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42 FIRMINY, GROUPE FIRMINY VERT

mémoire2cité - Les habitats de la grande période industrielle (19ème et première moitié du 20ème siècle ). En cette période, l'essentiel des aménagements urbains reste subordonné aux intérêts de la grande industrie : on ne peut guère parler d'urbanisme au sens actuel du terme.

Ce chapitre s'intéressera aux modalités de production de l'habitat autour des installations industrielles.

Le suivant évoquera les aménagements nécessaires du milieu urbain ainsi créé, et donc la formation de ce que nous appelons aujourd'hui le cadre de vie.

1. L’habitat ouvrier.

Les constructions qui ont accompagné pendant plus d’un siècle la croissance démographique peuvent se ramener à quelques grands types, toujours réalisés selon le principe libéral de l’initiative privée (l’époque ignorait les règlementation et les normes, et la loi de 1850 sur l’insalubrité restait bien timide). De bien pauvres maisons...

A l’exception de quelques rares maisons héritées du passé rural, une part de l’habitat, sans doute la plus médiocre, se réalisa par autoconstruction, parfois avec l’entr’aide du voisinage. Sur des parcelles minuscules, dans des hameaux à l'écart des bourgs ou dans des ruelles en marge des artères les plus fréquentées, le modèle était celui des plus pauvres maisons rurales. Le grès houiller, médiocre pierre de taille, vieillissant mal et fixant la suie, leur donnait rapidement une apparence lépreuse. Elles pouvaient avoir deux niveaux, l'un et l'autre bas de plafond : au rez de chaussée, une porte d'entrée et une petite fenêtre éclairaient une cuisine-séjour ; par un escalier sombre, voire par une trappe et une échelle de meunier, parfois par un escalier extérieur, on accédait à la chambre, ou à un grenier qui en tenait lieu.

Voici par exemple à Unieux une maison dont il ne reste plus beaucoup d'exemplaires après les diverses actions d'urbanisme des dernières décennies du 20ème siècle. Cuisine-séjour bas de plafond au rez de chaussée, chambre à l'étage, accessible par un escalier extérieur ou, à l'intérieur en accédant à une trappe par une échelle de meunier. Le couple de personnes âgées qui l'occupe veille à donner de son logis une image digne. Dans sa description de 1856, Th. Ogier voit surtout des maisons disgracieuses et enfumées, et stigmatise "le peu de goût" que les habitants de la vallée ont pour leur intérieur. Emile Zola, venu en 1900 enquêter dans la vallée pour son roman "Travail", note : "Au hasard des terrains, les petites maisons borgnes avaient poussé, plâtras humides, nids à vermine et à épidémies"....Le personnage principal du roman entre dans une maison dont " l’escalier, d’une raideur d’échelle partait du seuil même de la porte, sans vestibule. Les paliers ne sont pas larges. Si l’on tombait, prévient l’habitant, on ferait une rude culbute ! "

L’éradication de l’habitat insalubre, dans les opérations d’urbanisme dont il sera question plus loin, a pratiquement fait disparaître cette catégorie d’habitat à partir des années cinquante. Nous en connaissons pourtant qui ont échappé aux démolitions et sont encore habités de nos jours, par exemple autour du bourg d'Unieux. Des "bicoques" plus dignes ? Il y avait sans doute des habitats moins sordides au temps de la "Belle époque", si l'on se réfère au témoignage de l'instituteur Gazot dans sa minutieuse monographie sur Fraisses en 1907, document manuscrit conservé par la Société d’Histoire de Firminy.

On y apprend que grâce aux économies que leur permettent leurs bons salaires, des ouvriers qualifiés de chez Holtzer peuvent construire, seuls ou à plusieurs, une maison avec pour indispensable complément un jardin potager amoureusement soigné. Beaucoup veulent être propriétaires de leur "bicoque", dont "toutes sont, dit-il, construites sur le même modèle" : c’est alors "un logement indépendant à deux pièces, la cuisine et la chambre. Le mobilier est modeste. La propreté est méticuleuse, les cuivres et ferrures astiqués, le sol lavé. L’ouvrier rentrant chez lui laisse à la porte ses sabots." Ainsi se forme spontanément une sorte de ville-jardin ouvrière. Chez les artisans, l’atelier faisait souvent partie du logis. On peut encore voir dans la vallée du Cotatay l’exemple d’un logis situé au-dessus de l’ancienne forge (forge Begon), ce qui atténuait pour ses occupants les froidures de l’hiver mais les enfumait au moment de l’allumage des feux. Des immeubles "de rapport" en ville. A l'initiative de propriétaires fonciers ou de commerçants, se bâtirent des immeubles de rapport, où le profit comptait plus que le confort ouvrier. Un modèle, encore présent çà et là, était le bâtiment de trois ou quatre niveaux, construit au coût minimum, avec aux étages une galerie en plein air sur laquelle s'ouvraient les appartements, par une unique porte donnant accès aux deux pièces, dont celle du fond, qui servait de chambre, n'était quelquefois qu'une alcôve. Pour la nuit, on installait s’il le fallait des lits dans la cuisine.

Un type d'habitat ouvrier provisoire qui a disparu : baraquements de la rue Dorian installés par les aciéries de Firminy (baraquements Verdier) pendant la première guerre pour l'hébergement de la main d'oeuvre temporaire et célibataire, en grande partie étrangère (il y a eu par exemple des Kabyles, des Chinois, etc), recrutée pour la production d'armements.. Certains de ces baraquements ont perduré au-dela de la deuxième guerre...

2 - Des initiatives d'entreprises pour loger leurs travailleurs.

La plus ancienne de ces initiatives en Ondaine, et l'une des plus anciennes en France : la "caserne"ouvrière des Holtzer à Unieux (au Vigneron) : 1861. Bien bâtie, plusieurs fois rénovée. 32 logements au départ, 24 aujourd'hui. Fresque récente symbolisant les divers métiers de la sidérurgie.

La même, façade ouest.

D'autres "casernes du même quartier, de moindre qualité, ont été démolies dans des opérations de rénovation urbaine

Les Holtzer ont acquis quelque réputation dès 1854 pour les constructions qu'ils réalisèrent aux portes de l’usine afin de loger leurs ouvriers venus d’Alsace. Telles furent les "casernes" construites à Unieux dans le quartier du Vigneron. Celle de 1861, bien conservée, a été réhabilitée en 1973 et en 1999. Elle fait désormais partie du patrimoine architectural de la région.C’est à Roche la Molière qu’en raison de l’isolement géographique la compagnie minière dut initier une politique de construction de logements ouvriers, avec dès 1873 les dix-huit maisons de la cité du Buisson, en 1898 la cité du Pontin, et en 1902-1907 celle de Beaulieu.

Paternalisme à double visage, avec une incontestable amélioration de l’habitat, mais un meilleur contrôle social en un temps où l’on voyait là un moyen de fixer les familles et de contrer les grèves.Dans les villes de l’Ondaine, les initiatives patronales de ce type ne se multiplièrent qu’après la première guerre mondiale. Le tableau joint en annexe récapitule les réalisations des compagnies minières pour la période 1920-58, dictées par l’intensification de l’exploitation charbonnière et le besoin de s’attacher la main-d’oeuvre (les aciéries cherchaient souvent à débaucher les mineurs professionnels ; pour les retenir, les compagnies minières les logeaient). Il s'agit tantôt de pavillons pour une ou plusieurs familles, tantôt de petits immeubles collectifs ; un jardin familial, dispensateur de sains loisirs et de légumes, prolonge le logis. Le plus vaste ensemble fut, au Chambon-Feugerolles, la Cité Trémollin (1920), qui était clôturée et comportait cinq types de maisons familiales. La plupart des autres sont de petites cités, éparpillées près des multiples lieux de production, aucune n'ayant l'ampleur ni la qualité urbaine de réalisations exemplaires comme celle de Dollfuss, à Mulhouse (1853-1867), ou de Meynier, le chocolatier de Noisiel en banlieue parisienne (1872), encore moins du magistral et utopique phalanstère de Guise (1859-1870). Par leur position géographique, il en est qui traduisent la volonté d'isoler leurs habitants, comme pour leur signifier que leur existence ne peut se dérouler qu’entre le travail à la mine, la famille, le jardin et le voisinage ; le cas des Combes (1922 puis 1939-40) est sans doute à cet égard le plus significatif, mais il concernait à l’origine des mineurs polonais, immigrés en principe temporaires dont le gouvernement de Varsovie ne souhaitait pas trop qu’ils devinssent Français.

 

Des maisons aussi pour les cadres de l'industrie.

 

Notons aussi l'aide accordée à des contremaîtres par certains patrons, en particulier les Holtzer, pour bâtir de solides maisons en pierre, avec chaînages d’angles et encadrements de fenêtres en pierre taillée ou en briques, comme on peut en observer à Unieux et à Fraisses.Dans cette dernière commune, les immeubles de la Cité Holtzer réalisée entre les deux guerres rappellent l’architecture des cités minières des potasses d’Alsace. A côté, proches du château Dorian, les villas destinées aux cadres inscrivent dans le paysage l’ancienne hiérarchie interne de l’usine (l’une de ces villas, datée de 1897, abrite depuis 1955 la Mairie de Fraisses).A Unieux, le long de l’Ondaine, la rue Elysée Reclus aligne, tour à tour, un intéressant petit coron et des maisons d’ingénieurs, réalisés avant la fin du siècle dernier pour les métallurgistes de Firminy. En face de l’ancienne usine Claudinon, au Chambon-Feugerolles, s’alignent encore les blocs d’habitation de ses ouvriers. Ainsi, plusieurs de ces réalisations patronales restent conservées, dans la mesure où elles sont habitables dans des conditions acceptables.

Une dernière phase de réalisations patronales au lendemain de la deuxième guerre.

De la profonde crise du logement des années d’après-guerre, datent les dernières initiatives patronales en matière d’habitat ouvrier, avant que le relais ne soit laissé à l’initiative publique. Le tableau en annexe rappelle les localisations des quelques 290 unités construites pour les charbonnages après leur nationalisation.

De leur côté, pour retenir et attirer la main-d’oeuvre, les Aciéries de Firminy se virent dans la nécessité de réaliser une soixantaine de logements à la cité de La Fontaine entre 1946 et 1949, avant de s’associer avec l’entreprise Holtzer pour fonder la "Familiale métallurgique", société d’H.L.M. qui livra encore, avant 1952, 182 appartements, essentiellement à Fraisses et à Unieux (aux lieux-dits l’Echo, La Périvaure, La Fontaine) et 122 autres après 1954 (à La France et aux Planches). Tout cela était pourtant loin de répondre aux immenses besoins de l’époque.

Un autre cas, comme celui de la cité du Bec située sous les cheminées de la centrale thermique, plaçait les résidents dans d’incroyables conditions d’hygiène et d’environnement.

3. De "beaux quartiers" discrets et limités

Parmi les maisons de rapport, certaines étaient destinées à des locataires ayant des revenus substantiels. En centre-ville, quelquefois distingués par leurs balcons, parfois par une porte cochère, certaines destinaient aux commerçants, aux ingénieurs ou aux professions libérales des appartements plus "bourgeois". D’apparence bourgeoise aussi, mais rare en Ondaine, le modèle des quartiers de villas antérieures à la vague pavillonnaire des dernières décennies. Bien nommée, une "rue des villas" en est un exemple sur la colline à laquelle s’adosse l’hôpital de Firminy, au sud du centre de Firminy. Mais le nom de "Louis Loucheur" donné au discret boulevard du quartier rappelle le caractère social de certaines de ces constructions individuelles (la loi Loucheur de 1928 favorisa l’accession à la propriété individuelle, avec des conditions d’aide particulières aux familles). Là comme à la Tardive, à Firminy, s’observent aussi quelques belles villas d’ingénieurs. D’autres villas de l’époque industrielle s’observent encore çà et là, par exemple en marge de Fraisses ou d’Unieux.

4 - Les maisons de maîtres.

Plus voyants par leur architecture et la verdure de leurs parcs, les "châteaux" font partie du paysage industriel dont ils constituaient, en somme, les seuls espaces de qualité. Car un patron, un directeur d’usine, ne pouvaient se permettre de résider loin de l’établissement dont ils avaient la responsabilité.

Ainsi subistent dans la vallée quelques-unes des maisons de maîtres plus ou moins prestigieuses, qui ont été construites dans les dernières décennies du XIXème siècle par les Claudinon au Chambon-Feugerolles, les Holtzer à Unieux, les Dorian à Fraisses, les "châteaux" destinés aux directeurs de l’aciérie, dans la rue des Cordes à Firminy. Ces demeures s’ajoutent à la petite série des anciennes gentilhommières telles que celles de Paulat (où vient d'être créé en été 2009, après complète rénovation, un pôle culturel dédié aux associations d'enseignement musical) ou des Bruneaux (écomusée géré par la Société d'Histoire).

A Fraisses : le château de Pierre Frédéric Dorian, métallurgiste lié à la famille Holtzer et député républicain.

Construit de 1867 à 1868 par Auguste Leroux.

Réhabilité et loti en appartements de standing après 1995.

Gambetta, Victor Hugo, amis de Dorian, y ont été reçus. Emile Zola y a séjourné en 1900 pour son enquête préparatoire au roman "Travail".

cf. l'article de ce blog : "Emile Zola à Unieux (février 1900) et la presse locale" Lorsqu’ils ont été préservés, les parcs de ces anciennes demeures patronales, aujourd'hui ouverts au public, introduisent de plaisants espaces de verdure dans le tissu urbain (à Firminy : Paulat, Les Bruneaux ; à Fraisses, le parc Marcel Constant, dont l'ancien "château" a été démoli pour vétusté). C’est à d’autres usages que sont voués des sites architecturaux comme le château Dorian (Fraisses), dégradé par des années d’abandon et de vandalisme après la faillite de Creusot-Loire, privé d’une partie de son parc par l’aménagement de terrains de sport, mais sauvé par une réhabilitation résidentielle en 1998, et appartenant désormais à une copropriété. La maison Claudinon, au Chambon-Feugerolles, a accueilli un lycée professionnel et offert à ses élèves orientés vers les métiers de l’habillement, un avant-goût des intérieurs parisiens. On peut encore mentionner à Firminy, au milieu d'un parc encore clos et peu ouvert au public, le château de la Marronnière construit en 1913 par le banquier Vincent.

A Unieux, le château Holtzer héberge un couvent et un établissement d’enseignement acquis vers 1980 par les adeptes de Monseigneur Lefevre. Un restaurant de qualité valorise le château de Cordes et son parc boisé. Mais la maison des Crozet-Fourneyron, au Chambon, a été sacrifiée pour l’aménagement d’une zone d’activités sur l’ancien site de l’établissement industriel (voir l'article de ce blog sur "Le Chambon-Feugerolles : la halle Crozet-Fourneyron"). A l'écart du tissu urbain, un lotissement s'est récemment emparé du parc de la villa Claudinon, à Ber

Annexe : Cités minières construites entre 1920 et 1958

- au Chambon-Feugerolles

TREMOLLIN : 1920, 150 logements

LES COMBES : 1922, 54 logements

LES TROIS PONTS : 1923-28, 76 logements

PONTCHARRA : 1928-29, 48 logements

MAISON OUVRIERE FLOTARD (rue de l'Europe), 16 log.

MALVAL, 1941, 30 logements (pour réfugiés à cause de la guerre)

MONTRAMBERT, 1947-48 (après nationalisation des houillères), 26 logements

L'EPINE (idem), 1947-48, 51 logements.

CROZET (idem), 1948-50, 36 logements

LA PAUZIERE (idem), 1954-58, 50 logements

- à La Ricamarie

LA JOMAYERE (en partie sur St Etienne), 1923, 18 log

LA BERAUDIERE (idem), 1924-25, 25 log.

BEL-AIR, 1925-26, 9 log.

BAYON,1939-40, 34 log

LES COMBES, 1939-40, 12 logements complétant la cité des Combes du Chambon-Feugerolles

LE MAS, 1949-50, 136 log

DE MARSEILLE, 1941, 20 log

DELAYNAUD, 1955-56, 68 log.

LES MAURES, rue Sadi Carnot, 1958, 13 log.

- à Firminy (après nationalisation) Les RAZES, 1947, 30 logements C'est un trait commun aux villes nées de la révolution industrielle du 19ème siècle, et dépourvues de prestiges ou de vestiges monumentaux d'une histoire antérieure : la désindustrialisation, les transformations sociales et urbaines qui accompagnent les adaptations au monde du 21ème siècle, les exposent au risque d'oublier leur histoire urbaine du dernier siècle. C'est particulièrement le cas des villes du val d'Ondaine.

Leur population vieillit (en 1990, 22 % des habitants recensés, et au moins 25 % en 1999, avaient plus de 60 ans), tandis que beaucoup de jeunes s’en vont, particulièrement les "cerveaux" allant chercher ailleurs des emplois plus qualifiants ; beaucoup de ceux qui restent n'ont guère idée d'une histoire industrielle minière et métallurgique dont la fin mal vécue ne saurait susciter des récits enthousiasmants. De plus, une proportion croissante de résidents venus d'ailleurs n'ont pas sur place leurs racines culturelles.

Tout cela pourrait concourir à approfondir un fossé d’oubli entre l’Ondaine d’hier et celle de demain.

D'autant que les transformations des dernières décennies ont effacé des paysages urbains maints héritages des premières industrialisations : si l’on considère que la mémoire attachée aux lieux est l’essence de leur identité, celle-ci ne peut que s’évanouir avec la disparition de ses supports matériels et symboliques, mines foudroyées, usines démolies, quartiers entiers livrés aux bulldozers, tandis que se formaient de nouveaux espaces urbains trop conformes à des standards modernes pour avoir la moindre résonance avec le passé. Méconnaissant leur propre histoire, les villes de la vallée de l’Ondaine n’évolueraient alors que comme d’impersonnelles banlieues.

Certes, il existe dans les bibliothèques une mémoire écrite, des récits d’une histoire industrielle et sociale mouvementée, dont plusieurs associations (sociétés d'histoire du Chambon-Feugerolles et de Firminy) et l’écomusée des Bruneaux conservent de nombreux témoignages. D’anciennes images, de nombreuses cartes postales, sont périodiquement exposées ou publiées.

Mais l’identité passe aussi par la reconnaissance d’un patrimoine plus concret, non seulement monumental (l’Ondaine est bien pauvre en édifices symboliques de qualité), mais considéré comme "les traces de la mémoire dans leur acception la plus large, en reconnaissant l’existence d’un patrimoine second" par lequel un espace peut garder son sens. L'exemple d'une étude comme celle de J.P. Vallat sur les villes industrielles de la Seine-Saint-Denis nous incite à rechercher dans les paysages urbains de notre vallée des éléments symbolisant son histoire. Les traces du passé, parfois indirectes, sont en effet plus nombreuses qu’on ne l’imaginerait à priori. Encore faut-il les repérer, les interpréter.

A travers l’évolution des paysages, le propos de ces quelques chapitres sera de caractériser les apports de chaque période, d’amorcer un bilan des survivances et des disparitions. Il ne s’agit pas seulement de réveiller des souvenirs de retraités (près d’un cinquième de la population selon le recensement de 1999), mais aussi de rappeler à ceux qui s’intéressent à leur territoire les deux siècles de métamorphoses qui ont abouti au milieu urbain actuel. Puissions-nous aussi satisfaire la curiosité d’éventuels visiteurs qui voudraient consacrer quelques moments à des espaces dont il faut bien reconnaître qu’ils sont ignorés des circuits touristiques. Parmi ceux qui viennent découvrir à Firminy le plus important patrimoine Le Corbusier d’Europe, certains apprécieront peut-être d’être guidés vers une meilleure interprétation des paysages urbains dont la terrasse de l’Unité d’habitation leur offre une vision panoramique.

Enfin, au voisinage immédiat de Saint-Etienne, promue "Ville d’art et d’histoire" en mai 2000, est-il vain de susciter un nouveau regard sur des lieux qui ont pleinement partagé son passé industriel ?

EXEMPLE 1973 au Chambon-Feugerolles :

En 2009, il ne reste que le château d'eau, mais que signifie-t-il pour les générations d'aujourd'hui qui le voient intégrés à un équipement hôtelier situé au bord de l'autoroute ?

Rien d'autre ne reste de la cokerie de la Silardière, et il y a longtemps que les hautes cheminées chargées de disperser la suie des fumées de charbon ont disparu du paysage.... Une mémoire déjà compromise par un demi-siècle de métamorphoses urbaines

Au milieu du 20ème siècle, les villes de l’Ondaine étaient encore fortement marquées par les héritages de la première Révolution industrielle. Dans ce couloir évasé qui conduit de Saint-Etienne aux gorges de la Loire, faisant contraste avec les plateaux verdoyants qui l’encadrent, les mines de charbon, les usines hérissées de cheminées et leur cortège de pauvres habitats ouvriers avaient composé des espaces urbains, certes sans qualité, mais qui furent le cadre d’une vie sociale riche d’évènements, de luttes et de souvenirs.

Une nouvelle urbanité

Depuis les années cinquante, les édiles des cinq communes qui se partagent la vallée ont entrepris de renouveler l’habitat et d’élever le niveau d’urbanité de leurs villes : des objectifs rendus plus impérieux lorsqu’après le milieu des années soixante, confrontés à une sévère désindustrialisation, ils ont dû chercher à rendre leurs territoires plus attractifs pour l'accueil de nouvelles activités.

A l’évidence, rien ne subsiste de la suie, des fumées, des boues noires de charbon, du triste habitat ouvrier, qui en 1900 inspirèrent à Emile Zola les plus sinistres descriptions de son roman "Travail". Encore stigmatisée au lendemain de la seconde guerre mondiale, l’image d’une "rue sans joie" dans un "pays noir" appartient à un passé révolu, dont les traces ont été largement gommées par les opérations multiformes de l’urbanisme contemporain : rénovations de quartiers anciens, création de nouveaux quartiers résidentiels et de zones d’activité, multiplication des équipements publics, aménagements routiers, reconversions du tissu industriel.

Des témoins plus ou moins manifestes d'un passé antérieur ?

De l’urbanisation antérieure, tout n’a pas disparu pour autant Ainsi, comme dans toute ville, on peut reconnaître les tracés originels des voieries, qu’il s’agisse de celles des premiers bourgs, ou des nombreuses rues pérennisant d’anciens cheminements ruraux figés par des invasions résidentielles sans remembrement. Survivent aussi des quartiers d’habitats anciens que leur situation (en général, centres des villes ou certaines cités de mineurs et de métallurgistes) ou leur relative qualité architecturale ont préservés des démolitions. On se représente plus difficilement l’état initial de certains espaces entièrement remodelés : qui se souvient, par exemple, qu’à Firminy, si la courbure de la rue Laprat a été conservée lors de la rénovation du quartier Saint Pierre, c’était pour rappeler le tracé du rempart de maisons médiévales qui couronnait la colline ? Plus récente, la réaffectation d’anciens sites miniers ou industriels n’a peut-être pas encore effacé dans toutes les mémoires le souvenir de leur ancien usage, comme à La Ricamarie, où la grande surface commerciale du Casino s’est emparée d’un carreau de mine et d’un crassier ; mais dans la même commune, hormis un énorme crassier-témoin, il n’y a plus de vestige minier au voisinage du discret monument qui rappelle la sanglante fusillade de 1869 au Brûlé, et il ne reste pas trace des ateliers de la Compagnie des Mines, disparus pour faire place pendant les années soixante à l’ensemble immobilier du Montcel. A Firminy, il faut être très âgé pour se souvenir du site minier antérieur au square Vincent Brunon : seules quelques vieilles cartes postales difficiles à interpréter rappellent qu’à l’emplacement des grands arbres actuels, on extrayait le charbon en pleine ville. On imagine mal qu’à Fraisses et à Unieux, il y eut au 19ème siècle jusqu’à dix-huit sièges de prospection ou d’extraction houillères, et qu’en 1949, la commune faisait encore expertiser des dégâts occasionnés par les houillères à l’école de Montessut. Citons encore le cas de Firminy-centre édifié en 1956 sur le vaste terrain disponible de l’ancienne usine Limouzin désaffectée. La prochaine génération oubliera de même qu’une semblable substitution a été initiée au cours des années quatre-vingt dix pour moderniser avec élégance le coeur du Chambon-Feugerolles, dans l’espace Le Colombier.

Ce ne sont là que quelques exemples, car il faut penser que chaque quartier peut recéler des traces plus ou moins manifestes de son histoire urbaine.

Dans les parties suivantes, après un rappel de l'évolution démographique, nous proposerons une analyse plus systématique des principales phases et modalités de l'urbanisation. Combien d'habitants ont-ils eu pour cadre de vie les villes qui ont fait cortège aux mines, aux usines et aux ateliers ? Nous considérons ici les populations des communes du Chambon-Feugerolles, de Firminy, de La Ricamarie, de Fraisses et d'Unieux. Le contexte du nombre : flux et reflux démographiques dans les villes du val d'Ondaine. Avec constance, les mines et les usines ont attiré des ruraux des départements proches, principalement l’Ardèche et surtout la Haute-Loire, reliée par voie ferrée à partir de 1866 ; d'autres, moins nombreux, sont venus de plus loin, comme la poignée de métallurgistes anglais venus en 1815 initier avec Jackson, au Chambon-Feugerolles, de nouveaux procédés de fusion de l'acier, ou encore les Alsaciens installés au cours du 19ème siècle à Unieux, à l'appel des Holtzer, en raison de leur savoir-faire. Au 20ème siècle, c’est essentiellement de Pologne, d’Europe du sud, d’Afrique du nord, que des immigrants sont venus se fondre dans le creuset ouvrier de la vallée.

La croissance de la population, encore lente avant le milieu du XIXème siècle (de 11000 habitants en 1806 à 18600 en 1851), s’accéléra ensuite pour atteindre un total de 50800 en 1911, soit, pendant ces six décennies, une moyenne de 536 personnes supplémentaires chaque année.

L'augmentation fut ensuite moins rapide et irrégulière jusqu’en 1946, en cette période perturbée par les deux guerres mondiales et la crise économique des années trente, et bien que les besoins de l’armement aient réclamé un surcroît de main-d’oeuvre à l'approche de 1939. On a recensé 55700 habitants au lendemain de la Deuxième Guerre, ce qui représente une moyenne annuelle 140 habitants supplémentaires depuis 1911.

La croissance reprit avec vigueur après 1946, et même une accélération entre 1954 et 1962, jusqu’à un maximum de 71082 habitants au recensement de 1968, soit en moyenne près de 700 nouveaux habitants par an pour la période 1946-68. On peut voir là les effets cumulés du "baby-boom", d’une relative reprise économique (malgré les réductions d’effectifs dans les mines), et en fin de période, d’une offre accrue de logements grâce aux importants programmes réalisés dès le milieu des années cinquante pour remplacer les habitats insalubres et recevoir de nouveaux habitants..

 

Pour prévoir ce que serait la population vers la fin du siècle, les planificateurs, comme beaucoup d’autres en France, se basèrent alors sur le taux moyen d'accroissement annuel des vingt dernières années : 1,14 % (alors très semblable au taux national). Conséquence possible, comme on pouvait le lire dans le Livre blanc de l'agglomération stéphanoise ("SAINT-ETIENNE VERS L'AVENIR", EPURES 1971) : "plus de logements à construire d'ici à l'an 2000 qu'il n'en existe actuellement"...

Déjouant ces prévisions, la tendance démographique s’inversa, modérément d’abord (2123 habitants de moins entre 1968 et 1975, 300 par an), plus fortement ensuite (moins 13260 entre 1975 et 1999, 553 par an). Au recensement de 1999, on retrouva à peu près le chiffre global de 1946. Comme dans toute la région stéphanoise, cette érosion humaine accompagnait fermeture des mines et la cessation de nombreuses activités industrielles. Mais il faut aussi compter avec l’effet négatif de l’attrait résidentiel exercé par les campagnes proches sur des catégories sociales bénéficiaires de l’élévation générale des niveaux de vie.

D'après les résultats donnés par l'INSEE pour 2006, la tendance à la baisse démographique s'est maintenue : on tomberait pour cette année à 51200 habitants, soit 20 000 de moins qu'en 1968. Commentaire d'un des maires : ce n'est pas une catastrophe ; disposant de plus d'espace, les citadins vivent plus à l'aise.

Composantes de cette baisse : un fort déficit migratoire, mal compensé par des naissances à peine plus nombreuses que les décès. Le vieillissement, l’exode des "cerveaux," sont allés de pair avec des programmes de démolitions de logements sociaux en surnombre.

Résultat : le Val d'Ondaine a retrouvé en 2009 le nombre d'habitants de 1921, mais dans un cadre qui n'inspirerait plus à Zola ses descriptions du début du siècle..

Les traces du passé préindustriel.

Sites et lieux-dits C'est sur la carte de Cassini, première carte à grande échelle de la France entière établie au cours du 18ème siècle, que l'on trouve la plus ancienne représentation quelque peu détaillée de notre territoire (échelle : 1/86400). On peut la consulter aux archives départementales ; une reproduction en a été faite dans l'ouvrage de François Tomas "Cartes et plans" publié par l'Université de Saint-Etienne en 1989 et réédité en 2005.Dans la vallée de l'Ondaine, les bourgs et les villages occupaient les collines dominant de peu les fonds inondables. Tels étaient les sites du Firminy médiéval dans ses remparts (quartier Saint Pierre, avec sa petite église romane dont il ne reste que le porche), de Chazeau, d'Unieux, de Fraisses, du Chambon, du Montcel à La Ricamarie. A côté existait un semis de hameaux et de fermes isolées, dont les noms se perpétuent dans certains lieux-dits (comme Trablaine, Terrasson, Les Brosses, Boiron...) ou désignent aujourd’hui des quartiers urbains (Le Trémolet, La Romière, Le Bouchet, Fayol, Le Mas etc...). A cette génération d'habitat peut se rattacher le site de l'Hopital, à Unieux, attribué à une ancienne possession des Hospitaliers de Saint Jean de Jérusalem ; mais la carte ne mentionne pas le lieu-dit "l’Abbaye" qui rappelle à Chazeau le modeste couvent ("cazale") de Clarisses fondé en 1322 par Luce de Beaudiner, et transféré à Lyon en 1623. A la Sauvanière ("La Chavinière" sur la carte de Cassini), enclavée dans un hameau (de "construction vulgaire", nous dit un texte du siècle dernier), subsiste une chapelle édifiée en 1633 par le baron de Feugerolles à proximité des installations qu’il contrôlait le long du ravin du Cotatay.

A noter enfin qu'à cette époque, la route royale menant de Saint-Etienne à Firminy ne passait pas dans la vallée mais longeait le rebord du plateau de Roche la Molière.

L’Ondaine du fer et du charbon.

Sous ce titre s'ouvre une série de trois chapitres (n° 5, 6 et 7) retraçant la croissance des villes sous l'effet de l'industrialisation :

- logiques industrielles d'implantation des activités et de leur action sur l'organisation de l'espace local

- développement des habitats nouveaux

- les actions publiques d'aménagement des villes avant les grandes opérations d'urbanisme de la deuxième moitié du 20ème siècle Sera donc décrite et expliquée la formation d'une partie importante des paysages urbains actuels, antérieurs à la phase plus récente des grands ensembles et des extensions pavillonnaires.

A - La conquête industrielle.

Plusieurs avantages attirèrent dans la vallée de l’Ondaine des entrepreneurs en métallurgie, tels que Jackson à Trablaine, les Holtzer dans la vallée du Cotatay et à Unieux, Félix Verdié à Firminy, Claudinon au Chambon-Feugerolles, prélude à l’essor des grandes usines dans la deuxième moitié du XIXème siècle. Moins encombrée que celle du Furan stéphanois, la vallée offrait des sites disponibles au voisinage de la rivière, dont l’eau était recherchée pour la force hydraulique et pour la trempe du métal. Les mines procuraient le charbon en qualités variées et à des coûts avantageux Les usines Les industriels déployèrent leurs usines à l'écart des anciens bourgs et villages, sur les plaines alluviales, au voisinage de l’eau, des routes, puis du rail, amené à Firminy dès 1859 et vers la Haute-Loire à partir de 1864. Holtzer à Unieux dès 1829, Verdié à Firminy en 1850, Claudinon au Chambon-Feugerolles en 1852, s’installèrent près de l’Ondaine, dont ils utilisaient les eaux dérivées par des biefs. Fourneyron, l’inventeur de la turbine hydraulique, fixa son usine à l’écart, au débouché du Valchérie. En prospérant, ces usines étendirent leurs ateliers et leurs installations aux alentours de leur site initial. Quand il le fallait, l'industriel ne se privait pas de couvrir la rivière pour gagner du terrain : tel fut au Chambon-Feugerolles le cas de l'Ondaine, dont l'entreprise Claudinon fit disparaître le lit sous une voûte de plus de cinq cents mètres de long. (C'est seulement en 2009 que des travaux de grande ampleur ont détruit cette voûte et rétabli le parcours à l'air libre de l'Ondaine). On ne se souciait guère alors d’un urbanisme organisant à la fois l’habitat et la multiplication des ateliers. Si des grappes d’habitations se fixaient à proximité des usines, cela pouvait être à l’initiative de directions voulant fixer une partie de leur personnel au plus près du lieu de travail. Ce fut le cas au Chambon-Feugerolles en face de l’usine Claudinon, ou à Unieux qui vit croître le nouveau quartier du Vigneron, étiré le long de la route près de l’usine Holtzer (l’entreprise fit en sorte que le bureau de poste créé dans la commune en 1886 fût situé, non dans l’ancien bourg près de la Mairie, mais à côté d’elle dans ce nouveau quartier). Nombreuses sont les images, gravures, cartes postales ou photos, montrant ce que furent les paysages industriels créés à partir du milieu du siècle par ces puissantes industries métallurgiques, avec des forêts de cheminées, des "crassiers" de scories et de mâchefers, des embranchements et des réseaux internes de rails. Les panaches de fumées, complaisamment représentés, symbolisaient alors une modernité dynamique. Nettoyées, réhabilitéés, agrémentées même d'espaces verts, les quelques installations encore utilisées de nos jours sont loin de rappeler l’environnement de bruits, de suie, de poussière, de boue, observé par Zola en 1900 pour son roman "Travail". Les crassiers de mâchefer eux-mêmes, comme celui de l’ancien haut-fourneau de Firminy, accumulé sur un replat dominant la place de l’abattoir, sont aujourd'hui masqués par la végétation.

www.oph-firminy.fr/logements-loire/30/8-place-de-layat.htm

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Uploaded on February 15, 2019