plus

frappantes, c’est le contraste entre les secteurs de grands ensembles et les secteurs

pavillonnaires. Bien que disposant de très vastes espaces verts, les abords des

premiers restent peu investis par les habitants tandis que les maisons débordent

d’usages économiques et associatifs.

Ce contraste nous a beaucoup interrogés. Nous pensions naïvement, avant d’explorer le site, que les secteurs pavillonnaires

n’avaient d’autres fonctions que résidentielles, que leur capacité d’évolution

restait, de fait, très limité. Nous avons découvert des quartiers très vivants, les

activités dans et aux abords des maisons ne cessant de changer, de se transformer.

Et on a commencé à imaginer des choses.

Il se trouve que ce territoire est entièrement soumis à un impératif majeur, le plan

d’exposition au bruit, celui-ci se trouvant dans l’axe des pistes de l’aéroport. La

stratégie de densification n’était donc pas de mise. Les vides n’ayant pas de valeur

foncière, ils pouvaient être mis à profit pour offrir aux habitants des avantages

comparables à ceux des pavillons.

Ainsi, plutôt que de diviser, comme ailleurs, les espaces verts, nous avons choisi

de les amplifier, de les réunir. Dans le quartier de Bagatelle en particulier, nous

avons constitué une entité large et généreuse de 4 hectares, la reconstruction

de l’offre de logements étant reportée de

part et d’autre.

Mais quelle affectation proposer à ce

parc sans alourdir encore les charges

des locataires et de la collectivité ?

Cet enjeu était d’autant plus crucial

que la proportion était d’espaces verts

était devenue, dans ce quartier, très

importante. Un calcul nous a paru éloquent. Il s’agit du nombre de mères carrés par

logement. Si on compare le quartier de Bagatelle avec le centre-ville de Toulouse,

ce ratio était multiplié par quatre.

Mais dès lors que ce parc s’ouvrait aux initiatives des habitants, ce ratio pouvait

diminuer. Au vu de ce qui se passe dans les pavillons, on n’a pas souhaité se

cantonner aux jardins familiaux ou partagés. Ce parc est devenu le parc des

possibles, un parc capable accueillir les initiatives économiques, énergétiques,

agricoles, alimentaires, culturelles, ludiques et sportives des habitants. Les

porteurs de projets disposent d’un morceau de terrain, d’une parcelle, pour une

durée déterminée. Le sol reste propriété de la collectivité, mais il devient, pour

une bonne part, autogéré.

La constitution d’une trame facilite ensuite les connexions à des systèmes de

partage et de coproduction.

Cette hypothèse n’est pas tout à fait nouvelle. Nous pensons notamment à Andrea

Branzi qui a poursuivi, depuis les utopies d’Archizoom dans les années 1960,

une réflexion sur « l’urbanisation faible ». Le dessein de la ville n’étant plus en

mesure d’être planifié, la trame constitue un système ouvert, capable de mettre

en relation des noyaux d’activités éparses, extensifs ou graduels. Nous sommes

loin du modèle de la ZAC. Parole à...

Pierre Vandenbrouck et Julia Golovanoff

Créer, par la trame urbaine, des pages de liberté

Dans le quartier de Bagatelle, il y a eu beaucoup de démolitions, qui ont eu pour

effet de créer du vide.

Nous avons commencé notre travail sur cette question.

Que pouvions nous en faire ? Que faire de tous ces petits espaces, souvent sans

affectation, sans fonction ? Résidentialiser ? Créer des jardins de copropriété ?

Plutôt que de faire des jardins de copropriété surdimensionnés, nous avons

proposé de regrouper, de rassembler tous ces fragments de terrains libres pour

faire un ensemble sur lequel on puisse imaginer des choses et créer un projet.

Nous avons saisi l’opportunité d’utiliser l’espace laissé par les démolitions pour

relier deux espaces verts existants, actuellement enclavés, pour créer un grand

parc qui ferait quatre hectares et permettrait de renouveler l’image du quartier

de Bagatelle.

Mais on ne voulait pas seulement proposer un parc, public et entièrement géré par

la collectivité où toutes les activités seraient assurées et encadrées par le service

public. On pensait qu’il y avait matière à proposer autre chose, plus adapté aux

besoins du quartier. L’idée que l’on a proposée était d’apposer sur ce grand espace

une trame, structure capable d’accueillir des espaces de liberté.

Cette trame, c’était aussi l’occasion de caractériser très fortement l’espace et

de créer une sorte de structure suffisamment forte pour qu’elle puisse, tout en

existant, accueillir une grande variété d’usages.

L’idée n’était pas d’imposer quelque chose de rigide, mais de voir toute la liberté

qu’offre une trame et tout ce qu’elle peut accueillir de différent.

Des jardins plus ouverts

Tout le parc a été divisé par cette trame, en parcelles.

Le mot parcelle nous convenait bien, parce que la parcelle, c’est la petite partie

d’un tout. Et on imagine que tout y est possible, en fait. Et puis on aimait

bien aussi le mot parcelle qui désignait au Moyen-âge un petit morceau d’une

demeure seigneuriale, mise à la disposition d’un serf, et que celui-ci cultivait,

entretenait et dont il se nourrissait. Ici, il ne s’agit pas d’un seigneur ou d’un

serf, mais d’une collectivité et d’une sorte de sous-locataire qui serait un usager

ou une association. Alors on imagine que cela pourrait s’organiser un peu comme

les jardins partagés, mais de façon plus ouverte car l’idée est que les parcelles ne

soient pas forcément des jardins. Elles peuvent être autre chose. Quoi ? On ne le sait pas, mais on se doute bien que les futurs usagers auront beaucoup d’idées

à proposer. On imagine que pour obtenir une parcelle, un habitant, un groupe

d’habitants ou une association puissent proposer un usage et que cette initiative

soit choisie pour son intérêt, pour ce qu’elle peut apporter aux habitants, pour ce

qu’elle peut apporter au quartier en général.

Tout le parc est divisé en parcelles de 200 mètres carrés, surface qui a été choisie

parce que dans 200 mètres carrés, on peut faire des choses très variées.

On ne sait pas ce qu’il y aura dans ces parcelles. On imagine. On peut imaginer

mille choses. Ces parcelles ne sont pas toutes privatisées. Il y a aussi des parcelles

publiques parce que si la ville ne gère pas tout, n’entretient pas tout, il y a aussi

l’idée que la collectivité ne se désintéresse pas de son sol. Et une part de l’espace

public doit rester porteuse de tous les usages possibles, sans appropriation possible.

Dans le cadre d’une préfiguration du futur parc, on a planté des espaces qui

permettent aussi de tester spatialement la taille des parcelles, de voir ce que

ça veut dire d’avoir des parcelles de cette surface sur ces terrains. L’idée est

qu’on prépare le futur. Les habitants, les associations peuvent commencer à se

demander : « Mais, qu’est-ce que j’aimerais faire si j’avais un sol disponible en

extérieur ? ». C’est une chose importante, car les habitants des pavillons ont un

jardin, un garage, alors que les habitants des immeubles collectifs n’ont que leurs

logements. Ils n’ont peut être jamais espéré pouvoir bénéficier d’un sol, prêté par

la collectivité.

Nous, on trace une trame qui peut accueillir les idées de tous les habitants, du

quartier comme d’ailleurs.

Car généralement plus on aménage un espace, moins on a le droit d’y faire de

choses, moins on a confiance dans l’usager et finalement tous les usages qui

s’écartent de ce qui a été prévu sont considérés comme déviants.

C’est finalement dommage de voir que la générosité des pouvoirs publics ou

l’attention portée par les concepteurs sur les espaces publics soient à ce point

réduits une fois les aménagements réalisés.

Ce parc de Toulouse avec ses parcelles, parle aussi de l’usager et de sa place dans

l’espace. Si on synthétise, dans l’histoire des parcs, on a les Tuileries où l’usager

est spectateur d’une nature mathématique, ordonnancée et parfaite. Les Buttes

Chaumont ensuite, c’est la même chose, sauf que c’est un bout de nature qui

est importé à l’intérieur de la ville. On s’isole de la ville et on admire la nature.

C’est dans le Parc de la Villette qu’on a commencé à s’asseoir dans l’herbe, ce

qui paraissait encore un sacrilège dans beaucoup de jardins parisiens. En fait, on

imagine qu’avec ces parcelles, nous allons passer à une autre phase, où on pourrait

s’emparer du sol et en faire quelque chose. Parole à...

Eric Amanou

Je vais vous raconter, comment chargé de la dimension sociale du projet, nous

avons mis en œuvre toute la dimension participative autour de ces intentions.

Au début du projet, nous avions deux intuitions. La première, celle d’un grand parc

de quatre hectares devant relier trois secteurs de Bagatelle, aujourd’hui repliés sur

eux-mêmes. Notre deuxième intuition, c’était de ne pas faire un parc d’agrément,

comme il en existe déjà à Toulouse, notamment dans le quartier voisin de La

Faourette.

On arrive avec quelques idées comme l’agriculture urbaine ou des initiatives

culturelles. On n’en sait pas plus que ça. Cela suffit pour organiser des rencontres

avec les habitants et recueillir leurs réactions.

Nous décidons d’aller vers les habitants, pas par une réunion publique, mais là où

ils sont. Et sur une semaine, on organise une quinzaine de temps de rencontres.

On discute, on demande aux bailleurs de nous organiser des rencontres en pied

d’immeuble avec des locataires, on va voir les personnes âgées, on va sur le marché,

à la brocante, à la sortie des écoles. On rencontre des jeunes enfants dans les

centres d’animation. En tout, c’est une quinzaine de rencontres, au cours desquels

on a dialogué avec 350 habitants, commerçants, associatifs qui nourrissent les

intentions du parc.

De ces libres discussions, où la tendance qui s’exprimait était un parc conciliant

fonction d’agrément, nature en ville et activités

partagées, on a réussi à dégager certains

éléments de fonctionnement et des éléments

programmatiques.

On a aussi voulu identifier les ressources dans

une logique de recensement des initiatives et des

prédispositions à venir. Sur l’idée du grand parc

on a réussi à dégager un élément-clé. Cet espace

vert, il doit finalement être le trait d’union entre trois sous-ensembles et trois

fonctionnements résidentiels. Tout ce travail et le travail sur le fonctionnement

social qui avait été mené en amont par Fanny Martel, nous a permis de tricoter et

de mieux assurer nos intentions, nos intuitions, nos éléments programmatiques.

Dans le même temps cela a permis aux concepteurs, atelier Landauer et atelier

Jours, d’y voir un peu plus clair sur cette idée de trame et de parcellaire.

Aujourd’hui on se demande aussi si ce n’est pas aussi notre métier d’aller vers les

habitants, parce que la démarche compte tout autant que ce qui va être proposé.

Le fait d’aller vers les habitants, avec nos panneaux, d’engager des discussions

libres, tout cela crée des conditions d’adhésion plus favorables.

Je voudrais maintenant aborder quatre difficultés auxquelles nous avons été

confrontées.

La première concerne la gouvernance des projets.

De telles intentions, un tel processus de projet, réinterrogent tous les métiers de

la direction de projet, chez les bailleurs et au

sein des différents services de la collectivité.

Culturellement cela suppose de sortir de toute

standardisation de l’espace public et de tous

les modèles. Cela questionne les logiques de

propriété, de fermeture, de séparation, de

distinction des fonctions... Culturellement

c’est difficile quand on n’a pas un modèle

précis à substituer à celui que l’on propose

d’abandonner.

Finalement, on propose de réfléchir et d’agir

comme des développeurs sociaux. C’est-àdire que l’initiative qui va sortir va devenir

le premier élément de projet, sur lequel on

appuiera un deuxième. Mais rien n’est connu

ni maîtrisé d’avance. C’est une logique de

développement sans outils, hors maquette financière.

Par exemple, une des difficultés qu’on avait avec ce parc, c’est un bâtiment qui

peut gêner son déploiement. On nous demande immédiatement ce qu’on va en

faire. Et on ne sait pas leur répondre. L’écrêter, le réhabiliter, le démolir ? Et les

incertitudes ne rentrent pas dans la maquette financière, il faut faire inscrire le

devenir de ce bâtiment. On l’inscrit donc, en faisant le pari que dans 3-4 ans les

lignes seront fongibles.

La deuxième limite, est celle de la participation traditionnelle, connue.

Avec ce projet, on dépasse les figures habituelles de la concertation et de la

participation, du « faire pour » ou du « faire avec ».

Sur cette logique de coproduction, de reconnaissance d’expertise et surtout

d’incitation aux initiatives, on va mobiliser une autre figure, celle du « faire par

». Il va falloir inventer d’autres figures de la concertation et de la participation.

Savoir solliciter, mobiliser un prestataire qui va animer le territoire, aller à la

rencontre et accompagner les porteurs de projets. On ne sait pas bien qui va

répondre. Mais il va falloir repousser les limites pour inventer un nouveau métier

que celui de la concertation ou de la participation.La troisième limite, c’est celle de la tranquillité publique, de la régulation de

l’espace public. Dans notre concertation et en règle générale, la question des

détournements d’usage, du non respect des espaces et des équipements et de

la dégradation volontaire bride l’imagination. Au travers de ce projet, je pense

qu’il faudra faire naître d’autres métiers de la régulation publique. Les jardins

partagés, d’une certaine manière, sont aussi des petits miracles, un peu partout

dans le pays. Partout où ils existent et où ils sont bien faits, ils sont extrêmement

respectés, y compris dans des contextes de grande tension. Les associations

gestionnaires de ces jardins-là, parce qu’ils ont d’autres modes de faire, parce qu’ils

travaillent autrement avec des habitants, parce que c’est une valorisation aussi de

la ressource, produisent des formes de respect, de régulation.

Pour obtenir une régulation de l’espace public afin que toutes ces initiatives se

fassent, il va falloir inventer des nouvelles figures de la régulation, à l’image

des gestionnaires de ces jardins partagés ou des collectifs de jeunes architectes

ou paysagistes qui fabriquent avec les publics qu’ils rencontrent et dont les

productions tiennent et sont respectées par tous, ou presque. Ces gens ont une

capacité, dans une approche nouvelle envers les habitants, dans leur aptitude à

être acceptés, à réussir là où l’action publique traditionnelle échoue.

La quatrième limite tient à notre approche républicaine. On se fixe des limites

idéologiques, républicaines. Si on n’accepte pas d’encourager « l’activité de la

débrouille », on ne voit pas comment ça va se faire. On connaît ces activités on

voit bien que ce n’est pas très légal, que la République ne peut pas cautionner ça

et doit fixer une limite. Mais a-t-on vraiment le choix ? Il y a peut-être une logique

de pragmatisme de l’action publique qui va devoir permettre de détendre un peu

ces grands principes républicains.

Un chiffre nous a vraiment surpris. Depuis que le statut existe, c’est dans le

quartier habitat social du Mirail qu’il y a le plus d’auto-entrepreneur. Cela rend

compte de la fermeture du marché traditionnel et de la capacité des gens à

entreprendre, innover, tenter des activités. Lorsqu’il y a cadre légal, les habitants

y adhérent. Mais si cela doit passer par de la « débrouille », ils iront aussi. Nous,

savons que sur ce genre de projet, il va falloir aussi qu’on repousse ces limites de

l’action publique républicaine.Histoire de projet

Fosses : le grand ensemble devient le centre-ville

Cela fait dix ans que nous travaillons sur le projet de Fosses. Nous avons développé

un projet urbain. Aujourd’hui nous avons la maîtrise d’œuvre des espaces publics

et une mission de coordination. On en est à peu près à mi-parcours.

Fosses, est une commune de 10 000 habitants dans le Val d’Oise, en limite de l’Ile

de France, bordée par les grandes plaines agricoles de l’Oise. C’est une ville qui n’a

jamais eu de centre. Une ville périurbaine qui s’est développée à partir des années

1960-70 à proximité de la gare, à plusieurs kilomètres du village d’origine. Elle

comprend des pavillons, un grand ensemble (avec son centre commercial et son

centre social), un lotissement fait de maisons en bandes dites « chalandonnettes

» (elles ont été financées dans le cadre d’une loi du ministre Albin Chalandon),

un réseau d’étroites venelles piétonnes et quelques gros équipements (gymnase,

piscine, poste).

Comme la ville disposait d’une densité plus importante au niveau du grand

ensemble, la ville y a disposé la mairie dans un bâtiment préfabriqué. Puis,

dans les années 1980-90, elle y a construit une église, une halle de marché et

quelques immeubles collectifs aux façades régionalistes. Cela forme un ensemble

très disparate, une juxtaposition de fragments urbains qui relèvent chacun d’une

conception urbaine particulière, sans aucun lien ni articulation, une juxtaposition

de machines solitaires séparées par des vides indistincts, remplis de stationnements

ou de buttes de terre.

Du fait de cette situation, le projet de renouvellement urbain qui nous a été confié

est vite devenu un projet de centre-ville. Il y avait une attente forte des habitants

dans ce sens. Les choses qui nous ont été dites, au tout début, c’était des choses

simples: « Quand on fait une photo pour un mariage, on aimerait bien que le décor

soit autre chose qu’un préfabriqué ! ». Il y avait donc un besoin de symbolique.

Mais en même temps, il y avait un paradoxe. Parce que rien ne justifiait a priori

que le quartier du Plateau, où se trouvait le grand ensemble devienne, plus qu’un

autre, le centre-ville.

C’est très particulier une ville qui se développe sans centre. Cela peut générer un

repli des habitants au sein de leurs logements ou de leurs unités de voisinage.

A Fosses, cela a généré, à l’inverse, une solidarité incroyable. Ici, tout le monde

semble se connaître et s’entraider. Durant la canicule de l’été 2003, tous les

habitants se sont organisés pour porter secours aux personnes les plus âgées ou

les plus immobiles. Et Fosses n’a pas connu le nombre de décès des autres villes

françaises. D’où provient cette fraternité ? Peut-être du fait qu’aucun habitant

n’est ici plus légitime qu’un autre. Pas d’habitant du cœur qui dédaignerait celui

de la périphérie : la ville n’a pas de centre ! Pas d’habitant plus ancien pour rejeter

le dernier arrivé : l’urbanisation y est à la fois trop improvisée et trop récente !

Toutes les étapes du projet que nous avons élaboré depuis dix ans se sont faites

avec les habitants. Chaque option a été discutée le soir, dans des ateliers urbains,

des réunions au centre social, au collège ou à la mairie. Mais aussi les samedis

matin devant le centre commercial. Les habitants ont toujours répondu présents.

La principale difficulté était d’installer une nouvelle identité urbaine sans détruire

ce qui fait, paradoxalement, la force et la spécificité de Fosses : celles d’une ville

à peu près égalitaire. Nous nous sommes dit qu’il fallait intervenir sur les vides,

les organiser sans forcément les délimiter par du plein. Parmi ces vides, il y aurait

une place. Mais une place traversée par les voies de circulation qui soit davantage

une juxtaposition de parvis qu’une place principale. Il ne s’agissait pas d’établir de

hiérarchie. Nous avons juste densifié un peu.

Ces parvis s’installent dans la continuité de l’actuelle placette du marché qui forme

une première équerre. Trois autres équerres viennent compléter ce dispositif.

Pourquoi d’autres équerres ? Par respect du déjà-là mais aussi pour faire que ce

nouveau morceau de ville fasse le lien entre ceux qui l’ont précédé. Prolonger

l’existant et non s’y substituer. Dialoguer et non ajouter un monologue de plus.

Jusqu’à présent, aucune génération n’avait cherché à poursuivre l’œuvre de la

génération précédente.

D’autres outils sont venus a posteriori. Il s’agit du poché. Si on regarde le plan de

Rome fait par Nolli au XVIIIème siècle, on voit que l’espace public, les places, ce

sont des blancs dans le « poché » noir du bâti. A Fosses, dans cette ville périurbaine,

quand on noircit sur un plan le bâti, il reste une gigantesque proportion de blanc.

Comment dès lors faire exister une place, par essence vide, au milieu du vide ? Si

on regarde d’un peu plus près ce même plan de Nolli, on voit qu’il a laissé en blanc tous les espaces accessibles au public, comme l’intérieur des églises ou de certains

palais. Ce n’est pas simplement le blanc dans le plein du bâti, c’est aussi le bâti

accessible au public. Et cela dit beaucoup de choses de la ville. Si on applique ce

principe au plan de Fosses on voit que finalement, la disparité, la difficulté de

cette ville, relève des registres d’accessibilité. Ce que le seul poché des bâtis ne dit

pas forcément. Nous avons proposé de remédier à cette difficulté en créant des

connexions avec les circulations existantes. Cela a permis de développer un vrai

réseau piéton, de renforcer cette identité piétonne très forte de la ville, issue des

conceptions urbaines des années 60-70 et qui fonctionnent aujourd’hui très bien.

Le premier bâtiment construit relève du symbolique. Il s’agit du pôle civique,

qui comprend la mairie et quelques équipements. C’est un très beau bâtiment

construit par Pierre-Louis Faloci. Il forme la deuxième équerre de la place. Ce

faisant, il introduit un phénomène inattendu, une relation très surprenante avec

les constructions existantes. Cette confrontation est très stimulante. Le vide entre

ces constructions de plusieurs âges, de plusieurs styles, apparaît d’ores et déjà

comme un lieu à investir et non plus un interstice sans valeur. Il devient porteur

de nouveaux imaginaires et, pourquoi pas, de nouvelles initiatives.

Une question reste. Dans un reportage réalisé sur la ville de Fosses par le collectif

Fusion, un jeune homme part de son regret de voir 3 des 6 tours démolis dans le

cadre de ce projet. Ces démolitions, c’était une demande de l’ANRU. « De quoi vat-on avoir l’air avec tous ces immeubles plus bas, à la même hauteur ? » s’interroget-il. On comprend vite que sa référence de ville se situe du côté des autres grands

ensembles – Sarcelles ou Garges-Lès-Gonesse – situés à proximité et que ces grands

ensembles, également sans hiérarchie, incarnent pour lui la vie métropolitaine.

Comment dès lors préserver ce qui, du grand ensemble, participe de cette identité

? C’est une vraie question pour l’avenir du renouvellement urbain. Il est clair, qu’à

Fosses, on aurait pu faire sans démolir ces trois tours…Besançon : “ un urbanisme de la vie privée”

Ce projet porte sur un grand ensemble de la banlieue de Besançon. Nous avons

fait un projet urbain qui prévoyait la réhabilitation de certaines barres et la

démolition-reconstruction de certaines autres. Nous avons ensuite réalisé, comme

architecte, une soixantaine de logements.

À Besançon, l’origine de la ville se trouve dans la boucle du Doubs. C’est une

ville magnifique, entourée par les fortifications de Vauban. Mais dès qu’on est à

l’extérieur, tout est déconnecté, avec un relief extrêmement complexe. Les zones

pavillonnaires et d’activités sont entièrement privatisés et greffé sur des voies de

desserte. Les seuls espaces qui restent complètement ouverts sont ceux des grands

ensembles. Il s’ensuit une situation très contrastée entre des secteurs qui n’offrent

aucun espace de rencontre en dehors des enclos et des secteurs très ouverts, mais

qui n’autorisent aucune liberté d’action en dehors du logement.

Il y a un très beau texte d’Émile Aillaud qui s’appelle « Un urbanisme de la vie

privée » et qui explique que ce qu’il manque aux grands ensembles ce ne sont

pas tant des espaces collectifs que des espaces où on peut être seul, où on peut

se mouvoir librement en dehors des logements. Des lieux où les enfants peuvent

construire leurs personnalités, à l’écart des groupes et de leurs familles. J’ajouterai

aujourd’hui : et où les adultes peuvent initier de nouvelles activités.

Aujourd’hui encore, on insiste beaucoup sur l’intimité du logement et les relations

de voisinage mais très peu sur cette dimension de solitude et de capacitation.

Dans ce quartier de La Bouloie, nous avons superposé à la trame ouverte du

grand ensemble une nouvelle trame plus privée. De cette superposition émerge

une diversité de lieux et de situations qui, nous l’espérons, favorisent la solitude

et l’autonomie. Cette diversité provient notamment de la manière dont nous

avons travaillé le terrain et implanté les constructions dans la pente. Les barres

n’entretenaient aucun rapport avec le sol.

Cette opération a été réalisée avec un budget extrêmement réduit. Une contrainte

intéressante qui nous a permis de

placer l’architecture ailleurs que

dans l’effet plastique et de montrer

combien les grands ensembles ne

souffrent pas tant de la monotonie de

leurs façades que de leurs difficultés

à établir une relation féconde avec

leur sol. Repenser ce rapport permet

d’offrir aux habitants la capacité de

réinventer un quotidien en dehors

de leurs logements. Châlons-en-Champagne : un grand ensemble face à

la campagne

À Châlons-en-Champagne, nous avons réalisé un projet urbain qui portait sur le

devenir du quartier Vallée-Saint-Pierre, situé en entrée de ville.

Ce qui nous a frappés, c’est le rapport qu’entretenait ce quartier avec la campagne

environnante. Campagne dont elle n’était séparée que par une voie rapide.

C’est une question vraiment intéressante que ce rapport d’échelle entre le

grand ensemble et la grande étendue de la campagne. Dans l’histoire des grands

ensembles, il y a deux grands modèles. Le modèle de l’unité de voisinage et un

autre modèle qui consiste à mettre directement en relation l’intimité du logement

avec le territoire, sans échelle intermédiaire.

C’est ce rapport là que nous avons tenté de mettre en valeur. Il se trouve qu’il y a

toute une tradition française du rapport entre l’intimité et la campagne. Il s’agit

de la tradition des Jardins à la Française. La plupart de ces jardins mettent en scène

l’horizon avec un premier plan composé, une géométrie affirmée et entièrement

maîtrisée. Ce dispositif permet, en quelque sorte, de faire entrer la campagne à

l’intérieur d’espaces plus intimes. C’est de là que nous sommes partis pour élaborer

ce projet. Nous avons établi une trame qui établit un lien avec le paysage qui se

déploie au-delà de la voie rapide.

Ce projet a été réalisé il y a quelques années mais j’y retrouve des choses qu’on

essaie de faire maintenant, de manière beaucoup plus consciente et précise,

notamment à Toulouse : l’installation d’une trame géométrique à l’intérieur de

laquelle plusieurs programmes peuvent venir s’installer. Une trame sans axe ni

hiérarchie car la ville aujourd’hui n’est plus le fait du prince. Strasbourg : accompagner le temps de l’entre deux

Nous avons réalisé une étude sur le quartier du Port du Rhin à Strasbourg. Cette

étude s’inscrivait dans le cadre d’un programme du PUCA intitulé « Qualité et sûreté

des espaces urbains ». Il s’agissait d’apporter les modifications ou les compléments

nécessaires à l’acceptation sociale d’un projet conçu par la paysagiste Marion

Talagrand, dans le cadre d’un schéma directeur élaboré par l’équipe Reichen et

Robert. Nous avons travaillé ici avec l’équipe REP (« Réussir l’espace public »), en

particulier avec Anne Wyvekens.

Le site en question accueillait, jusqu’à Schengen, le poste-frontière. Il est

aujourd’hui déserté. On y trouve aujourd’hui un ensemble de 520 logements,

une école, deux églises – une catholique, une protestante – ainsi qu’un parc

métropolitain, le parc des Deux Rives.

Le projet de développement de la ville de Strasbourg sur ces rives du Rhin

s’accompagne d’une nouvelle ligne de tramway qui va jusqu’à Kehl, en Allemagne.

C’est un projet très ambitieux, très emblématique. Il prévoit la construction de

1 500 logements, ainsi que de nombreux commerces, bureaux et équipements.

Jusqu’à présent, ce quartier était plus proche du centre de Kehl que du centre de

Strasbourg. La plupart des gens faisaient leurs courses dans la ville allemande, de

l’autre côté du Rhin, sur un axe de déplacement est-ouest. Avec l’installation d’une

esplanade nord-sud, parallèle au fleuve, autour de laquelle se déploient les îlots de

construction, c’est une nouvelle organisation qui s’installe.

De nombreux habitants ont exprimé le sentiment d’être exclus du projet.

Nous avons donc réfléchi aux moyens d’accompagner la transformation radicale du

site pour faciliter cette mutation, prévue sur quinze ans. Nos moyens restaient toutefois limités pour atteindre cet objectif. Le phasage du projet était déjà établi.

Un phasage tenait ainsi compte du calendrier prévisionnel des opérations à venir

sur les parcelles bordant l’esplanade ainsi que de l’arrivée du tramway.

Nous avons donc fait le choix de ne pas interférer dans un processus de projet déjà

largement engagé. Notre étude n’allait pas porter sur des « mesures correctives

» mais sur des compléments d’aménagements et des installations portant sur les

parties du site en attente de transformation.

Ces installations provisoires permettent d’accompagner « en douceur » les

transformations d’usage du site. L’objectif est d’intégrer les pratiques des habitants

dans ce passage progressif d’une organisation est-ouest à une organisation nordsud. Ils concernent tout à la fois des aménagements temporaires d’allées ou de

parvis, l’installation de jardins familiaux et partagés, de la mise en œuvre d’objets

évènementiels permettant de voir le site depuis un point haut et de la mise en

place de dispositifs d’information sur le projet. Ces aménagements et installations

provisoires seront remplacés, au fur et à mesure, par des aménagements plus

permanents. Une telle démarche permet d’explorer quelques leviers d’action du

côté de la transformation. En effet, le passage entre l’état existant et l’état projeté

est rarement pensé en tant que tel dans l’urbanisme courant. On privilégie les

images avant-après, sans s’inquiéter de ce qui se passe entre les deux. Ce que l’on

appelle le phasage est généralement déterminé par un ensemble de contraintes

techniques, économiques, voire politiques. Les potentiels de certains lieux,

les pratiques, parfois ténues, des habitants, échappent le plus souvent à cette

planification. Or le fait de tirer parti des situations existantes et des situations

intermédiaires qui peuvent surgir à certaines étapes de la transformation, permet

d’ouvrir le champ des possibles.

En abordant le phasage sous un angle qui ne serait plus exclusivement technique,

mais tout à la fois social, culturel et artistique, on s’offre la possibilité de générer

de nouvelles proximités, de nouveaux échanges. C’est une condition indispensable

pour permettre aux habitants de faire face aux transformations de leurs quartiers.

Mais aussi de la planète. Car les mutations en cours sont imprévisibles. Il est

nécessaire aujourd’hui d’être très attentifs aux initiatives micro-économiques

et aux évolutions imperceptibles qui font, par exemple, que l’habitat se mêle au

travail ou que les frontières s’effacent entre approvisionnement, production et

distribution.

Repères biographiques

• 1990 : Obtention de son diplôme d’architecte DPLG à l’Ecole Nationale

Supérieure d’Architecture de Nancy.

• 1996-2004 : Chercheur au Laboratoire d’histoire de l’architecture

contemporaine (LHAC) à l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de

Nancy.

• 2002 : Ouverture de son agence « atelier Landauer architecture +

urbanisme » dans le 14ème arrondissement de Paris.

• 2004 : Obtention de son doctorat en histoire de l’architecture à l’Université

de Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

• Depuis 2007 : Enseignant titulaire à l’Ecole d’architecture, de la ville et des

territoires à Marne-la-Vallée et chercheur à l’Observatoire de la condition

suburbaine.

• 2009 : Parution de son ouvrage « L’architecte, la ville et la sécurité » aux

éditions PUF.

• 2010 : Parution de son ouvrage « L’invention du grand ensemble » aux

éditions Picard.

• 2011 : Parution de son ouvrage, coécrit avec Dominique Lefrançois, « Emile

Aillaud, carnet d’architectes » aux éditions du Patrimoine.

• Depuis 2013 : Dirige l’Observatoire de la condition suburbaine à l’Ecole

d’architecture, de la ville et des territoires à Marne-la-Vallée.

Les grands ensembles sont des terres d’avenir ! Sans interrogation mais avec

affirmation, Paul Landauer souhaite nous montrer, à partir de son expérience,

comment les grands ensembles ont pris, depuis leur construction, toute leur place

dans la fabrique de la ville et comment ils peuvent devenir les pionniers d’une

nouvelle façon de transformer la ville.

Pour cet architecte, docteur en histoire de l’architecture, pas de rupture entre

la recherche, l’enseignement et la conception de projets urbains. De Toulouse à

Strasbourg, en passant par Fosses, Besançon, Brest, Nemours, Mourenx ou Chalonsen Champagne, il lie tous ces registres.

Au commencement de toute pratique, un regard sur les territoires mais aussi sur

les hommes et les femmes qui l’habitent... Ce regard, Paul Landauer va l’exercer sur

de nombreux territoires, comme historien, comme architecte-urbaniste, mais aussi

comme animateur d’ateliers urbains, un exercice qu’il affectionne particulièrement.

C’est cette qualité dans les expertises croisées et multiples qui le conduit à être

reconnu comme un des spécialistes des grands ensembles. C’est porté par sa

conviction que le savoir doit se transmettre, qu’il va être l’auteur de plusieurs livres

et expositions dans le domaine de l’histoire de l’habitat et de la perception des

territoires de la banlieue par les photographes.

Il s’engage également contre la place grandissante qu’a prise la sécurité dans les

projets urbains. Il s’attache, dans plusieurs ouvrages, à dénoncer les incidences des

dispositifs de contrôle, de surveillance et d’évitement dans la conception de la ville

et à revendiquer le maintien d’un espace public favorisant la rencontre et l’initiative.

Il réalise notamment une place publique – avec des bancs ! – dans le quartier réputé

insécure de Lambezellec à Brest et démontre ainsi comment l’aménagement de lieux

ouverts, sans a priori sur ce qu’ils vont accueillir, peut constituer une alternative

aux grilles et aux contrôles d’accès pour rassurer les habitants. En 2008, le Forum

français de la sécurité urbaine et l’Acsé lui décernent un prix pour cette réalisation.

Paul Landauer, c’est une manière unique de regarder la diversité des territoires,

dans leur globalité, dans leurs résonnances les uns avec les autres, mais surtout

de les interpréter avec humanisme, replaçant la question de la valorisation et de

la transformation des situations existantes comme fonction essentielle du projet.

Ni critique ni nostalgique en retraçant l’histoire des grands ensembles. Mais une

mise en perspective de tous les potentiels humains et urbains qui les composent.

Ce qu’il nous propose, c’est une autre manière de concevoir la place de l’habitant

dans la ville, pour que celui-ci soit toujours en capacité d’interaction et d’autodétermination pour faire face aux enjeux de notre époque. Urbanisme - l'Apres 1945 @ 2 millions de logements a créer en urgençe..45 pour cent du parc locatif bombardé.. « Ginny » vu par l’urbaniste Nicolas Monnot @ les grands-ensembles www.arte.tv/fr/videos/082309-000-A/ginny-vu-par-l-urbanis...

sig.ville.gouv.fr/atlas/ZUS/ La matrice des G.E. s'est développée au lendemain de la guerre, lors de la reconstruction, mais ses origines de 1930, en France (Cité de la Muette à Drancy, quartier des Gratte-ciel à Villeurbanne).Gilles Ragot, historien de l'art, maître de recherche içi www.youtube.com/watch?v=dEBfg4vXNOM …Dès la fin de la seconde guerre mondiale, Eugène Claudius-Petit, éminent ministre de la reconstruction (1948-1952) déclare qu'il faut avoir une politique de "construction et non seulement de reconstruction". Nourri des thèses du Mouvement Moderne (la Charte d'Athènes est publiée en 1943), Claudius-Petit plaide pour une politique ambitieuse de logement social qu'il ne peut dissocier d'une réforme complète de la ville traditionnelle. www.citedelarchitecture.fr/fr/video/de-la-reconstruction-... Les 30 Glorieuses . com et la carte postale.l'UNION SOCIALE POUR L HABITAT fete ses 90 ans "TOUT savoir tout voir, tout connaitre, sur le LOGEMENT SOCIAL des HLM aux HBM avec le Musée HLM" en ligne sur le WEB içi www.banquedesterritoires.fr/lunion-sociale-pour-lhabitat-... … De grandes barres d’immeubles, appelées les grands ensembles, sont le symbole de nos banlieues. Entrée Libre revient sur le phénomène de destruction de ces bâtiments qui reflètent aujourd’hui la misere www.youtube.com/watch?v=mCqHBP5SBiM

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Uploaded on May 31, 2019
Taken on May 27, 2019