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La mine basse

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Après quelques mille mètres de montée dans les montagnes de l'Azuay, on décide que la journée en a eu assez. On approche un village. L'entrée est détournée. On doit prendre une artère secondaire, remonter plus haut. Un glissement de terrain, encore, a emporté le chemin. D'en-haut, on remarque les maisons détruites, craquées en plein centre, leur moitié pendante au-dessus de la coulée. Elles sont vacantes, on espère. On poursuit et redescend plus loin, directement dans le coeur du village. On pédale le tour de la plaza centrale, on admire la grande église de bois. On repère un comedor, demande s'ils servent des lentilles ou des beans, puis on s'installe. L'homme des lieux, Luis, la soixantaine avancée, nous apporte une appétissante assiétée de riz, de lentilles et de salade. Affamés par la journée de montagnes russes qu'on vient de se taper, on dévore. Luis nous demande d'où l'on vient. Canada ! La partie française, qu'on précise toujours, fiers. Ils nous expliquent qu'il a nourri six Canadiens un jour. Des cyclistes aussi ? qu'on lui demande. Non. Des gens de la mine. Il nous explique alors qu'une compagnie canadienne a ouvert une mine ici. Je lui demande si les gens du coin y travaillent. Non. Ils ne veulent pas. Ils n'ont jamais voulu de la mine, comme à plusieurs endroits où nous sommes passés d'ailleurs, dans les communautés rurales. La mine, c'est mauvais. Ça contamine l'eau et ça brise le territoire. Ils militent contre. Font du raffut. Essaient de faire valoir leurs droits. Mais les compagnies étrangères paient le gouvernement écuadorien et voilà ! L'opinion des locaux, c'est de la crotte de mouton devant les grands de ce monde. J'ai tout à coup de la misère à avaler ma bouchée de riz.

 

Et le glissement de terrain à l'entrée, il date de combien de mois ? que je m'informe. Un an et demi, environ. La mine a modifié l'écoulement naturel des eaux. Tout ce pan de colline s'est effondré. Rien pour éponger la chute radicale de ma fierté canadienne. Et la compagnie, que je questionne, ils ont dédommagé ? Il sait pas. Ils ont envoyé des représentants. Mais à voir l'état des lieux, il est clair que rien n'a été fait. Ann et moi ne savons pas quoi dire. On a affreusement honte. Luis, lui, nous sourit de toute sa chaleur sans trace de sarcasme.

 

Je suis pas naïf. Je sais les horreurs du monde minier. Un monde au-dessus des lois et de toute morale. Chez-nous, les compagnies grugent le territoire en déboursant une mince partie de leurs profits à arroser le monde autour. Ailleurs, elles le font sans se soucier des gens. Tout ça pour nourrir la voracité toujours grandissante de ressources, d'énergie et de cupidité stupide, provenant principalement des pays du nord. Je l'ai vu avant et je vais le voir encore dans les prochains pays. Mais chaque fois que ça me frappe en pleine face, ça me meurtrit.

 

Déjà que ces pays subissent les effets du réchauffement climatique sans vraiment en avoir la responsabilité (faut pas se le cacher, la vie d'un sudaméricain moyen n'arrive même pas à la cheville d'un nordaméricain, en terme de dépense de ressources et d'énergie quotidienne), en plus, on vient leur en ajouter en allant piller leur territoire en faisant bien attention de chier tout autour.

 

Toujours difficile, cette sensation qui monte du coeur et qui se coince aussitôt dans la gorge, cette impression que votre culture, basée sur la consommation toujours plus grandissante de biens toujours plus inutiles, n'est que la suite plus insidieuse, plus tentaculaire, plus raffinée, mais toujours aussi violente, du colonialisme.

 

 

….

 

 

The low mine

 

After a few thousand meters of climbing in the Azuay mountains, we decide the day has had enough. We approach a village. The entrance is diverted. We have to take a side road and climb higher. Another landslide has washed away the path. From above, we can see the destroyed houses, cracked in the middle, half of them hanging over the stream. They're vacant, we hope. We keep going and descend further, directly into the heart of the village. We pedal around the central plaza, admiring the large wooden church. We spot a comedor, ask if they serve lentils or beans, then settle in. The man in charge, Luis, in his late sixties, brings us an appetizing plate of rice, lentils and salad. Hungry from the roller-coaster day we've just had, we devour the food. Luis asks us where we're from. Canada! The French part, we always specify, proudly. They explain that he once fed six Canadians. Cyclists too? we ask. No. People from the mine. He then explains that a Canadian company has opened a mine here. I ask him if the locals are working there. No. They don't want to. They've never wanted the mine, as they have in many of the places we've visited in rural communities. Mining is bad. It contaminates the water and breaks up the land. They campaign against it. They make a fuss. They try to assert their rights. But foreign companies pay the Ecuadorian government, and that's it! The opinion of the locals is just sheep shit in front of the big players. Suddenly, I'm having trouble swallowing my mouthful of rice.

 

And the landslide at the entrance, how many months ago was that? I ask. About a year and a half. The mine has altered the natural flow of water. This whole hillside collapsed. Nothing to mop up the drastic fall in my Canadian pride. And the company, I ask, did they compensate? He doesn't know. They sent representatives. But looking at the state of things, it's clear that nothing has been done. Ann and I don't know what to say. We're terribly ashamed. Luis, on the other hand, smiles at us with all his warmth and no trace of sarcasm.

 

I'm not naive. I know the horrors of the mining world. A world above the law and morality. Here at home, the companies eat away at the land, disbursing a small part of their profits to give the world around them. Elsewhere, they do it without a care in the world. All this to feed the ever-growing voracity for resources, energy and stupid greed, mainly from the countries of the North. I've seen it before and I'll see it again in the next few countries. But every time it hits me in the face, it bruises me.

 

These countries are already suffering the effects of global warming without really being responsible for it (let's face it, the life of an average South American isn't even a tenth of that of a North American, in terms of daily consumption of resources and energy), and now we're adding to it by plundering their territory and making sure to shit all over it.

 

It's always difficult, that feeling that rises from the heart and immediately gets stuck in the throat, that impression that your culture, based on ever-increasing consumerism of ever-more useless goods, is just the more insidious, more tentacular, more refined, but still just as violent, continuation of colonialism.

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Uploaded on August 6, 2023