Glissement de terrain (landslide)
Après Popayan, avec Joe, notre charmant compagnon confectionneur de café délicieux, on s'élance vers la dernière ville d'envergure du pays, Pasto, près de la frontière écuadorienne. Plus au nord, on avait entendu parler du pan de montagne qui, en janvier, avait englouti des maisons et un tronçon de la panaméricaine, la route officielle qui traverse le continent. D'habitude, on tend à l'éviter le plus possible, cette grande route, mais cette fois, elle nous parait un peu plus attrayante. Un détour a été tracé pour dévier le gros traffic, laissant beaucoup plus d'aisance au nombreux motocyclistes et rares cyclistes. Une route montagneuse, pavée et presque vidée de son achalandage normal ! Faut la faire !!
Depuis près de trois mois donc, Pasto, qui abrite près de 400 000 Colombiens, est isolée du reste du pays. L'essence et les vivres sont devenues rares, donc précieuses, qu'on nous a dit. Faut faire attention. La rareté a fait grimper le crime, l'organisé comme le désorganisé. Comme ailleurs, s'en tenir aux déplacements de jour et s'arranger pour se trouver un nid avant l'arrivée de la nuit.
Une fois passé Rosas, le dernier pueblito avant l'effondrement, on dévale la route libérée de traffic. La veille, on a dû faire presque trois kilomètres de montée à dépasser des camions et des bus arrêtés. Les passagers sont dehors, bouffent et socialisent. Les locaux profitent de la manne en vendant tout ce que peut désirer un conducteur patientant des heures durant. Des femmes longent la file de véhicules en offrant lunch et café. Des hommes annoncent aux alentours leurs belles mangues fraîchement pelées. Ça patiente tranquillement à l'ombre, couché dans les herbes de bord de chemin ou debout à jaser avec les autres patients. On regarde avec le sourire les trois blanc-becs à pédales, ça fait un peu changement. Ils y passent des heures. Le détour n'a qu'une seule voie. On l'a construit en peu de temps, dans l'urgence, à travers les collines. Sa pente est raide. Ça avance au compte-goutte. Un chauffeur me raconte qu'il a attendu toute la nuit dans son camion. Et c'est l'histoire de son quotidien depuis que la route alternative permet un passage. La résilience semble être un paramètre de la personnalité ici. On prend son mal en patience. De toute façon, les gens de cette région en ont vu d'autres. Bref, si ça passe pas, ça passe pas. Pas du genre à se faire matière à l'ulcère, les Andins.
Une fois dans la voie de contournement, à environ un kilomètre en contrebas, on aperçoit les vestiges de la catastrophe. Énorme. Deux kilomètres de terre fraichement labourée par la gravité. Des strates de végétation encore debout. Les autres, dans l'fond du ravin. Pas eu de victime, me dit une vieille femme du coin. Quelques-uns ont eu le temps de ramasser quelques affaires. Et puis dans la nuit, une après l'autre, des bandes de terre se sont mises à disparaitre, ne laissant dans l'air que le vacarme. Ça fait trois mois et la femme a encore l'air sous le choc quand elle raconte. Avant de reprendre la route, pour la première fois de ma vie, j'utilise ces mots qui m'ont toujours été vides de sens : Dieu soit avec vous. Probablement par manque de mots consolateurs, mais surtout parce que c'est ce qu'on dit ici. Une manière de reconnaitre qu'une personne en a assez subi, qu'elle en a eu sa part, de malheur, et que l'adversité veuille bien la laisser en paix maintenant.
De l'autre côté, on affronte en sens inverse l'autre file de gros véhicules, tous stationnés depuis des heures, et qui nous encouragent pendant la montée. Une fois passée, le chemin est libre.
Chanceux qu'on est d'avoir le tronçon presque tout pour nous. Un camion de temps en temps. Quelques motos. Mais surtout, une route parfaite et le paysage grandiose. Pas ce qu'on s'attend habituellement à voir sur la panaméricaine.
Encore une fois, les ragots et les avertissements de danger n'auront servi qu'à nous stresser pour rien. Comme ailleurs, que des sourires. Difficile de ne pas tomber sous le charme de la Colombie.
….
After Popayan, with Joe, our chaming friend and delicious coffee-maker, we head south for the country's last major city, Pasto, near the border with Ecuador. Further north, we had heard about the mountain slope that, in January, swallowed up houses and a two-kilometer stretch of the Pan-American Highway, the official road that crosses the continent. Usually, we tend to avoid this great road as much as possible, but this time, it seems a little more attractive. A detour has been made to divert the heavy traffic, leaving much more room for the many motorcyclists and few cyclists. A mountainous road, paved and almost empty of its normal traffic! We have to do it!
For nearly three months, Pasto, home to nearly 400,000 Colombians, has been isolated from the rest of the country. Gasoline and food have become scarce, therefore precious, we were told. Be careful, that scarcity has caused crime to rise, both organized and disorganized. As elsewhere, stick to daytime travel and arrange to find a nest before night arrives.
Once passed Rosas, the last pueblito before the collapse, we go down the road free of traffic. The day before, we had to climb almost three kilometers, passing trucks and stopped buses. The passengers are outside, eating and socializing. The locals take advantage of the windfall by selling whatever a driver waiting for hours can desire. Women line up with vehicles offering lunch and coffee. Men advertise their freshly peeled mangoes. People wait quietly in the shade, lying in the grass by the roadside or standing and chatting with other patients. They look with a smile at the three white faces on pedals, it makes a little change. They spend hours there. The detour has only one lane. It was built in a short time, in the emergency, through the hills. Its slope is steep. It goes forward in dribs and drabs. A driver tells me that he waited all night in his truck. And this is the story of his daily life since the alternative route allows a passage. Resilience seems to be a personality parameter here. We take it patiently. In any case, the people of this region have seen it all before. In short, if it doesn't pass, it doesn't pass. Not the kind of people to grow an ulcer out of it, the Andeans.
Once in the bypass, to approximately a kilometer below, we see the remains of the catastrophe. Enormous. Two kilometers of earth freshly plowed by gravity. Layers of vegetation still standing. The rest, in the bottom of the gorge. No casualties, says an old woman from the area. Some had time to pick up a few things. And then in the night, one after the other, strips of earth began to disappear, leaving only the roar in the air. It's been three months and the woman still looks shocked when she tells it. Before I get back on the road, for the first time in my life, I use these words that have always been empty to me: God be with you. Probably for lack of consoling words, but mostly because that's what they say here. A way of saying that a person has been through enough, that she has had his share of misfortune, and that adversity should leave her at peace now.
On the other side, we face in opposite direction the other line of big vehicles, all parked since hours, and which encourage us during the climbing. Once passed, the way is free.
Lucky we are to have the section almost all for us. A truck from time to time. Some motorcycles. But above all, a perfect road and a great landscape. Not what we usually expect to see on the Pan-American Highway.
Once again, all the gossip and danger warnings served only to stress us out for nothing. As elsewhere, only smiles. It is difficult not to fall under the charm of Colombia.
Glissement de terrain (landslide)
Après Popayan, avec Joe, notre charmant compagnon confectionneur de café délicieux, on s'élance vers la dernière ville d'envergure du pays, Pasto, près de la frontière écuadorienne. Plus au nord, on avait entendu parler du pan de montagne qui, en janvier, avait englouti des maisons et un tronçon de la panaméricaine, la route officielle qui traverse le continent. D'habitude, on tend à l'éviter le plus possible, cette grande route, mais cette fois, elle nous parait un peu plus attrayante. Un détour a été tracé pour dévier le gros traffic, laissant beaucoup plus d'aisance au nombreux motocyclistes et rares cyclistes. Une route montagneuse, pavée et presque vidée de son achalandage normal ! Faut la faire !!
Depuis près de trois mois donc, Pasto, qui abrite près de 400 000 Colombiens, est isolée du reste du pays. L'essence et les vivres sont devenues rares, donc précieuses, qu'on nous a dit. Faut faire attention. La rareté a fait grimper le crime, l'organisé comme le désorganisé. Comme ailleurs, s'en tenir aux déplacements de jour et s'arranger pour se trouver un nid avant l'arrivée de la nuit.
Une fois passé Rosas, le dernier pueblito avant l'effondrement, on dévale la route libérée de traffic. La veille, on a dû faire presque trois kilomètres de montée à dépasser des camions et des bus arrêtés. Les passagers sont dehors, bouffent et socialisent. Les locaux profitent de la manne en vendant tout ce que peut désirer un conducteur patientant des heures durant. Des femmes longent la file de véhicules en offrant lunch et café. Des hommes annoncent aux alentours leurs belles mangues fraîchement pelées. Ça patiente tranquillement à l'ombre, couché dans les herbes de bord de chemin ou debout à jaser avec les autres patients. On regarde avec le sourire les trois blanc-becs à pédales, ça fait un peu changement. Ils y passent des heures. Le détour n'a qu'une seule voie. On l'a construit en peu de temps, dans l'urgence, à travers les collines. Sa pente est raide. Ça avance au compte-goutte. Un chauffeur me raconte qu'il a attendu toute la nuit dans son camion. Et c'est l'histoire de son quotidien depuis que la route alternative permet un passage. La résilience semble être un paramètre de la personnalité ici. On prend son mal en patience. De toute façon, les gens de cette région en ont vu d'autres. Bref, si ça passe pas, ça passe pas. Pas du genre à se faire matière à l'ulcère, les Andins.
Une fois dans la voie de contournement, à environ un kilomètre en contrebas, on aperçoit les vestiges de la catastrophe. Énorme. Deux kilomètres de terre fraichement labourée par la gravité. Des strates de végétation encore debout. Les autres, dans l'fond du ravin. Pas eu de victime, me dit une vieille femme du coin. Quelques-uns ont eu le temps de ramasser quelques affaires. Et puis dans la nuit, une après l'autre, des bandes de terre se sont mises à disparaitre, ne laissant dans l'air que le vacarme. Ça fait trois mois et la femme a encore l'air sous le choc quand elle raconte. Avant de reprendre la route, pour la première fois de ma vie, j'utilise ces mots qui m'ont toujours été vides de sens : Dieu soit avec vous. Probablement par manque de mots consolateurs, mais surtout parce que c'est ce qu'on dit ici. Une manière de reconnaitre qu'une personne en a assez subi, qu'elle en a eu sa part, de malheur, et que l'adversité veuille bien la laisser en paix maintenant.
De l'autre côté, on affronte en sens inverse l'autre file de gros véhicules, tous stationnés depuis des heures, et qui nous encouragent pendant la montée. Une fois passée, le chemin est libre.
Chanceux qu'on est d'avoir le tronçon presque tout pour nous. Un camion de temps en temps. Quelques motos. Mais surtout, une route parfaite et le paysage grandiose. Pas ce qu'on s'attend habituellement à voir sur la panaméricaine.
Encore une fois, les ragots et les avertissements de danger n'auront servi qu'à nous stresser pour rien. Comme ailleurs, que des sourires. Difficile de ne pas tomber sous le charme de la Colombie.
….
After Popayan, with Joe, our chaming friend and delicious coffee-maker, we head south for the country's last major city, Pasto, near the border with Ecuador. Further north, we had heard about the mountain slope that, in January, swallowed up houses and a two-kilometer stretch of the Pan-American Highway, the official road that crosses the continent. Usually, we tend to avoid this great road as much as possible, but this time, it seems a little more attractive. A detour has been made to divert the heavy traffic, leaving much more room for the many motorcyclists and few cyclists. A mountainous road, paved and almost empty of its normal traffic! We have to do it!
For nearly three months, Pasto, home to nearly 400,000 Colombians, has been isolated from the rest of the country. Gasoline and food have become scarce, therefore precious, we were told. Be careful, that scarcity has caused crime to rise, both organized and disorganized. As elsewhere, stick to daytime travel and arrange to find a nest before night arrives.
Once passed Rosas, the last pueblito before the collapse, we go down the road free of traffic. The day before, we had to climb almost three kilometers, passing trucks and stopped buses. The passengers are outside, eating and socializing. The locals take advantage of the windfall by selling whatever a driver waiting for hours can desire. Women line up with vehicles offering lunch and coffee. Men advertise their freshly peeled mangoes. People wait quietly in the shade, lying in the grass by the roadside or standing and chatting with other patients. They look with a smile at the three white faces on pedals, it makes a little change. They spend hours there. The detour has only one lane. It was built in a short time, in the emergency, through the hills. Its slope is steep. It goes forward in dribs and drabs. A driver tells me that he waited all night in his truck. And this is the story of his daily life since the alternative route allows a passage. Resilience seems to be a personality parameter here. We take it patiently. In any case, the people of this region have seen it all before. In short, if it doesn't pass, it doesn't pass. Not the kind of people to grow an ulcer out of it, the Andeans.
Once in the bypass, to approximately a kilometer below, we see the remains of the catastrophe. Enormous. Two kilometers of earth freshly plowed by gravity. Layers of vegetation still standing. The rest, in the bottom of the gorge. No casualties, says an old woman from the area. Some had time to pick up a few things. And then in the night, one after the other, strips of earth began to disappear, leaving only the roar in the air. It's been three months and the woman still looks shocked when she tells it. Before I get back on the road, for the first time in my life, I use these words that have always been empty to me: God be with you. Probably for lack of consoling words, but mostly because that's what they say here. A way of saying that a person has been through enough, that she has had his share of misfortune, and that adversity should leave her at peace now.
On the other side, we face in opposite direction the other line of big vehicles, all parked since hours, and which encourage us during the climbing. Once passed, the way is free.
Lucky we are to have the section almost all for us. A truck from time to time. Some motorcycles. But above all, a perfect road and a great landscape. Not what we usually expect to see on the Pan-American Highway.
Once again, all the gossip and danger warnings served only to stress us out for nothing. As elsewhere, only smiles. It is difficult not to fall under the charm of Colombia.