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Visages urbains : Camille

Camille est frêle comme une brindille. Et aujourd’hui, enveloppée dans son long manteau noir, elle semble encore plus fragile que d’habitude.

A la différence de la brindille toutefois, elle reste droite….. en dépit de l’ouragan qui a balayé sa vie… Droite, le regard dans le vague, un sourire figé sur ses lèvres, pendant que famille et amis défilent devant elle. Elle n’en peut plus de sourire. Pourtant, il paraît qu’on fait fonctionner davantage de muscles quand on fait la gueule que quand on actionne ses zygomatiques. Mais là, ce sourire lui fait mal jusqu’au plus profond de ses entrailles car c’est la première fois qu’elle se force. Avant, sourire était une seconde nature pour elle…. Et plus encore depuis que Simon était entré dans sa vie… Entré… c’est bien le terme…. Un matin de mars, il avait poussé la porte de son petit atelier de couture – un costume à reprendre suite à la perte d’une quinzaine de kilos – et il s’était perdu dans le dédale du sourire de Camille. Et aujourd’hui, 10 ans plus tard…. Enfin, cela aurait fait 10 ans dans 22 jours, 21 heures et quelques secondes…, c’est avec un sourire qu’elle essaie de faire rempart contre les larmes qui gonflent sa poitrine mais qu’elle se refuse à partager en public…. Lui revient en mémoire les premiers vers d’une poésie :

« Un sourire peint en rouge

Un sourire sans joie aucune

Il rit sans que ses lèvres ne bougent

Et le cœur rempli d’amertume »…

 

Ce n’est pas le silence qui règne désormais dans l’appartement qui lui est le plus insupportable mais l’absence de SES bruits à lui… bruits qu’elle guette inconsciemment. Parfois, sa mémoire lui joue des tours et les pas qui font grincer le parquet la font bondir jusqu’à ce qu’elle s’aperçoive qu’ils ne sont que fantômes de sa présence. Car, désormais, Simon n’est plus qu’un souvenir, disparu de corps et de tout ce qui pouvait matérialiser son existence. En effet, sitôt rentrée du cimetière, dans une rage folle, Camille s’était empressée de jeter toutes ses affaires…. Jusqu’au paquet de céréales qu’il était le seul à manger au petit-déjeuner ou les tripes congelées qu’elle avait appris à cuisiner, surmontant ses hauts-le-cœur par amour pour lui.

 

Mais on n’efface pas un être en se séparant de sa matérialité : outre le souvenir qu’on en garde au fond de soi, il y a tous ces lieux qu’il continue à hanter car imprégnés par l’empreinte de sa présence… Et même si elle envisage de mettre leur appartement en vente, il reste…. la petite ruelle où ils avaient échangé leur premier baiser qu’elle parcourt pour aller à son atelier…. la porte cochère, à côté de leur restaurant préféré, dans la pénombre de laquelle il lui avait fait l’amour après avoir demandé sa main…. le quai de la gare où elle l’attendait, le cœur battant, à chaque fois qu’il revenait de ses séminaires sur Bordeaux…. Et tant et tant d’endroits encore qu’elle ne peut plus traverser sans un pincement douloureux au cœur….

 

… Dans la cuisine, il y a le calendrier almanach, accroché sur le mur à côté du réfrigérateur, resté figé sur la page du funeste jour. Sans savoir pourquoi, elle n’a pu se résoudre à le jeter…. C’était la dernière fois qu’ils avaient ri ensemble quand il lui avait lu la blague du jour : « C'est en voyant un moustique se poser sur ses testicules qu'un homme réalise qu'on ne peut pas régler tous les problèmes par la violence »…. Et, en l'embrassant sur le seuil de la porte, elle lui avait promis que, quand il rentrerait, elle s'occuperait des siennes de la plus tendre des manières.....

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Uploaded on January 20, 2017
Taken on September 19, 2015