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Eglise San-Gavino-di-Torres à Porto Torres

Eglise romane San Gavino di Torres ; commune de Porto Torres, province de Sassari, Sardaigne, Italie

 

Laissant à notre gauche le chevet, il est préférable d'établir un itinéraire de visite procédant avant toutes choses à l'examen de l'unique portail de l'époque romane, situé dans le cinquième panneau du flanc Nord, à partir de la droite. Selon l'opinion courante, cette entrée a été ouverte à la fin du XVe siècle, au moment où les autres portes romanes ont disparu du fait de réfections dans le goût du gothique catalan; en conséquence, le portail - tel que nous le voyons aujourd'hui - proviendrait du regroupement de matériaux utilisés à l'origine sur une autre entrée de la basilique. ... De toute évidence, les claveaux qui composent l'arc de décharge, bien que non originels, reflètent fidèlement la disposition primitive; en effet les piédroits eux-mêmes - pourvus d'une haute base monolithique mou­lurée d'une gorge, d'un listel et d'un tore - forment trois retraits à arête vive. Des impostes aux mêmes moulures que les bases, mais d'une moindre hauteur, rejoignent le point de départ de l'arc de décharge, remplissant pour ainsi dire le rôle de coussinets avec tailloirs intégrés, sur la même ligne que le mince linteau sans saillie ni retrait, posé sur deux corbeaux faits de demi-chapiteaux à béquille. A cette hauteur, les piédroits lisses et à retraits se terminent par de pseudo-chapiteaux sculptés. Tous les éléments du portail, y compris le tympan (composé de trois plaques, celle du milieu nettement plus grande et carrée avec bord supérieur curviligne) et à l'exclusion de l'arc de décharge, sont taillés dans du marbre gris clair, probablement de remploi. Les proportions générales, et en particulier la fonction du linteau qui n'apporte pas un élément de couleurs mais participe à l'unité plastique et décorative de l'ensemble ..., incitent à attribuer le portail à une main lombarde de la deuxième moitié du XIe siècle, la préférence pisane pour les hauts linteaux qui opèrent une large coupure d'ordre lumineux ou coloré se révélant étrangère à cette œuvre. C'est aussi à un décorateur formé dans le Nord de la péninsule que renvoient les sculptures qui en ornent les surfaces, marquées par un contraste frappant entre le caractère plastique prononcé des petits personnages sur les pseudo-chapiteaux comme des aigles sur la face oblongue des corbeaux, et l'aplatissement des reliefs végétaux sur les faces antérieures de ces corbeaux ou à la surface du pseudo-chapiteau de droite, comme aussi des reliefs zoomorphes sur l'élément correspondant de gauche ; contraste plus marqué encore avec le décor fait de simples sillons sur le linteau et les piédroits.

A la même main on doit peut-être la scène de combat représentée sur le tympan, en très faible relief sur le fond, en raison d'une certaine affinité avec les reliefs zoomorphes à l'étroit sur les faces du pseudo-chapiteau de gauche : ils rappellent les animaux sculptés sur certains blocs du flanc Nord de Saint-Nicolas de Silanus (Delogu) et présentent des points de contact avec le décor de portails toscans tels que celui de la piève de Sovana. ... Quant au motif de rinceaux qui décore la face antérieure et inférieure du linteau, remontant des bases le long de la face la plus à l'intérieur des piédroits, ce qui frappe c'est le procédé de simple entaille - certainement dû à un sculpteur habitué au travail des métaux et héritier d'une culture byzantine à travers des apports barbaresques et islamiques — par lequel est obtenue une suite de feuilles en forme de cœur dessinées par les courbes symétriques de deux tiges en traits parallèles rapprochés; elles se rejoignent sur la ligne médiane du linteau, formant au centre une série de cœurs en chaîne. Enfin sur la face oblique des corbeaux figurent des aigles, dont l'élégante schématisation (les ailes déployées se réduisent à une silhouette lisse, comme taillée dans le métal) introduit le thème courtois du tympan avec la «scène de combat», si chargée de problèmes tant pour l'interprétation historique que pour le rattachement stylis­tique. ... Parmi les détails figurent deux troupes, l'une et l'autre chrétiennes car dans le haut on aperçoit la main de Dieu bénissante ; elles s'affrontent avec fantassins et cavaliers coiffés d'un heaume pourvu d'un nasal de protection et armés d'une lance (ceux de gauche) ou d'une longue épée (les autres, qui semblent avoir eu le dessous car l'un d'entre eux est étendu à terre). Entre les pattes antérieures des chevaux, s'insère un couple de personnages, l'un masculin, l'autre (du côté de l'armée vaincue) féminin, à en juger par la coiffure. Le couple se situe au centre des lignes géométriques qui ordonnent la composition au sein d'une trame de cercles, de losanges, de carrés, de triangles (Dore). La lecture ardue de la scène s'ajoute aux difficultés objectives de retrouver des parallèles stylistiques concluants; en effet les renvois à la plaque avec des cavaliers dans l'église romaine Saint-Saba, ou au relief de Civita Castellana avec une scène de chasse (Delogu) ne sont pas convaincants ; on se limite ici à relever le caractère à la fois historique et courtois de la figuration qui semble liée à un événement réel, lequel concernait de près le roi commanditaire de cette porte, toujours là et incontestablement «royale». On gagne l'extrémité occidentale, divisée en trois parties par la forte élévation du pignon par rapport aux murs terminaux des nefs latérales, couronnés de robustes rampants à pente très légère. Le parement s'élève lisse, en formant de larges pilastres d'angle dépourvus de chapiteaux comme ceux situés à la jonction avec l'abside. Ces murs sont marqués de deux larges arcs (au chanfrein bordé de sillons faits d'une simple entaille), une dans chaque panneau car ils retombent tous les deux sur une seule lésène pourvue de chapiteau. Dans les panneaux qui flanquent l'abside s'ouvre, décentrée, une fenêtre pour chacun, faite d'une étroite archère à ébrasement lisse. Des ouvertures identiques éclairent l'abside (au nombre de trois, dans un panneau sur deux) et se retrouvent, au même rythme, dans les flancs de la basilique. A intervalles rapprochés, des lésènes bien marquées scandent les sept panneaux de l'abside, un pour chaque arceau chanfreiné reçu par des chapiteaux sans décor. Au départ du toit du cul-de-four se déploie une corniche moulurée. L'élan de l'abside, dont l'arcature se déroule nettement plus haut que les arceaux des murs terminaux des nefs latérales, se trouve équilibré par le fronton qui termine le pignon. La corniche le long des rampants se relève légèrement aux extrémités pour accompagner le listel horizontal à la base du fronton. Ce listel fait retour sur les pilastres d'angle délimitant la partie inférieure du pignon, lisse et continue, au-dessus de laquelle se profilent en saillie la série d'étroites arcades au cintre chanfreiné, telle une fausse galerie prise sur l'épaisseur du fronton dressé à l'aplomb de la corniche de base. Au sommet des rampants, assez inclinés, il y a une petite tour, emblème de la ville ; des éléments semblables, mais plus petits, courent le long de la ligne de faîte du toit de plomb, dû à une réfection mais fidèle à une disposition sur laquelle il existe des documents depuis le XVIIe siècle. Sur les murs terminaux des nefs latérales, les pilastres d'angle naissent sans solution de continuité de l'assise de pierre de la plinthe, tandis que la lésène de séparation des panneaux, comme celles de l'abside, est pourvue d'une base rehaussée par un socle en forme de dé oui interrompt le talus de la plinthe. Une solution identique, avec des différences qui concernent uniquement l'emploi de bases en marbre et non plus en grès, se retrouve tout le long de l'édifice et représente un bon argument en faveur de la thèse selon laquelle les deux campagnes de construction sont rapprochées dans le temps, et la construction tout entière se situe entre la seconde moitié du XIe siècle et 1111. Ce terminus ad quem nous est fourni de façon précise par [une] inscription funéraire gravée sur la base en marbre du premier pilastre à partir de la gauche, au flanc Nord : ... Le flanc Nord voit se développer dans le haut une suite d'arcades tendues entre de larges pilastres d'angle auxquels répondent rythmiquement des lésènes portant de sobres chapiteaux en tronc de pyramide, aux faces légèrement évasées. Les pauses sont marquées par la retombée des arceaux soit sur les chapiteaux des lésènes, soit sur des modillons moulurés, et sont accentuées par les césures verticales des fenêtres, percées sous les modillons et dans un panneau sur deux. Elles sont du type à ébrasement lisse déjà observé à l'extrémité Ouest et semblable pour toutes les ouvertures du flanc Sud, ainsi que pour les autres du flanc Nord, à l'exception de la première en bas à gauche, à retraits comme celles de l'Est. Le parement externe de la nef latérale Nord, couronné d'une robuste corniche qui fait retour pour marquer le haut du mur terminal Est correspondant, reprend la répartition architecturale du mur haut, scandée de lésènes dont l'une ne descend pas jusqu'au sol, réduite qu'elle est par suite de l'ouverture d'un portail aragonais, avec un sourcil infléchi qui porte à son sommet un blason. On remarque, à la suite, le portail roman décrit et le dépassement en hauteur du bras Nord d'un pseudo-transept sans saillie sur le mur gouttereau. Quelque chose vient en effet compliquer le problème du plan : c'est le rattachement d'un pseudo-transept qui vers l'Ouest forme une croix en tau, encore plus singulier du fait de la présence des absides opposées. Il faut noter que la fonction distincte des bras se remarque aussi à l'intérieur, car ils occupent chacun deux des petites travées à voûtes d'arêtes, réunies par une large arcade d'entrée. On pense aussitôt à une reprise du modèle romain (basilique constantinienne Saint-Pierre) qui toutefois, pour les raisons indiquées dans la section Histoire, ne devrait pas exclure d'éventuels liens avec des solutions carolingiennes et ottoniennes : celles-ci combinent les chœurs opposés avec des implanta­tions à double transept plus ou moins en saillie, et rendent assez probable l'hypothèse d'un premier projet avec aussi un pseudo-transept à l'Est, non exécuté par l'équipe ayant succédé à celle dirigée par le «Maître de San Gavino». Si l'on passe à l'examen de l'extrémité Est, qui est l'exact reflet de celle de l'Ouest, on ne peut manquer de relever les différences, dues à des raisons architecturales (les murs terminaux des nefs latérales sont plus bas car il n'y a pas ici de pseudo-transept; en conséquence l'abside et le pignon se trouvent plus élancés), mais surtout à une modification de la sensibilité en ce qui concerne le parement. Au fronton, la corniche ne se relève pas aux extrémités, s'écartant du choix lucquois ancien par ses terminaisons à moulure classique ; en outre les arcades qui forment la pseudo-galerie n'ont plus un cintre mouluré mais à double rouleau avec arêtes vives, ce qui renvoie aux arcades des absides de San Piero a Grado. La dépendance exclusive de ce monument est en partie contredite par les amples arceaux de l'abside, à nouveau moulurés, qui peuvent être dus à la forte influence exercée sur la seconde équipe par les façons de faire lombardes du Maître qui commença et mena la construction presque jusqu'à son terme. La formation pisane de la seconde équipe se manifeste toutefois dans le recours, si modéré soit-il, à l'insertion colorée de petites coupelles dont il reste les logements dans les demi-cercles des arceaux du pignon et de ceux de l'abside ainsi que dans les écoinçons de ces derniers; et encore dans l'adoption de fenêtres à l'ébrasement fait de plusieurs ressauts à arêtes vives; l'ébrasement de l'oculus dans le panneau central du pignon est traité de la même manière. Il en résulte une silhouette plus élancée, car les corniches couronnant les murs terminaux des nefs latérales ne se prolongent pas jusqu'au départ de l'abside, et n'isolent pas les volumes comme au chevet occidental, où tout se joue sur une répartition des masses. Il y a ici, en ce qui concerne la réaction à la lumière, une continuité entre les surfaces des murs terminaux latéraux et les pilastres d'angle du pignon, qui permet une libre communication entre les niveaux et une interaction dynamique des volumes, animés à l'origine par des touches de couleur. Quant au flanc méridional, il suffira d'en relever les caractères spécifiques, constitués principalement par les portails de la période aragonaise ; pour le reste, le parti architectural roman se trouve tout à fait symétrique par rapport à celui du Nord. Remarquons ici aussi que les entrées pratiquées à la fin du XVe siècle ne sont pas centrées dans les panneaux, en particulier celle de droite, surmontée d'un simple linteau et pourvue de moulures. Dans la lésène qui la flanque à gauche, on remarque le remploi d'un marbre attribuable au vie siècle par le type de croix processionnelle que l'on y voit, aux bras égaux avec des extrémités évasées, surmontée d'une minuscule figure d'oiseau. Un autre élément identique, mais bien moins abîmé par le temps, a été muré à droite de la porte, à une époque imprécise. ...

 

(extrait de : Sardaigne romane ; Renata Serra, Ed. du Zodiaque, Coll. La Nuit des Temps, 1979, pp. 213-227)

 

Descriptif de l'édifice en italien (avec coordonnées GPS) : "Carta e Guida alle Chiese Romaniche della Sardegna" ; Sando Mezzolani, Collana NATURA e ARCHEOLOGIA, Alpha Editoriale, 2. éd. 2007

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Uploaded on November 24, 2011
Taken on June 8, 2011